10 septembre 1960

Il y a 50 ans, le RIN

« De nos jours, les peuples n’ont plus besoin d’excuses pour être libres. Car si la liberté n’est pas une fin en soi, elle est la condition essentielle à tout épanouissement réel des hommes et des peuples. »

RIN 50e - le 10 septembre 1960-2010 - "Bourgault"

Le texte 50 ans, plus tard, l’espoir, de votre dernier numéro du Patriote soulignait le cinquantième anniversaire de la victoire du Parti libéral du Québec en 1960. Victoire éminemment historique si on tient compte qu’il est généralement admis que ce 22 juin de cette année-là marque le début de la Révolution tranquille.

Une « révolution » d’abord bien acceptée de la part de l’establishment anglo-canadien. N’est-ce pas un journaliste du Globe and Mail qui, le premier, a parlé de Quiet Revolution ? Mais le ton a vite changé quand ces gens ont pris conscience qu’une volonté d’émancipation politique a vite accompagné la volonté de séculariser la société québécoise.

[->8687] Mais ce que les générations nouvelles ne savent suffisamment pas – parce que l’on ne leur a scandaleusement pas appris -, c’est le rôle que le RIN a joué dans cette brusque apparition de la question nationale dans l’agenda politique québécois. Et, propre au caractère particulier de toute révolution, ce qui l’a permis fut essentiellement les actions d’éclat, la compétence et le talent d’un tout petit groupe d’intellectuels et d’artistes politiquement engagés. Pour mieux s’en convaincre, quoi de mieux que de lire, et de relire, les chapitres 5, 6 et 7 de l’excellente biographie qu’a produite Jean-François Nadeau sur Pierre Bourgault. i

Tout débute un 10 septembre à Morin Heights

Nadeau nous apprend que tout commence dans à un petit hôtel de Morin Heights. C’est là que se rencontrent souvent en fin de semaine de frais diplômés d’universités et de jeunes artistes. Et c’est par André D’Allemagne que tout a commencé. Traducteur de profession, D’Allemagne est un ami du propriétaire de cet Hôtel du Chatelet et c’est à cet endroit qu’il a reçu les invités à son mariage avec la journaliste Lysiane Gagnon (Une Lysiane Gagnon qui, depuis maintenant moult lunes, a pris le parti de nager dans une toute autre eau).

À la fin de l’été 1960, alors que l’équipe du Tonnerre est bien en selle à Québec, les amis de D’Allemagne parlent d’indépendance. À peu près tous sont membres de l’Alliance Laurentienne de Raymond Barbeau mais entendent créer un mouvement indépendantiste non affilié à ce dernier jugé trop à droite. On décide alors d’inviter quelques dizaines de personnes le 10 septembre à ce même endroit, afin d’y jeter les bases du mouvement.

Le 10 septembre, il n’y a guère plus qu’une vingtaine de personnes ayant accepté l’invitation. Le mouvement est tout de même créé. Il s’appellera «Rassemblement pour l’indépendance nationale». Tout de suite, André D’Allemagne se démarque d’entre tous les intervenants, comme en ont témoigné le comédien Yvon Thiboutot et son épouse Louise: «À cette époque, D’Allemagne n’était pas un homme de gauche, mais il n’était certainement pas de droite. Son sens politique nous apparaissait extrêmement raffiné. Il avait de grandes préoccupations sociales. Dans les discussions, il finissait par rassembler des gens plus à gauche que lui.» 

Pierre Bourgault entre dans le décor

N’était pas à cette réunion de fondation, celui qui allait ensuite permettre la plus grande enjambée au nouveau mouvement. Ayant voulu faire une carrière de comédien après avoir fait partie d’une troupe de théâtre amateur, le jeune Pierre Bourgault avait été régisseur de plateau à Radio-Canada. Mais rien dans sa vie ne marchait comme il aurait voulu jusqu’au jour où, sortant de chez lui, il rencontre le poète Claude Préfontaine qui l’invite à l’accompagner chez D’Allemagne.

