Durant la Grande Crise qui a éclaté en 1929 pour se poursuivre jusqu’au milieu des années 1930, on organisait aux États-Unis des marathons au cours desquels les protagonistes devaient danser, pour quelques malheureux dollars, jusqu’à épuisement total. Sidney Pollack en a même fait en 1969 un film remarquable, On achève bien les chevaux.
Les concours en tous genres et les marathons de toute invention semblent inscrits de manière indélébile dans les gènes culturels étasuniens. La crise qui frappe actuellement, la plus importante depuis celle de 1929, vient d’en inventer une nouvelle mouture.
Encore une fois, pour quelques malheureux dollars, ou encore un six-pack de bière, on fait se battre en combats singuliers des clochards qui sont filmés. Le résultat est ensuite diffusé sur YouTube.
On a dénombré près de 6000 de ces vidéos mettant en vedette des bum fights, comme on les appelle si poétiquement. Le bassin de recrutement est pour tout dire inépuisable puisqu’on estime à quelque 700 000 le nombre d’itinérants qui passent leurs nuits dans la rue, dans ce pays autoproclamé paradis de la démocratie.
La crise ! Quelle crise ?
Mais il n’y a que les esprits chagrins pour insister de la sorte sur ce qui ne va pas, alors qu’il y en a tellement pour qui tout va tellement bien.
On en veut pour preuve le pont d’or sur lequel se sont littéralement prélassés quelque 5000 traders de neuf banques étasuniennes en 2008, lesquels ont touché per capita un million de dollars.
Au total, les neuf principales banques de Wall Street ont versé en bonus à leurs dirigeants pas moins de 33 milliards de dollars en 2008. Bien sûr, ces banques ont enregistré quelque 80 milliards de pertes l’année dernière, mais l’État leur a refilé quelque 175 milliards pour se refaire une santé financière. Où ça, une crise ?
Dans un élan qui n’est pas sans nous rappeler ceux de Gérald Tremblay, le président Obama en a appelé récemment à… la responsabilité sociale de Wall Street. Un appel qui a fait crouler de rire les banquiers. « Ce n’est ni juste ni responsable qu’après avoir reçu l’aide du gouvernement, vous vous dérobiez de votre obligation à œuvrer pour une reprise durable, pour un système plus stable et pour une prospérité mieux redistribuée », leur a-t-il dit. Pour toute réponse, on l’a traité de socialiste et de communiste.
L’esprit de prédation ne se trouve malheureusement pas seulement aux USA, même si c’est là qu’il fleurit le plus allégrement. Ainsi, la City est-elle depuis peu secouée par le comportement de quatre « patrons voyous », comme les appelle Le Figaro.
Ayant racheté en 2001 la société automobile MG Rover au bord de la faillite pour la somme nominale d’environ 15 dollars, ces hommes d’affaires pour le moins perspicaces ont déclaré faillite quatre ans plus tard, mettant à la rue 6500 travailleurs. Prévoyants, ils avaient entretemps engrangé à leur profit environ 70 millions de dollars. Une crise ? Où ça ?
John Weaver aussi se demande de quoi il est question quand on parle de crise. Pendant que les usines d’AbitibiBowater, dont il a présidé à la fusion, ferment les unes après les autres un peu partout, dont au Québec à Dolbeau, Donnacona, Beaupré, Shawinigan, Clermont, Lebel-sur-Quévillon, Maniwaki et ailleurs, il a touché une prime de départ de 17,5 millions de dollars quand il a pris sa retraite en juin dernier, au moment où le gouvernement québécois allongeait 100 millions de dollars à la papetière pour éviter une faillite dont le spectre continue de planer.
Pas mal pour quelqu’un qui a conduit ce géant du papier au bord du précipice, qui a brisé l’avenir économique de villes et de villages monoindustriels, mis à la rue des milliers de travailleurs et plongé dans l’inquiétude des milliers de retraités.
Madame la marquise
Et où est-elle la crise pour les cadres du réseau québécois de la santé, qui touchent un cadeau de retraite qui coûte quelque 3 millions de dollars par année ? Une année de salaire si le cadre quitte son emploi avant d’avoir atteint le seuil de la retraite.
Ou encore pour les cadres de l’Université de Montréal, dont on nous apprend qu’en dépit d’un budget de fonctionnement déficitaire, le recteur et les hauts cadres ont touché des augmentations de salaires rétroactives de l’ordre de 2,5 millions de dollars ?
On trouve aujourd’hui de 400 000 à 450 000 familles canadiennes à faire partie d’un club plutôt privé, celui du million de dollars à investir. Mais où est la crise alors qu’on prévoit que dans cinq ans, elles seront plus du double, soit un million de familles millionnaires ?
En 2006, 3,3 % des familles contrôlaient 66 % de la richesse. Autrement dit, il restait 34 % de la richesse pour les autres, soit 96,7 % des familles. La vita è bella, aurait constaté Benito Benigni…
Si, par le plus grand des hasards, il s’était trouvé une marquise dans les environs, on aurait pu lui chanter que tout va très bien, non ?
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