L'autre secret sur le français

La donnée-clé du recensement de 2006 pour le français est que les trois quarts des immigrants «allophones» passent au français plutôt qu’à l’anglais.

La langue - un état des lieux



Quel choc hier matin, mesdames et messieurs, j’allais dire en ouvrant ma Presse, mais il n’était pas nécessaire de l’ouvrir : le scandale s’étalait sur tout le haut du pli.


«Québec cache ses chiffres.» Ça sentait la crise nationale et le complot. De quels chiffres parle-t-on? Que nous cache-t-on encore ?
Ceci: les gens de langue maternelle française sont tombés sous la barre des 50% dans l’île de Montréal. Vous n’avez peut-être rien entendu, mais ils sont tombés. Bong. Et ils tomberont encore plus bas. Re-bong.
Ce ne sont pas les chiffres qui sont secrets, puisque Statistique Canada nous a dressé le portrait linguistique du Québec l’automne dernier, à partir du recensement de 2006.
Ce qui nous est caché, c’est une étude, envoyée il y a 17 mois à l’Office de la langue française (OLF), et qui constatait déjà cette donnée démographique, projetant son accentuation. L’auteur, le démographe Marc Termote, dit qu’on refuse de publier son étude pour des raisons politiques, parce qu’elle est perçue comme trop explosive politiquement.
La ministre Christine St-Pierre comme l’OLF le nient, mais qu’importe, le feu identitaire a repris. Mario Dumont dit que le gouvernement Charest a floué les Québécois en cachant cette étude, qui aurait pu compromettre la décision du gouvernement de faire passer de 45 000 à 55 000 le nombre d’immigrants, plaide-t-il.
La première chose à dire est archiclassique : tout ce qu’on paraît cacher fait naître la suspicion. Quels que soient les motifs de ce retard, la première réponse à donner, ce ne sont pas des excuses, c’est le document lui-même. En ce moment, on a un auteur qui rue dans les brancards à propos d’une étude envoyée il y a 17 mois. Qu’on la publie et qu’on en parle intelligemment. On verra si elle est «dévastatrice».
La deuxième chose, même si on n’a pas l’étude encore, c’est qu’il est incontestable que le nombre de gens dont la langue maternelle est le français a diminué au Québec depuis 10 ans. Mais le nombre d’anglophones aussi. Le Québec ne s’anglicise donc pas. Il se diversifie.
Pour la très simple raison que le Québec, qui accueillait moins de 15 000 immigrants par année il y a 25 ans, en accueille plus de 40 000 depuis plusieurs années. En même temps, le taux de fécondité des Québécoises, francophones ou anglophones, est très faible.
Si en plus on isole les habitants de l’île de Montréal, les données sont plus spectaculaires encore: les immigrants s’y concentrent et de nombreuses jeunes familles francophones migrent vers les banlieues. Oui, mais même les banlieues sont moins francophones, ajoute le démographe. En effet, puisque des immigrants s’installent à Laval, à Longueuil, à Brossard.
Est-on devant une dévastation ? Non.
La question est de savoir si le français au Québec et à Montréal est menacé par cette diminution proportionnelle. Dans l’absolu, oui, le français est menacé par définition au Québec. C’est notre condition existentielle, pour ainsi dire. Cette langue sera toujours à défendre et à promouvoir. Elle n’aura jamais la partie facile en terre d’Amérique. Le français est encore plus fragilisé si les francophones ne se reproduisent pas assez, comme l’avaient calculé les curés il y a 200 ans, avant l’invention de la démographie. Sans parler de ce qu’on pourrait améliorer en termes de francisation des immigrants, pour renverser l’équation démographique sans faire plus d’enfants, il faudrait limiter l’immigration. C’est mathématique.
Mais les données récentes sont-elles alarmantes? Ce n’est pas mon point de vue. La donnée-clé du recensement de 2006 pour le français est que les trois quarts des immigrants «allophones» passent au français plutôt qu’à l’anglais. C’est la plus forte proportion jamais enregistrée. Il y a 40 ans, la majorité passait à l’anglais.
Ce renversement de tendance s’est fait grâce à la loi 101 et par l’envoi à l’école française des enfants d’immigrants. À une époque où l’immigration a pris une telle ampleur, c’est évidemment une donnée cruciale.
Car enfin, le jeune Montréalais d’origine haïtienne, ou chilienne, ou marocaine, ou indonésienne, est statistiquement un «allophone». C’est néanmoins un citoyen qui s’insérera en français dans la société québécoise.
Fixer son regard uniquement sur le nombre de francophones, à Montréal ou dans le Québec en général, est donc trompeur. Cette lecture statistique exclut d’emblée l’immigrant, même s’il parle parfaitement le français, s’il étudie et travaille en français. C’est nier l’idée même de la loi 101, au fond: fabriquer de nouveaux francophones. C’est refuser sans le dire d’inclure dans la culture linguistique majoritaire des gens qui, s’ils sont nés dans une langue, sont pourtant francisés en grande majorité. Même s’ils étudient les techniques policières à John Abbott.
Un enfant arrivé du Brésil à 6 ans, qui fera ses études en français, qui deviendra ingénieur chez SNC-Lavalin ou commis chez Omer De Serres, sera encore un «allophone» dans 50 ans, selon les statistiques. Il sera pourtant, dans la vraie vie, une sorte d’hommage vivant à l’efficacité de la loi 101.
Voilà ce qui est également «caché à la population» dans l’aveuglante clarté des études démo-linguistiques. Le réel succès des politiques linguistiques québécoises.
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