Préfontaine : « J’avais déjà parlé à Bourgault du groupe que nous avions constitué en faveur de l’indépendance. Il était d’un naturel curieux. Il voulait savoir. Alors, ce soir-là, il est venu chez D’Allemagne. Et je crois qu’il fut le dernier à partir! C’est D’Allemagne qui lui a tout enseigné, du moins au début. »

Pierre Bourgault est très vite fasciné par cette idée de l’indépendance du Québec. Mais il n’en soutient pas moins «qu’il lui fallut six ou sept mois pour s’en convaincre que c’était vraiment valable. Ce ne sera qu’après mures réflexions qu’il fera le saut.

Au début, des assemblées de cuisine

«Dès le début, écrira-t-il en 1982, ii nous commençâmes à tenir des assemblées de cuisine. Je me souviens encore de la première. C’était un samedi soir. Il y avait là, réunies dans un petit appartement, 11 personnes venues nous rencontrer, D’Allemagne et moi. (…) Même la dialectique étonnante de d’Allemagne semblait impuissante à percer ce mur d’habitudes et de servilité consentie. Nous sortîmes de cette réunion anéantis, complètement découragés. » Mais, à leur grande surprise le lundi suivant, neuf des personne présentes avaient adhéré au RIN.

Le manifeste du RIN

En octobre 1960, à l’occasion de sa première assemblée générale, le RIN adopte son Manifeste dans lequel on pouvait entre autres lire : « De nos jours, les peuples n’ont plus besoin d’excuses pour être libres. Car si la liberté n’est pas une fin en soi, elle est la condition essentielle à tout épanouissement réel des hommes et des peuples. »

Le 26 novembre suivant, le RIN tient son premier congrès officiel. 80 indépendantistes établissent les statuts du parti et élisent une équipe de direction avec André D’Allemagne comme président. En page 97 de Bourgault, Nadeau écrit que celui-ci n’est pas encore tout à fait là, mais que son militantisme en faveur de l’indépendance le révèlera peu à peu. «Cette lutte devient sa terre ferme, le seul espace où il lui apparaît possible d’être libre en prenant de la hauteur, en ayant le sentiment d’être libre. »

C’est peut-être à ce moment-là que Bourgault influencera le plus le mouvement en prônant des manifestations populaires dans le rue, chose que, plus tard, René Lévesque lui reprochera, surtout après le célèbre défilé de la Saint-Jean 1968 où la présence de Trudeau à l’estrade d’honneur avait provoqué une sérieuse échauffourée avec les policiers.

Première manifestation de rues

C’est le samedi 11 février 1961 que débute la première de ces manifestations de rue. « Notre Québec indépendant, nous l’aurons » et «Le Québec aux Québécois», peut-on lire sur deux des Volkswagen coccinelles qui prennent part au défilé.  Le lendemain de cette manif, un quotidien de Montréal rapporte l’événement avec photo de Guy Sanche en compagnie de Pierre Bourgault.
Moins d’un an après la fondation du RIN, les médias québécois peuvent de moins en moins ignorer le mouvement et le message radical qu’il véhicule.
D’autant plus qu’en février, l’affaire Chaput fait la manchette. Chimiste à l’emploi du Ministère de la défense à Ottawa, Marcel Chaput, est alors âgé 42 ans, est marié et père de trois enfants. Mais ses idées d’indépendance du Québec rebutent ses patrons. Devenu vice-président du RIN, Chaput persiste dans ses convictions. Les médias dévoilent le conflit et, ce faisant, la population apprend davantage sur l’existence de ce mouvement appelé RIN et pour quelle fin ses membres militent.

Tout bascule en pleines éliminatoires de hockey

Chaput sera de la première assemblée publique du RIN le 4 avril au Gesù où plus de 500 personnes de sont massées pour le voir et l’entendre à la suite des discours de d’Allemagne et Bourgault. Une telle foule alors que, ce soir-là, les Canadiens risquent l’élimination aux mains des Blackhawks!

