Depuis ces temps anciens où un certain Lord Durham avait accouché d’une recette, sous la forme d’un rapport, clairement vouée à la disparition de cette verrue trop visible sur la face anglaise du nord de l’Amérique que constituait – et constitue encore ! – le peuple canadien-français devenu québécois, les tentatives, programmes, conférences, visées et autres avatars mis en place pour achever le travail ont depuis jonché notre histoire.
L’Acte d’union, la Confédération, les lois anti-françaises en Nouvelle-Écosse en 1864, au Nouveau-Brunswick en 1871, en Ontario en 1916, au Manitoba en 1896, en Saskatchewan en 1909, en Alberta en 1905, la conscription durant les première et seconde guerres, le Labrador, le traité de Westminster, la Constitution de 1982, l’accord du lac Meech, Charlottetown, les référendums de 1980 et 1995, le scandale des commandites, tout cela relève de la même intention présentée sous un jour différent : que nous prenions notre trou !
On nous a par la suite fait l’honneur de nous reconnaître comme nation, mais cette reconnaissance ne nous a pas fait avancer d’un millimètre. Autrement dit, les bottines fédérales n’ont pas suivi les babines fédérales !
Il y a une de ces initiatives que je n’ai pas relevée et qui m’est tombée sous la main récemment : la Déclaration de Calgary.
Quoi ! Vous l’aviez oubliée celle-là ? Cette déclaration de 1997 dont Lucien Bouchard avait déclaré qu’elle était une « insulte ».
Tout le monde en effet l’a oubliée cette déclaration qui est retombée dans un néant d’où elle n’aurait jamais dû sortir tant elle recèle de cynisme et de mépris.
Neuf premiers ministres réunis à Calgary en septembre. Neuf hommes dont il est permis de croire qu’ils ne sont pas nécessairement disposés au ridicule et dont au moins la moitié se sont rendus dans la capitale des cowboys à reculons, la question du Québec, après le référendum, étant reléguée au niveau zéro dans l’échelle de leurs préoccupations comme dans celles de leurs commettants.
Ils s’y sont néanmoins rendus. Et, dans cette capitale des cowboys reconnue pourtant pour la vigueur de ses bœufs d’élevage et de reproduction, eh bien, ils ont accouché d’une souris…
Neuf premiers ministres, dont on peut supposer qu’ils ont un agenda au moins aussi chargé que celui d’un gérant de banque, ont passé deux jours, il y a 22 ans, à se torturer les méninges à se demander si le Québec existait autrement que comme société distincte. À leur décharge, il faut leur reconnaître une capacité hors du commun à cacher leurs véritables sentiments. Pas un seul, en effet, n’était mort de rire au sortir de ce conclave quand ils ont livré au grand jour la trouvaille du siècle.
Dans un pays où toutes les provinces seraient par ailleurs et obligatoirement égales, le Québec ne formerait plus une société distincte – quel vilain mot –, mais serait dorénavant une province unique ! Lucien Bouchard s’était fait cinglant : « Les premiers ministres du Canada anglais ont fouillé dans tous les dictionnaires pour trouver les mots les plus anodins, les plus vides, pour nous nommer. Refusant de nous reconnaître comme un peuple ou comme une nation, apeurés même par la coquille vide de la société distincte, les premiers ministres du Canada anglais sont descendus au soubassement, où ils ont trouvé sans doute le terme le plus passe-partout qui soit : le ''caractère unique’’ ».
Sans doute caché derrière une porte close, bébé Justin avait bu ces mots reconnaissant le multiculturalisme canadien et affirmant que la diversité et la tolérance des Canadiens étaient sans égales dans le monde.
Il y a plusieurs manières de traduire le ridicule. Et le premier ministre de l’Ontario, Mike Harris, n’avait pas tardé à livrer le mode d’emploi de cette nouvelle appellation, qui fut par la suite disséquée par tout ce qu’on pouvait trouver de commentateurs et de savants universitaires dans le ROC.
Le Québec, avait-il expliqué, est aussi unique que peut l’être le Manitoba avec ses Amérindiens et la Colombie britannique avec ses saumons. Ce à quoi Lucien Bouchard avait rétorqué que le Québec est aussi unique que la Labatt Bleue, Wayne Gretsky, la chorale de Régina ou le Skydome…
Il fallait bien sûr s’attendre à ce que Stéphane Dion, ministre de Jean Chrétien et Daniel Johnson Jr, chef de l’opposition libérale aient trouvé dans cette Déclaration de Calgary rien de moins que l’amorce d’un règlement à la question existentielle canadienne. Ce qu’ils firent avec empressement tous les deux.
On avait craint, à l’époque, que cette perle canadienne puisse servir à interpréter la constitution de 1982, résultat du coup de force qu’on connaît. Rien qu’à penser qu’on pourrait devoir amener quelques saumons du Pacifique pour faire prévaloir les droits du Québec en matière de langue, par exemple, voilà qui aurait pu nous conduire à boycotter le bœuf de l’Ouest !