<i>Sorry, I dont speak french! </i>

Anglicisation du Québec


Par Émilie Dubreuil 16 Mars 2009 - Je vis dans un quartier branché, habité par des redingotes hassidiques, des robes de deuil portugaises et les jupes à «raz le plaisir» de filles venues de Toronto pour flâner indéfiniment dans nos rues accueillantes.
Il y a cent ans, le Mile End était une petite ville indépendante avec son hôtel de ville, son église et une population majoritairement canadienne française. Au détour de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs sont venus s’y installer en si grand nombre que la langue parlée par la majorité était le Yiddish. Au cours des années 1970, les Italiens et les Portugais y ont peu à peu remplacés les Juifs partis s’installer dans l’ouest et ont ouvert des commerces. Si bien qu’on retrouve, chez nous, les meilleurs cafés Italiens, des épiceries portugaises, des boucheries hébraïques et les meilleurs bagels au monde. Un quartier formidable donc et qui attire, pour cette raison même, une nouvelle ethnie toute blanche : le Canadien anglais. Mais attention, pas n’importe quelle sorte : l’alter mondialiste/écolo/ conscientisé/ artiste/et curieux de tout… sauf de la société québécoise. Il y a quelques années déjà que j’étudie cette ethnie avec attention et je m’étonne encore de l’incontournable : «Sorry, I dont speak french» prononcés par des êtres aussi scolarisés qui disent avoir choisi de vivre à Montréal, P.Q. parce que la ville vibre distinctement de Toronto, Halifax, Calgary ou Vancouver.
Dans notre inconscient collectif, dans le mien du moins, l’unilingue anglophone de Montréal est incarné par une vieille dame de Westmount qui fait du bénévolat au Musée des beaux arts. Elle parle très bien le français à Paris, mais jamais ici. Son mari est avocat et membre du Parti libéral du Canada. Le couple se lève plus tôt le matin pour détester plus longtemps le P.Q et la loi 101. Ils lisent la Gazette et croient que les francophones sont tous xénophobes. J’ai travaillé au Musée des beaux arts de Montréal pendant mes études et cette race-là, je la connais bien.
Cet unilinguisme-là ne me dérange pas le moins du monde, il me fait sourire par son anachronisme attendrissant. Il nous rappelle pourquoi le Québec a connu des luttes linguistiques, il est le symbole d’une époque révolue, celle où ma mère exigeait qu’on lui adresse la parole en français chez Eaton. Leur «Sorry I do not speak french» est imbriqué dans la culture québécoise, alors que l’unilinguisme des mes contemporains du Mile-End traduit une indifférence que je ne m’explique pas et qui m’insulte. Ils sont aussi incapables de discuter en français que de nommer le Premier ministre du Québec ou le maire de Montréal et ne savent pas si Hochelaga Maisonneuve se trouve à l’est ou à l’ouest de la rue McGill.
La première fois que j’ai rencontré cette indifférence linguistique et culturelle, c’est il y a à peu près dix ans. Une amie m’invite à une fête, chez Amy, une cinéaste torontoise qui vit à Montréal depuis sept ou huit années. Elle vient de réaliser un documentaire sur les femmes lesbiennes en Afrique noire. Devant ses amis, elle est fière de dire qu’elle a dû apprendre le swahili pour entrer en contact avec les gens du pays. Impressionnée, je lui demande en français si l’apprentissage du swahili a été ardu, elle me répond : «Sorry?» avec l’air perplexe de celle à qui on adresse la parole dans une langue inconnue. Je lui repose la question en anglais avant de m’étonner : «You’ve been living here for seven years and dont speak french?!» complètement incrédule devant cette curiosité linguistique paradoxale. Elle me répond, sans saisir à quel point sa réponse est ironique : « French… It’s really hard for me!»
Débute alors une conversation animée. La plupart des convives vivent au Québec depuis plusieurs années et ne parlent pas un christ de mot de français ! Le fait que je veuille comprendre pourquoi, s’ils ne peuvent communiquer avec 85 % de la population, ils sont venus s’installer ici, les exaspère. Rapidement, l’un d’entre eux s’énerve : «les francophones sont racistes, nous avons le droit de parler anglais ici etc.» Manifestement, ça le dérange d’être confronté à un manque de curiosité intellectuelle qu’il refuse d’admettre. Le type est musicien, a fait le tour du monde, mange de la bouffe indienne et, pourtant, l’ethnie et la langue Québécoise ne l’intéresse absolument pas.
L’amie francophone qui m’avait invitée à la fête était verte de honte. Elle étudiait à Concordia et était gênée de moi comme une adolescente qui ramène ses amis à la maison. Elle ne voulait surtout pas qu’il y ait de chicane, que ses amis unilingues l’associent à un une lutte linguistique qu’elle désapprouvait. Stéphanie aurait souhaité qu’on admire son amie qui parle swahili sans soulever le fait qu’elle ne parlait pas le français puisqu’après tout c’était son choix et qu’il fallait le respecter.
Depuis, cette histoire se répète inlassablement. Et je continue le combat. Pas plus tard qu’hier, dans un café, rue St Viateur, un type me drague. Il me déclare, en anglais, que j’ai des yeux magnifiques et qu’il aimerait beaucoup m’inviter à souper. Le gars vient d’Halifax, vit à Montréal depuis cinq ans et suit actuellement des cours de chinois… But guess what? Il ne parle pas français! «French is a very difficult», me dit-il. Je lui renvoie alors que le jour où il sera capable de me demander mon numéro en français, je considèrerai son invitation. Il me répond dégoûté que je ne suis qu’une hystérique : «I guess you are P.M.S right now…» se lève et part. Mon amie Nadia, francophone, demeure interdite devant mon intransigeance et me sermonne : «Voyons t’es ben pas fine ! »
Alors que j’ai rencontré, lorsque je vivais à Toronto ou à Vancouver, de nombreux Canadiens anglais curieux du Québec, de notre langue et de notre culture, je ne cesse de rencontrer à Montréal ce genre de francophones qui se nient eux-même et ces anglophones déconnectés qui ont élu domicile in the Plateau. And I just dont get It.
Well, ce n’est pas pour me vanter, mais à la suite de notre conversation, Amy s’est inscrite à un cours de français intensif à Baie-Saint Paul. Elle parle français avec un accent très mignon et s’est trouvé un job à l’Université du Québec à Montréal. Le musicien, aujourd’hui mondialement connu, est le seul à pouvoir donner des entrevues aux médias francophones lorsque son groupe est de passage à Montréal. Il en est très fier. Chaque fois que je les croise dans le Mile End, ils me remercient, en français, de ne pas avoir été fine. Anyway.
Illustration: Josée Bisaillon


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé