L’erreur de Pierre Bourgault

Pour la suite des choses

Ce glissement d’une revendication de liberté à une revendication d’égalité nous a conduits d'échec en échec

RIN 50e - le 10 septembre 1960-2010 - "Bourgault"

En histoire, il y a les faits et les interprétations. Dans le cas du sabordement du RIN, le fait est que Pierre Bourgault, au retour de sa tournée européenne, soit près d’un an avant l’évènement, a convoqué le conseil exécutif du Parti dont j’étais alors la vice-présidente, pour nous faire part de son intention d’entreprendre des pourparlers avec le MSA, dans le but déclaré sans vergogne que l’union des deux organismes était le chemin le plus rapide pour lui de se faire élire et de siéger comme député indépendantiste à l’Assemblée nationale. Cette attitude peut sembler improbable, mais elle est vraie et naturellement concevable pour qui a connu l’incommensurable vanité de Bourgault, facilement décelable dans le film RIN de Jean-Claude Labrecque. Ce qui bien sûr n’atténuait en rien sa profonde intelligence de la nécessité de l’indépendance, encore moins ses qualités de grand tribun.
Pierre Bourgault n’en a pas moins par la suite pris tous les moyens pour parvenir à ses fins, jouant de son prestige et, surtout, de son talent d’orateur pour convaincre les militants, au cours des réunions et assemblées tenues dans les comtés et les régions, de la justesse de ses diverses stratégies et démarches qui, comme le relève Jean-François Nadeau ([Le Devoir, 13 avril 2007->5968]) allèrent d’une proposition d’intégration du MSA, proposition fumeuse et trompeuse pour qui, c’est-à-dire tout le monde, savait que René Lévesque ne pourrait que la refuser, à la proposition finale de dissoudre sans condition le RIN. Cette volonté de saborder le RIN, d’une manière ou d’une autre, a été parmi les autres, la cause la plus déterminante de ma décision de quitter le Parti, comme elle l’a été, plus tard, pour Hubert Aquin.

Peut-être qu’au-delà de ses ambitions personnelles, l’objectif poursuivi par Pierre Bourgault était justifié et justifiable. C’est le privilège de l’interprétation de le démontrer ou de l’infirmer.
***
Pour ma part, j’ai toujours cru que le Mouvement souveraineté-association, fondateur du Parti québécois, était, dans son essence, le fossoyeur de l’indépendance. Comme je l’ai écrit et récrit au cours des trois dernières décennies, il m’apparaît évident que la réduction de la visée inaugurale de l’indépendance de l’État québécois comme moyen sine qua non d’émancipation politique, économique, sociale et culturelle du peuple québécois, au projet technico-économique de souveraineté-association des États québécois et canadien ne pouvait que mener au renforcement de la perception populaire, alors toute-puissante, que le Québec n’est viable que dans le Canada.
Passer d’une revendication de liberté comme enjeu fondamental de notre entreprise d’émancipation nationale, à une revendication d’égalité avec l’instance politique qui n’avait d’autre intérêt que de nous maintenir sous sa domination, c’était nous soumettre à son bon vouloir. Au contraire, revendiquer la liberté signifiait que nous nous posions d’emblée dans un rapport d’égalité de droit et impliquait que seule une forme certaine d’oppression nous empêcherait de fait d’en exercer les prérogatives.
Mais la conséquence la plus grave et toujours actuelle de ce glissement d’une revendication de liberté à une revendication d’égalité, appuyée sur un nécessaire partenariat, est qu’elle frappe de non-sens tout processus de séparation préalable à l’indépendance. Ce que tous ses adversaires ne cessent de faire valoir au peuple québécois, en lui promettant une forme ou une autre de réaménagement du fédéralisme canadien, la dernière étant sa plus grande ouverture. La renonciation d’emblée à une rupture préalable d’avec l’État canadien, avant toute proposition de négociations pouvant mener, si nécessaire, à une quelconque association politique et partenariat économique institutionnalisés, a porté notre lutte sur le terrain de l’adversaire et l’y maintient, nous conduisant d’échec en échec.

Que serait-il advenu de la lutte pour l’indépendance si Pierre Bourgault n’avait pas dissout le RIN? Bien présomptueux celui ou celle qui pourrait le dire. Non seulement on ne refait pas l’histoire, mais on peut difficilement la réécrire de but en blanc. Une chose demeure pourtant certaine à mes yeux, c’est que la lutte est aujourd’hui à reprendre sur des bases nouvelles, radicalement différentes de celles instaurées par le Parti québécois dont le dernier revers électoral montre à l’évidence que les compromis sur l’objectif et l’étapisme comme stratégie ont été d’une funeste inefficacité.
Reste à savoir si le Parti québécois peut se réformer suffisamment pour être le lieu du nouveau combat ou s’il ne serait pas plus propice à son succès de créer un nouveau Rassemblement pour l’Indépendance Nationale. Dans un cas comme dans l’autre, il ne faut surtout pas, sous prétexte de la difficulté du contexte, que nous cédions une nouvelle fois à la tentation du réductionnisme. Seul l’objectif de l’indépendance pleinement assumé par les forces qui la souhaitent et la promeuvent peut constituer une source d’inspiration susceptible d’unir le peuple québécois et de le mobiliser dans l’enthousiasme pour atteindre enfin le pouvoir de maîtriser son destin.

