L'arnaque

Voir là un gain substantiel pour le Québec équivaut à prendre des vessies pour des lanternes.

Québec face au "pouvoir de dépenser" d'Ottawa

«Un pas dans la bonne direction», a déclaré le ministre responsable des Affaires intergouvernementales, Benoît Pelletier, à propos du projet de loi sur le «pouvoir de dépenser» dont le premier ministre Harper a annoncé la présentation lors du discours du Trône.
En 1999, Jean Charest, alors chef de l'opposition officielle à l'Assemblée nationale, avait utilisé la même expression quand le gouvernement Chrétien avait conclu une entente sur l'«union sociale» avec toutes les provinces, sauf le Québec. Il avait fallu que Claude Ryan le rappelle brutalement à ses devoirs dans une lettre publiée dans les journaux.
Cette entente avait exactement le même défaut que ce que M. Harper projette de faire. Comme ses prédécesseurs libéraux, il entend limiter le pouvoir du gouvernement fédéral de lancer de «nouveaux programmes à frais partagés dans les compétences exclusives des provinces».
Le problème, c'est que ce type de programme conjoint est presque tombé en désuétude. La limitation prévue à l'accord du Lac-Meech ne correspond tout simplement plus à la nouvelle réalité du fédéralisme canadien, de la même façon que la «société distincte» ne rend plus justice à la «nation» que les Québécois ont maintenant le sentiment de constituer.
Au cours des dernières années, les interventions fédérales dans les champs de compétence des provinces n'ont pas pris la forme de programmes à frais partagés. Il s'agissait plutôt d'initiatives unilatérales, l'exemple le plus spectaculaire étant celui des Bourses du millénaire.
Autrement dit, le projet de loi de M. Harper serait sans objet concret. Qu'importe la compensation financière offerte ou les conditions imposées s'il s'agit de situations purement hypothétiques? Voir là un gain substantiel pour le Québec équivaut à prendre des vessies pour des lanternes. Malheureusement, M. Ryan n'est plus là pour rappeler aux libéraux qu'il faut appeler un chat un chat. Et une arnaque une arnaque.
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Pire encore, le projet de M. Harper aurait pour effet de reconnaître au gouvernement fédéral le droit d'intervenir de façon unilatérale dans les compétences provinciales dans la mesure où il ne l'interdirait pas. On dit que «le législateur ne parle pas pour ne rien dire». C'est aussi vrai de ce qu'il ne dit pas.
C'est d'ailleurs la position que Benoît Pelletier a toujours défendue dans ses discussions privées avec ses interlocuteurs fédéraux. Il ne voulait pas d'une limitation bidon qui aurait l'effet contraire de celui que le Québec recherche depuis des décennies. Pour le moment, la Constitution est totalement muette au sujet du pouvoir de dépenser. Enchâsser une limitation qui ne serait pas étanche reviendrait à consacrer celui-ci.
Lors de la conférence constitutionnelle de septembre 1970, Robert Bourassa avait exprimé très clairement ce que le Québec a toujours souhaité: «Idéalement, ce pouvoir de dépenser dans des matières relevant de la compétence exclusive des provinces devrait tout simplement ne pas exister et le gouvernement fédéral devrait y renoncer tout bonnement.»
Toutefois, M. Bourassa ne se faisait aucune illusion. Jamais Pierre Elliott Trudeau n'y aurait renoncé. Pas plus aujourd'hui qu'à l'époque, un front commun des provinces pour forcer la main d'Ottawa n'est envisageable. De toute manière, il ne s'agit pas d'une entente fédérale-provinciale mais d'un projet de loi qui relève strictement du Parlement fédéral.
M. Pelletier a voulu voir dans le discours du Trône une invitation à négocier, et il mise sur la conclusion d'une entente bilatérale qui accorderait au Québec un traitement différent. Il est vrai que M. Harper a fait adopter par la Chambre des communes une motion qui reconnaît l'existence d'une nation québécoise au sein du Canada, mais il n'a donné aucune indication à ce jour selon laquelle il serait disposé à limiter pour autant les pouvoirs du gouvernement fédéral. Au contraire, son séjour au 24 Sussex Drive semble avoir commencé à modifier sa vision décentralisée du fédéralisme.
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Mario Dumont était cependant bien mal placé pour dénoncer la mollesse du gouvernement Charest. Certes, M. Pelletier est un fédéraliste inconditionnel, qui a toujours été d'un très grand optimisme en matière constitutionnelle, mais le chef de l'ADQ a des prétentions autonomistes qui semblaient bien timides hier.
Dans ses commentaires sur le discours du Trône, il a adopté le même ton conciliant qui avait caractérisé son tristement célèbre discours devant le Canadian Club de Toronto en septembre 2002. Lui aussi était tout disposé à «recevoir favorablement» la proposition du gouvernement Harper, même si certains «détails» mériteraient sans doute d'être discutés.
Manifestement, M. Dumont était bien déterminé à ne pas chercher noise à M. Harper. C'est tout juste s'il a réitéré son souhait de voir le Canada adhérer au protocole de Kyoto. Dans le cas de l'industrie forestière, que le discours du Trône a à peine évoquée, il a plutôt reproché au gouvernement Charest de toujours blâmer Ottawa!
Au départ, le «pouvoir de dépenser» est un de ces sujets qui paraissent bien ésotériques au commun des mortels, et M. Dumont a hérité de Robert Bourassa d'un véritable don pour compliquer les choses qui ne le seraient pas suffisamment.
Hier, il a été au centre d'un véritable embrouillamini dont le résultat a été d'empêcher l'Assemblée nationale d'adopter une position unanime. Le premier ministre Charest n'a même pas eu besoin de chercher un synonyme pour le mot «girouette». Le comportement du chef adéquiste parlait de lui-même.
La position du PQ, comme celle du Bloc québécois, est parfaitement conséquente avec le projet souverainiste, dont le «pouvoir de dépenser» du gouvernement fédéral constitue la négation même. Elle a simplement le défaut d'être irréaliste.
Dans la mesure où Pauline Marois a renvoyé le référendum aux calendes grecques, il faudra bien qu'elle se résigne à gouverner dans le cadre constitutionnel actuel. Or, à l'extérieur du Québec, personne ne souhaite l'élimination complète du pouvoir de dépenser. À moins de renoncer purement et simplement aux transferts fédéraux, un véritable encadrement demeure sans doute un moindre mal.
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mdavid@ledevoir.com


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