À la fin de la soirée, les effectifs du RIN ont doublé. Le lendemain, Gérard Filion, directeur du Devoir, commente : «Si deux parfaits inconnus ont réussi à attirer 500 personnes  le soir d’une joute finale de la coupe Stanley, c’est qu’il se passe quelques chose de nouveau au Québec.» Et Nadeau de commenter: « Tous les journaux parlent de la soirée. Plus que le hockey, c’est l’événement qui a marqué la ville ce jour-là.»

Depuis cette mémorable soirée, le RIN a le vent en poupe. Et il l’aura jusqu'à ce qu’il se saborde le 27 octobre 1968 à peine quinze jours après la fondation du Parti Québécois. Pendant les sept ans qui ont précédé ce sabordage, font salles combles, toutes les assemblées publiques où Bourgault intervient. De son expérience de Démosthène québécois, il dira : « (En début de discours), je n’avais que prononcer « Mes chers amis », puis là, il y avait une grande ovation de cinq minutes avant que je puisse commencer à parler. » iii

D’abord président de la section de Montréal avant de le devenir pour tout le mouvement en 1964, Bourgault multipliera les actions d’éclat afin que médias donnent de plus en plus d’espace et de temps d’antenne au RIN et à l’idée d’un Québec indépendant. Ce fut d’abord l’arrivée de Marcel Chaput à la gare Windsor le 4 décembre 1961 suite à sa démission en tant que fonctionnaire fédéral, puis, entre autres, le sit-in organisé dans un restaurant Murray’s du centre-ville afin de protester contre l’unilinguisme anglais des serveuses.

Le RIN, parti politique

Devenu parti politique, aux élections de 1966, le RIN présentera des candidats dans plusieurs comtés, dont Bourgault dans Duplessis. L’arrivée de ce tiers parti appelé RIN sera funeste pour les libéraux de Jean Lesage. Mais il n’y aura pas que la division du vote qui a fait que l’Union nationale a alors pris le pouvoir malgré une minorité de voix. Par son slogan «Égalité ou indépendance», Daniel Johnson a été le premier de nos politiciens à se faire du capital politique avec les idées véhiculées par le RIN.

La visite de De Gaulle : l’apothéose

Un an plus tard, un autre politicien, du nom de René Lévesque, est à la veille d’également récupérer le travail du RIN. Mais il faut d’abord qu’un célèbre général reçoive son ami Johnson à l’Élisée, s’embarque sur le Colbert en direction de Québec et, de là, remontre triomphalement le Chemin du Roy vers Montréal.

Quelques jours auparavant, Pierre Bourgault avait fait un appel spécial à tous les membres du RIN. Au soir du 22 juillet, Ils se doivent de tous se rendre aux abords de l’hôtel de ville afin d’accueillir avec chaleur et éclat le président de la République française. Opération réussie. Au lendemain du célèbre cri du général, on avait appris à New York tout comme à Pékin que, au nord-est des USA, il existait un presque-pays appelé «Québec».

Le sabordage

Malheureusement, ce fut le chant du cygne pour le RIN. Au congrès de décembre 1968, Andrée Ferretti et ses amis ont beau s’être débattus pour que, dans le moins des moins, le RIN, parti politique, retourne au mouvement de pression qui avait tant fait pour le Québec, rien n’y fit. Le PQ lui ayant siphonné trop de membres, ceux qui lui restèrent fidèles ont suivi le conseil d’un Bourgault prônant le sabordage. Les invitant ensuite à s’investir massivement dans le parti de René Lévesque. On connait la suite.

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1 Jean-François Nadeau, Bourgault, Montréal, Lux Éditeur, 2007

11 Bourgault, page 95, tiré de Pierre, Bourgault, Écrits et polémiques 1960-1981. La politique, Québec/Loisir, VLB Éditeur. 1982

111 En page 108 de Bourgault – témoignage de Bourgault dans le film de jean-Claude Labrecque, Le RIN, Les productions Virage 2002, 78 minutes.


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