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Andrée Ferretti124 articles

  • 121 200

"Rien de plus farouche en moi que le désir du pays perdu, rien de plus déterminé que ma vocation à le reconquérir. "

Andrée Ferretti née Bertrand (Montréal, 1935 - ) est une femme politique et
une écrivaine québécoise. Née à Montréal dans une famille modeste, elle fut
l'une des premières femmes à adhérer au mouvement souverainiste québécois
en 1958.Vice-présidente du Rassemblement pour l'indépendance nationale, elle
représente la tendance la plus radicale du parti, privilégiant l'agitation sociale
au-dessus de la voie électorale. Démissionnaire du parti suite à une crise
interne, elle fonde le Front de libération populaire (FLP) en mars 1968.Pendant
les années 1970, elle publie plusieurs textes en faveur de l'indépendance dans
Le Devoir et Parti pris tout en poursuivant des études philosophiques. En 1979,
la Société Saint-Jean-Baptiste la désigne patriote de l'année.
Avec Gaston Miron, elle a notamment a écrit un recueil de textes sur
l'indépendance. Elle a aussi publié plusieurs romans chez VLB éditeur et la
maison d'édition Typo.





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8 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    19 avril 2007

    Salutation citoyennes et citoyens,
    Merci pour votre franchise, Monsieur Turcotte. Je vous félicite pour votre implication, notamment auprès des jeunes. Votre position me fait penser à celle d'un animateur en faveur de la Patrie. En effet, la Patrie transcende les partis politiques. Néanmoins, il arrive de développer un préjugé favorable pour un parti qui se dit souverainiste. Mais on peut perdre ses illusions en lui à un moment donné, mais jamais dans la Patrie...
    Dans le mouvement nationaliste actuel, il y a une espèce d'attentisme comme ce fut le cas trop souvent dans le PQ... Il manque une locomotive indépendantiste... Avant de parler de coalition, il faut que s'active un groupe nécessairement restreint de prime abord... Comme ce fut le cas pour la création du RIN, par exemple... C'est une méthode d'action qui a fait ses preuves et qui conserve sa pertinence...
    Un autre exemple, ce fut un autre groupe restreint qui a créé le Parti de la République du Québec tout récemment... La démocratie le permet...
    Certes, Madame Ferretti pourrait jouer un rôle dans cette locomotive indépendantiste.
    Gilles Brassard

  • Archives de Vigile Répondre

    18 avril 2007

    Madame Ferretti,
    Je ne peux m'empêcher de penser qu'une femme présidente aurait certainement eu l'intelligence de ne pas laisser un vain désir d'aller jouer la réincarnation de Papineau au théâtre du Parlement prendre le dessus sur les intérêts supérieurs de toute la nation.
    Puisque nous sommes déjà pour la grande majorité résolus à marcher vers l'indépendance sans recourir à la force des armes, je ne vois vraiment absolument rien dans le paysage qui puisse autoriser la prédominance mâle au sein de nos actuelles et futures « institutions » indépendantistes. Je crois que nous devrions nous assurer de les constituer de façon à imposer une stricte égalité homme-femme dans toutes leurs instances exécutives.
    Notre mouvement peut-il se permettre de laisser le désir masculin d'être le premier et pire encore, l'esprit d'adversité qui règne trop souvent dans les relations entre hommes, ruiner plus longtemps la possibilité d'une coalition de toutes nos forces sociales?
    Félix Leclerc ne suggérait-il pas, dans Des étrangers dans nos murs, que seules les femmes peuvent réaliser l'indépendance?
    C'est toi, ma mère, qui va une fois pour toutes régler ce problème, toi d'abord, la femme, et personne d'autres. - Félix Leclerc, 30 octobre 1976

