René Lévesque

Homme de la parole et de l'écrit

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire


L'historien lit des écrits oubliés, perdus dans la mémoire du temps. Il lui arrive de passer des semaines entières à compulser des textes sans grand intérêt, mais néanmoins utiles pour la compréhension générale du contexte. Et puis viennent ces formidables trouvailles où se cristallise, en quelques lignes, toute une époque. Ce vif plaisir de la découverte, je l'ai ressenti récemment en découvrant un texte totalement oublié de René Lévesque.
Alors qu'il s'apprête à passer le nouvel an avec ses proches, René Lévesque cherche une façon originale de présenter les années 1960 au lectorat du Clairon de Saint-Hyacinthe, le journal de son ami Yves Michaud, pour lequel il écrit depuis quelques mois. Comme tout le monde y va de ses analyses assommantes, le chef du Parti québécois, inspiré par un recueil de Ronsard qui traîne sur son bureau, choisit la forme poétique. Le résultat ne manque pas de panache:

On a tué au Vietnam au Biafra
_ On a tué au Sinaï, en Algérie
_ Che Guevara est mort en Bolivie
_ Mais Papa Doc en Haïti est toujours là
Tant d'espoirs si tôt passés de vie à trépas
_ Kennedys de Dallas et de Californie
_ Tant de fleurs au panier adieu Jackie
_ Onassis sur son yacht Trudeau à Ottawa
Le riche s'enrichit les gros font de la graisse
_ Au lieu de liberté des colonels en Grèce
_ Et contre l'inflation on chôme à Montréal
_ Cadillacs à crédit et vieux pauvres qui brûlent
Innombrables enfants qu'une faim ridicule
_ Fait mourir dans un monde où le blé se vend
_ mal...
...
Bientôt la mini-jupe a suivi la pilule
_ On n'a plus eu du tout les femmes qu'on avait
_ Fini le temps des bébés qu'on faisait
_ Pour remplir les berceaux et souvent
_ les cellules
Barbus aux cheveux longs cibles de belles
_ bulles
_ D'excommunication des imberbes inquiets
_ Êtes-vous beaux ainsi ou bien si laids?
_ Qu'importe si par vous de vieux tabous
_ reculent
On est moins hypocrite et on est plus instruit
_ Deux grands pas même si c'est loin du paradis
_ Que Réal seul s'obstine à promettre sur terre
Si la bombe fait peu la fusée n'a porté
_ Qu'un homme dans la Lune et c'est de ce côté
_ Qu'un jour la paix viendra dans
_ l'interplanétaire...
...
Un jour enfin l'école vint
_ Partout la secondaire
_ Pour tous l'espoir de faire
_ Finir par finir le «p'tit pain»
Révolution sans grands machins
_ Qui change tout sans rien défaire
_ Et demain ses contestataires
_ Seront ses meilleurs citoyens
Un peuple entier vient de renaître
_ Dont le passé n'est plus seul maître
_ Qui va oser vivre au présent...
Mon vieux Québec, tout jeune adulte
_ Ton renouveau te catapulte
_ Vers la liberté simplement...
(Le Clairon de Saint-Hyacinthe, 31 décembre 1969)

Il y aurait beaucoup à dire de ce poème, la vision du monde qui transpire, les espoirs qui percent, sa perception de la Révolution tranquille.
S'il est une chose que rappelle ce texte étonnant, c'est bien la place que les mots ont occupée dans la vie de René Lévesque. Avant d'être ministre et premier ministre, René Lévesque a été journaliste.
D'une carrière à l'autre, il est resté un communicateur de grand talent qui eut recours à la parole et à l'écriture pour expliquer le monde ou convaincre ses concitoyens du bien-fondé de ses idées.
C'est ce René Lévesque, «homme de la parole et de l'écrit», qui sera l'objet du prochain colloque scientifique de la Fondation qui porte son nom et dont la mission est de faire découvrir non seulement son oeuvre et sa pensée, mais aussi tout un pan de notre histoire politique et nationale.
Ce colloque, qui réunira des universitaires de renom, aura lieu le vendredi 4 novembre prochain à la Grande Bibliothèque du Québec.
***
Éric Bédard - Historien et professeur à la TELUQ, porte-parole du comité scientifique du prochain colloque de la Fondation René-Lévesque


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