Hérouxville et les mutilations génitales féminines (MGF-excision)

Par Aoua Bocar LY

Hérouxville - l'étincelle

En d’autres temps et d’autres lieux, voilà une nouvelle qui aurait été saluée haut et fort par les militant-e-s contre les mutilations génitales féminines (MGF-excision). On se dirait : «Ah! La lutte contre les MGF-excision prend de l’ampleur : voilà qu’un village du Québec jusqu’à présent inconnu, interdit la pratique des MGF-excision. Quel bonheur !»
Car les MGF-excision constituent un fléau mondial qui requiert la contribution de tous et de toutes (individus, personnalités, ONG, instances gouvernementales, municipales, organisations internationales, groupes et associations de défense des droits humains et de la cause des femmes de tous les horizons, etc.) pour y venir à bout.
État de la situation
D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2004), environ 130 millions de fillettes et de femmes en sont affectées à travers le monde. En effet, chaque année, au moins deux millions de filles dans le monde sont victimes des MGF-excision, soit 6 000 par jour et 5 par minute (Toubia, 1994a). Et, ce n’est là que la pointe de l’iceberg puisque ces données ne concernent que ce qui se fait dans les 28 pays d’Afrique, alors que les MGF-excision se pratiquent aussi au Moyen-Orient, en Asie de l’Est et du Sud et en Indonésie, soit dans 40 pays, selon la directrice du Fonds des Nations Unies, d’en temps. Cf. LY-Tall in [http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2150
Les conséquences
De même, ses conséquences sur la santé physique et mentale des fillettes et des femmes qu’elles deviennent à l’âge adulte sont désastreuses. Elles peuvent être immédiates, à moyen ou long terme, surtout, au moment de la grossesse et de l’accouchement et aller du choc à la mort brutale de la fillette. (cf. Aoua B. LY : Les MGF-excision, une forme extrême de violence faite aux femmes, Le Devoir, 6 février 2006, page Idées).
Il faut du soutien
Récemment, une personnalité canadienne, notamment, la Gouverneure générale du Canada, a donné un coup de pouce important à cette cause, lors de sa visite d’État en Afrique. Bien que question délicate puisque encore taboue, surtout au Mali où cette pratique n’est pas encore interdite, S. E. Michaëlle Jean a pu l’aborder dans son discours à l’Assemblée nationale de ce pays. Avec tact et diplomatie, elle a d’abord félicité les efforts fournis par le gouvernement du Mali : «Je tiens surtout à reconnaître comme signe d’espoir, l’initiative prise par le gouvernement du Mali de tenir en février dernier une importante conférence sur les MGF dont les conséquences sur la vie et la santé des filles sont désastreuses.» Puis, elle a remercié les Maliens et les Maliennes qui travaillent pour la mise en œuvre du Protocole de Maputo (Charte des droits des femmes Africaines) qui stipule à son article 5 que les MGF sont une violation des droits fondamentaux de la personne.
Comme l’ont souligné les reporters qui couvraient sa visite pour Radio-Canada, à savoir Jean-François Bélanger et Jean-François Coulombe : «C’est une déclaration… que les députées femmes ont perçu comme un soutien à une cause qui leur tient à cœur.» Il en est de même pour beaucoup d’Africains, et surtout d’Africaines, qui suivaient attentivement sa visite, en particulier, à travers TV5-Monde. C’est là une importante contribution à l’éradication des MGF-excision.
La face cachée du soutien d'Hérouxville
Nous aurions voulu en dire autant de la municipalité de Hérouxville. Mais, inscrit dans un code de conduite pour les nouveaux immigrant-e-s, cette interdiction prend une autre dimension.
Car, d’une part, ce code fait double emploi par rapport aux lois québécoises et canadiennes. En effet, au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne (1997) et au Canada, le Code criminel protègent les citoyennes contre toute atteinte illicite à leur intégrité physique et mentale. Spécifiquement, en 1997, grâce au lobbying des Africaines appuyées par leurs soeurs québécoises, le gouvernement du Canada a ajouté deux paragraphes à l’article 268 du Code criminel interdisant la mutilation génitale des personnes de sexe féminin.
Au Québec, c’est en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne (1997) que les mutilations génitales sont interdites. Ces lois prévoient des peines criminelles pour les personnes qui pratiquent une MGF ou qui incitent à une telle pratique, ce qui comprend les parents qui auraient demandé l’excision.
De surcroît, les Hérouxvilliens semblent cibler des communautés bien précises dans leur code et non pas s’intéresser à une cause noble, qu’est la protection des femmes contre diverses violences. Ce qui ne peut être perçu que comme un acte de discrimination et être blessant pour ces communautés qui se sentent pointées du doigt. C’est à croire également que les citoyen-e-s de souche peuvent se positionner comme des donneurs des leçons aux autres. Alors qu’il y a un ciment que sont les lois devant lesquelles tous et toutes sont égaux en droits et devoirs. Selon notre expérience, ce genre d’actes est souvent perçus comme une agression culturelle, et, loin d’engendrer des réactions positives, à savoir l’abandon des coutumes néfastes, il entraîne, au contraire, des attitudes négatives, notamment que les populations immigantes se mettent à perpétuer leurs traditions par des résistances culturelles.
Non au code d'Hérouxville
C’est pourquoi, nous, les femmes africaines, tenons à dénoncer l’initiative du code d'Hérouxville. Car, au-delà du fait qu’il affecte l’unité de la nation québécoise composée du peuple fondateur que sont les Canadiens français auxquels se sont ajoutés par vagues successives les immigrant-e-s venu-e-s de différents coins du monde et qui sont entrain, lentement mais sûrement, de bâtir une société modèle du vivre ensemble en harmonie, il sape le travail d’information, d’éducation et de sensibilisation que nous menons depuis plus de dix ans (1995 - 2006) en vue l’abandon de cette pratique par notre communauté.
Nous estimons que c'est un acte irresponsable, posé sans investigations, sans référence aux spécialistes de cette question. Une telle attitude doit être évitée à l’avenir par tous les citoyens et citoyennes du Québec qui doivent veiller sur l’unité nationale et la paix, comme sur la prunelle de leurs propres yeux.
Aoua Bocar LY, Ph.D.
Présidente-fondatrice du Réseau Femmes Africaines, Horizon 2015 (FAH2015)

Sociologue et membre partenaire de l’Institut Santé et Société de l’UQAM


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