  • Archives de Vigile Répondre

    18 avril 2007

    Monsieur Brassard,
    Les textes que j'écris et les gestes que je pose sont publics. Si mes textes vous intéressent, publiez-les...Si les gestes que je pose peuvent alimenter votre journal, emparez-vous de ceux-ci.
    La semaine prochaine, je vais, par exemple, rencontrer 6 groupes de Secondaire IV dans une polyvalente pour leur parler de l'époque de la Révolution tranquille. J'ai fait la même chose devant d'autres étudiants dernièrement. Je leur parle de ce qui s'est passé avant. Je les invite à décider pour eux, en avant...
    Quant à mes écrits, je les distribue un peu partout. Certains journaux les publient. D'autres pas. Si vous voulez les publier, libre à vous de le faire. Il conviendrait de m'en avertir au préalable.
    Je n'écris pas pour un journal en particulier, car au pays du Québec, bien des gens ne font pas la distinction entre écrire et écrire pour défendre une idéologie partisane. Je veux garder mes coudées franches. Et encenser, si c'est nécessaire les actions des uns et critiquer, sur l'occasion se présente, les propos des autres.
    Dans certains milieux, on pense que je suis devenu fédéraliste parce que je critique les démarches et les positions dites «souverainistes»... Libre à eux de le penser. De plus, je ne veux pas servir d'outils de propagande pour une option plus que l'autre. C'est pourquoi, je prône depuis des lustres que la question de l'indépendance nationale DEVRAIT se détacheR des partis politiques. Je ne veux surtout pas devenir la caution du PQ qui est devenu, au fil des ans, tout, sauf un parti indépendantiste.
    IL FAUT CRÉER UN MOUVEMENT INDÉPENANTISTE. Se délier de la politique partisane. Ainsi, la coalition tant souhaitée, naîtra dans le peuple et le peuple, en mouvance, fera faire l'indépendance, le temps voulu, aux autorités politiques en place.
    Merci.
    Nestor Turcotte
    Matane

  • Archives de Vigile Répondre

    18 avril 2007

    Salutation citoyennes et citoyens,
    Merci pour votre commentaire, Monsieur Turcotte.
    Il revient à chacun(e) de déterminer son implication face à la Patrie selon sa motivation, sa disponibilité et sa capacité.
    Pour ma part, je distribue régulièrement "Presse Québécoise". C'est un journal mensuel d'éducation patriotique et littéraire.
    Il faut une présence régulière sur le terrain... Si j'étais musicien, j'oserai chanter des chants patriotiques dans le métro... Ou encore dans le parc public faisant face au magasin "La Baie" au centre-ville de Montréal...
    C'est plein d'orateurs, de conférenciers, d'écrivains pour la Cause nationale. L'argumentaire en faveur de l'indépendance nationale est connue. Ce qu'il faut, me semble-t-il, c'est une activité mensuelle sur la place publique...
    Comme le dit bien souvent Monsieur Benoît Roy, Président du RPS, il y a un temps pour réfléchir, mais un autre pour agir...
    Seriez-vous intéressé d'écrire pour "Presse Québécoise", Monsieur Turcotte ?

  • Archives de Vigile Répondre

    17 avril 2007

    Monsieur Brassard,
    Voilà le problème: il y a une foule de mouvements qui se disent indépendantistes, mais, si on scrute en profondeur leur idéologie, ils le sont plus ou moins. Comme le PQ, par exemple. Qui est essentiellement un parti confédéraliste. A la Mario Dumont.
    Pour éviter cette «mouvance» qui mène dans toutes les directions, il faut faire du neuf. Ceux qui viendront militer dans le MIQ sauront à quelle enseigne le mouvement se situe.
    Nestor Turcotte
    Matane

  • Archives de Vigile Répondre

    17 avril 2007

    Salutation citoyennes et citoyens,
    Il existe déjà bon nombre de groupements indépendantistes. Il s'agit de déterminer lequel pourrait constituer la locomotive du mouvement... Il pourrait y avoir aussi une rotation des interventions des divers groupes de façon à ce que la Question nationale circule davantage sur la place publique...
    Autrement dit, ne serait-il pas souhaitable que le mouvement indépendantiste soit davantage une mouvance... ?

  • Archives de Vigile Répondre

    17 avril 2007

    Il faut oublier les partis politiques pour réaliser l'indépendance du Québec. L'histoire du PQ démontre que la partisanerie ne mène nulle part. Il y a des indépendantistes dans tous les partis politiques. Il faut donc transcender les factions politiques partisanes et se regrouper autrement. J'ai écrit ailleurs comment procéder.
    Qui est le rassembleur et qui prend l'initiative de commencer?
    Nestor Turcotte
    Matane

  • Archives de Vigile Répondre

    17 avril 2007

    Salutation citoyennes et citoyens,
    Le RIN, à défaut d'être un parti politique, aurait-il pu cependant continuer comme mouvement indépendantiste servant de "chien de garde" de la Cause nationale ?
    Avant de parler d'un éventuel parti authentiquement indépendantiste, ne faudrait-il pas au départ constituer un mouvement indépendantiste digne de ce nom ?