Grogne populaire : du charivari historique à la casserole politique

La répression, les maisons brûlées, les déportations et les exécutions n’auront pas raison des charivaris. Le charivari politique continue d’exister en parallèle avec celui relié aux rituels amoureux.

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« Encore une échauffourée entre les étudiants et la police ! » Ce n’était pas hier, mais le 6 avril 1910, en première page du Devoir. Ces scènes, notait-on alors, ont tendance à se répéter. « Ce qui est vrai, disons-le franchement, c’est que la police préfère s’attaquer aux universitaires qu’aux détrousseurs nombreux qui font la terreur de certains quartiers. » Qu’avaient donc fait ces étudiants de 1910 ? Du tapage et du désordre, assaisonnés de rires.
Depuis qu’a débuté au Québec l’expression du ras-le-bol par les casseroles, on ne cesse de souligner qu’il s’agit d’un clin d’œil direct au mouvement des cacerolazos, ces Chiliens qui souhaitaient d’abord faire tomber le président socialiste Salvador Allende. Cette pratique fut vite récupérée par des mouvements de gauche. En 2009, il faut se rappeler la « révolution des casseroles » des Islandais qui, en martelant le fer-blanc une fois par semaine, dénonçaient ceux qui avaient mis leur pays dans le rouge. Le poêlon montre que tout est sens dessus dessous, que la politique est brûlée.

Cependant, le chahut politique des chaudrons est une pratique plus ancienne encore. « Les Acadiens corrigeraient rapidement le discours », estime l’historien Jean Provencher, rappelant qu’ils pratiquent pareil « tintamarre depuis au moins 100 ans ». En fait, cette pratique du charivari a des origines européennes qui plongent dans le Moyen Âge. Le mot trouve ses origines dans un cri de chasse qui renvoie aux armes, à l’armée, et renvoie à la légende d’un chasseur sauvage répandue dans l’Europe christianisée.

Au xvie siècle, l’Église catholique tente sans succès, par la voix du concile de Trente, d’interdire le charivari sous peine d’excommunication. « Par-delà les possédants, les pouvoirs politiques, religieux et judiciaires en particulier, les populations se sont donné, il y a longtemps, dans la marge, cette capacité de dénoncer de cette manière ce qui leur apparaît répréhensible. »

Jean-Claude Germain vient de publier un livre sur le désir d’émancipation des Canadiens avant les révolutions de 1837-1838. Il rappelle que les charivaris ont été longtemps l’occasion d’exprimer au Nouveau Monde un mécontentement populaire à l’égard des couples mal assortis. Comme dans le cas de cette veuve de 25 ans qui, en 1683, se remarie trois semaines après le décès de son mari, rappelle Edmond Z. Massicotte dans une de ses études. « La population excédée se livre alors à un charivari qui dure six nuits d’affilée et il faut l’intervention de l’évêque de Québec, Mgr François de Laval, pour mettre un terme à la manifestation », poursuit l’historien Jean Provencher. Monseigneur de Laval publie une mise en garde adressée à ses ouailles. Il menace d’excommunication ceux qui, « dans leurs désordres et libertés scandaleuses », commettent pareilles « actions très impies ».

Plus tard, Mgr de Saint-Vallier réaffirme l’opposition du pouvoir ecclésiastique aux charivaris dans un livre sombre intitulé le Rituel de la province de Québec. On lira dans les églises, jusqu’au début du xixe siècle, des condamnations répétées. Rien n’y fait.

« C’était le plus souvent des protestations et des railleries lancées contre des hommes qui mariaient des femmes jugées beaucoup trop jeunes pour eux, explique Jean-Claude Germain. En ce sens, c’était déjà l’expression d’un conflit de générations qui s’applique très bien aujourd’hui aux manifestations populaires que l’on voit fleurir partout au Québec. »

Pour Danick Trottier, chercheur à l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique, les charivaris forment « un corps social unifié dans le son. Comme dans une chorale, on sacrifie la partie individuelle, les atomes, au profit du tout. » L’écrivain Pascal Quignard, note-t-il, « a beaucoup réfléchi au fait que le son et le bruit sont certainement des choses les plus imposées dans une société. Le fait de ne plus parler et de laisser toute la place au bruit laisse une marque. Le bruit traverse tout : les murs, les maisons. Personne n’y échappe. Je crois que c’est la force de ce type de mouvement. »

Casseroles d’Amérique, unissez-vous !
En 1821, explique Jean Provencher, Montréal adopte « un règlement de police disant que “ quiconque, étant déguisé ou non, sera trouvé dans aucune partie de la ville ou des faubourgs de jour ou de nuit, criant charivari ou faisant avec des pots, chaudières, cornes ou autrement, un bruit capable de troubler le repos public ou qui s’arrêtera de la même manière devant aucune maison, encourra une amende de cinq livres courant pour chaque contravention ” ».

Ce tumulte prend une dimension plus politique à compter du xixe siècle. En témoigne la naissance en France de journaux de caricatures dont le plus célèbre, lancé par Charles Philipon en 1832, est justement nommé Le Charivari, comme le sera son pendant anglais, The Punch Magazine, présenté comme « The London Charivari ». Y paraissent les dessins de Traviès, Gavarni, Grandville et Daumier. Leurs œuvres confèrent alors des lettres de noblesse au dessin satirique. Chez nous paraîtra Le charivari canadien, lancé par Sasseville, un de ces journaux irrévérencieux qui s’attachent à transposer sur papier cette tradition de protestation joyeuse et turbulente.

Au Bas-Canada, explique Jean-Claude Germain, « les charivaris politiques vont prendre de l’ampleur à l’occasion des répressions des années 1830, où on les utilise contre des ennemis politiques ».

Les révolutions de 1837-1838 voient plusieurs charivaris, observe le spécialiste des patriotes Georges Aubin. « Le soir du 26 septembre 1837, un charivari est organisé par le Dr Wolfred Nelson chez Rosalie Cherrier, surnommée “ La Poule ”. Liée aux bureaucrates, elle protestait ouvertement contre les révolutionnaires. Ce soir-là, elle tira sur la foule des patriotes avec une arme. » Le même jour, un autre charivari politique se déroule à Saint-Ours, à des kilomètres de là…

Les patriotes ont vite récupéré ces armes efficaces que sont le bruit et la raillerie pour chasser l’ennemi. Contre « les bureaucrates » et pour « les tuques », les révolutionnaires entendent « intimider leurs adversaires politiques tout en accolant une certaine légitimité à leur geste, explique l’historien Gilles Laporte. Les juges de paix et les officiers de milices demeurés fidèles à la Couronne sont plus particulièrement visés par les charivaristes et finissent en général par remettre leur commission ou par quitter la région. »

La répression, les maisons brûlées, les déportations et les exécutions n’auront pas raison des charivaris. Le charivari politique continue d’exister en parallèle avec celui relié aux rituels amoureux. En 1921 à Montréal, on organise un charivari politique macabre à l’endroit d’un candidat politique vaincu lors des élections fédérales. « Un cercueil recouvert d’un drap portant le nom du politicien défait était juché au sommet d’un char traîné par des chevaux et entouré de porteurs masqués et munis de flambeaux, raconte Jean Provencher. Le pseudo-corbillard suivi d’une foule de charivarisseurs qui faisaient un vacarme énorme fut promené sur les principales rues du quartier où demeurait le politicien malheureux. » Rien toutefois qui s’approche de la clameur soutenue des casseroles de nos charivaris politiques des derniers jours.


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