Onze années après la cession de la Nouvelle-France et la Proclamation royale, l’Acte de Québec incarne un renoncement momentané des autorités britanniques d’assimiler les Canadiens d’origine française. Retour sur cette loi importante de notre histoire constitutionnelle, dont on souligne les 250 ans ce 22 juin.
En 1763, après le traité de Paris, par lequel la France cède presque l’entièreté de ses possessions territoriales en Amérique du Nord, dont le Canada, Londres adopte la Proclamation royale et crée la Province of Quebec. Ce qu’il reste du Canada français après la Conquête assiste à la naissance d’un nouveau Canada, mais britannique celui-là. Londres entend en effet «britanniser» le nouveau territoire conquis par l’immigration et l’assimilation de la population francophone, qui compte alors quelque 60 000 habitants.
Toutefois, la faible immigration britannique dans la Province of Quebec, le mécontentement des Canadiens d’origine française et le contexte tendu dans les Treize colonies américaines obligent Londres à faire preuve de réalisme et à écouter les conseils du gouverneur Guy Carleton. Ce dernier recommandait de renoncer au projet d’assimiler les Canadiens pour entretenir l’harmonie et faciliter la gestion de la colonie. Sa position reçut des appuis à Londres, notamment parmi ceux qui ne voulaient pas répéter les erreurs commises en Irlande. C’est dans ce contexte particulier que le roi Georges III ratifie l’Acte de Québec, le 22 juin 1774.
Plusieurs mesures significatives
Les mesures importantes instaurées en 1774 sont le rétablissement des lois civiles françaises et du régime seigneurial, l’élargissement considérable de la Province of Quebec et l’abolition du serment du test. Celui-ci, en obligeant les individus à renier l’autorité papale et la transsubstantiation du Christ dans l’Eucharistie, restreignait l’accès des catholiques français aux charges publiques.
Un Conseil législatif, dont les membres sont toutefois nommés par le gouverneur, est aussi instauré par l’Acte de Québec. Des Canadiens français catholiques seront nommés par le gouverneur et vont pouvoir siéger au sein de ce nouveau conseil. Il faut toutefois attendre l’Acte constitutionnel de 1791 pour qu’une Chambre d’assemblée élective soit créée.
Les diverses mesures mises en place par l’Acte de Québec plaisent bien entendu aux élites seigneuriales canadiennes et à l’Église catholique, mais déplaisent en revanche aux marchands britanniques de Montréal et de Québec, qui voient les nouvelles mesures comme une victoire des catholiques français. L’élargissement d’une province «papiste» sur les terres fertiles de l’Ohio crée aussi du mécontentement dans les Treize colonies et contribue à la Révolution américaine.
La reconnaissance (partielle) du Canada français
Si on prend la nation québécoise comme objet d’étude, l’Acte de Québec incarne une forme de renaissance. Évidemment, sur le terrain, l’application de la Proclamation royale était déjà assez souple en réalité. Néanmoins, en 1774, une nation conquise dont le destin était de disparaître se voit tout à coup reconnue par son conquérant, qui renonce officiellement à l’assimiler, lui redonne ses institutions et lui permet de continuer d’exister.
À première vue, cette nation issue de la colonisation française semble ainsi se voir offrir un nouvel horizon des possibles, lui permettant d’espérer et de se projeter dans l’avenir. En 1791, l’octroi d’un territoire séparé et d’une Chambre d’assemblée élective viendra conforter l’idée que Londres est magnanime et consent à son épanouissement en Amérique du Nord. Plusieurs Canadiens se berceront de cette croyance pendant un temps.
Toutefois, cette reconnaissance du peuple canadien en 1774 (et davantage en 1791) est incomplète et repose avant tout sur des considérations pragmatiques (voir notre entretien). Le pouvoir politique est toujours entre les mains des Britanniques, qui sont et resteront les véritables maîtres du pays. Les possibles ouverts pour les Canadiens sont ainsi limités par cette mainmise britannique exercée sur le devenir de la colonie. Ces derniers s’en apercevront rapidement et tenteront d’obtenir des réformes, ce qui conduira, sous le régime de l’Acte constitutionnel, aux soulèvements patriotes de 1837-1838. Après ce sursaut national, qui menace le projet de Canada britannique des élites financières et marchandes, Londres renouera d’ailleurs avec ses visées assimilatrices initiales sous l’Acte d’Union de 1840.
Ainsi, à l’échelle de l’histoire nationale des Québécois, l’Acte de Québec représente certainement un gain, une avancée par rapport à ce qui prévalait depuis la Conquête. Cependant, en aucun temps, depuis lors, ce peuple n’a pu disposer pleinement de lui-même. Il est important de le rappeler...
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