Le [texte d'Irwin Cotler, paru dans Le Devoir du mercredi 9 aoû->1509]t, prétend nommer, comme le veut son titre, «les causes profondes derrière le brouillard de la guerre» du Liban lorsqu'il dénonce l'antisémitisme génocidaire du Hezbollah.
Au temps de la guerre froide entre les États-Unis et l'URSS, dès qu'un intellectuel tentait de lever la tête pour condamner l'existence de camps de concentration en URSS, on le reprenait, non pas sur les faits, qui étaient indéniables, mais sur sa réaction émotionnelle teintée, disait-on, d'anticommunisme primaire. Il fallait surtout ne pas regarder les faits, qui remplissent désormais les pages du livre noir du communisme. On est dans le même scénario ici, en ce qui concerne Israël. Ne regardez pas les faits qui s'accumulent depuis plus de 60 ans, regardez en vous-mêmes, battez votre coulpe, purifiez-vous de votre antisémitisme primaire.
Je vois dans la situation actuelle la même entreprise d'aveuglement de l'intelligentsia occidentale qui conduira, à plus ou moins long terme, à une profonde désillusion. Je discerne cet aveuglement notamment dans un passage du texte de M. Cotler dans lequel il refuse de pousser plus loin l'analyse des faits.
Il rapporte correctement que les attaques du Hezbollah au Liban se sont poursuivies continuellement, pour ne pas dire quotidiennement, depuis 2000. Alors pourquoi, cette fois-ci, fallait-il réagir en déclenchant une guerre totale non pas contre le Hezbollah, mais bien contre le Liban ? Et c'était au lendemain du déclenchement d'une attaque rageuse et destructrice contre les populations civiles et les infrastructures de Gaza, ne l'oublions pas. C'était, surtout, au lendemain d'un accord historique entre le président de la Palestine et les dirigeants du Hamas, un accord par lequel le Hamas faisait enfin les premiers pas dans une voie qui allait le mener, tout comme l'OLP 17 ans plus tôt, vers la reconnaissance d'Israël.
Son analyse des faits, s'il l'avait poussée plus loin, aurait pu conduire M. Cotler à voir que la guerre d'agression déclenchée par Israël n'avait d'autre but que de rendre à jamais intenable pour le Hamas la position modérée à laquelle il venait de se commettre. Israël aurait alors fini par être obligé de négocier l'application concrète des accords d'Oslo et de la résolution 242 de l'ONU à laquelle M. Cotler appelle. Cette résolution, rappelons-le, exige le retrait d'Israël derrière les frontières occupées depuis la guerre de 1967.
La réalité, et la cause profonde de tous ces conflits récurrents, c'est le refus d'Israël de rétrocéder quelque territoire que ce soit. Au contraire, au fil des années, Israël a étendu ses colonies illégales, qu'il vient maintenant d'enclore derrière un mur de pierre.
Histoire d'intransigeance
L'histoire d'Israël a sans cesse été marquée par l'intransigeance. Israël accède à l'existence après une déclaration unilatérale d'indépendance, le 14 mai 1948, en flagrante contravention avec la résolution 181 de l'ONU qui exigeait un minimum de deux mois de négociations. Ici, la patience et la résolution de négocier de bonne foi auraient dû s'imposer au peuple d'Israël, auquel la communauté internationale s'apprêtait à donner des terres parmi les meilleures de la Palestine. Au contraire, c'est par un déni des recommandations de l'ONU et par une politique du fait accompli qu'Israël est venu au monde. Et cela n'a pas cessé depuis.
Beaucoup de temps a passé et il devrait être évident pour tous, désormais, qu'on ne reviendra jamais en arrière là-dessus. Israël est là pour demeurer. L'ancien président de l'OLP, le défunt Yasser Arafat, a mis sa tête sur le billot depuis 1988 et reconnu officiellement l'existence d'Israël. Il a entraîné son peuple sur la voie de négociations ardues et asymétriques avec Israël, puissance occupante.
L'apogée de ces négociations s'est présenté lors des fameux accords d'Oslo entre Arafat et Itzhak Rabin en 1993. Ces accords devaient mener à la création officielle du gouvernement palestinien et au désengagement des troupes d'Israël de Gaza et de la Cisjordanie. L'avènement d'un État palestinien et le retour à une vie décente, hors des camps de réfugiés, c'était ce qu'Arafat avait promis à son peuple en échange de l'acceptation de l'existence d'un Israël occupant 78 % de terres et de maisons qui avaient appartenu aux Palestiniens auparavant.
Tout l'extrémisme actuel du Hamas et du Hezbollah vient de ce qu'Israël n'a jamais permis que cela arrive, n'a jamais permis qu'Arafat livre ne serait-ce que cela. À commencer par l'assassinat de 29 Palestiniens par un colon israélien dans la mosquée d'Hébron au début de 1994 et les représailles terroristes qui en ont découlé, l'assassinat d'Itzhak Rabin par un étudiant religieux d'extrême droite, l'accélération des activités de colonisation, l'exigence par Éhoud Barak de nouvelles clauses ou interprétations qui remettaient en cause les accords d'Oslo, les nombreuses élections, il s'est toujours présenté une bonne raison pour qu'Israël ne remplisse pas ses obligations.
La bonne foi
On a beaucoup reproché à Yasser Arafat de n'avoir pas négocié de bonne foi à Camp David en 2001. Aveuglement des plus profonds, encore là. Il faut se rappeler le contexte. En 2001, des élections se préparent (encore une fois) en Israël. Ces élections suspendent (encore une fois) l'application des accords d'Oslo. Éhoud Barak traîne dans les sondages loin derrière qui ? Ariel Sharon.
Barak contraint Arafat à accepter des renégociations sur des clauses déjà acceptées par Israël. Ces négociations seront menées sous les auspices du président américain Bill Clinton, qui s'apprête à quitter le pouvoir. Voilà un président qui ne pourra pas miser sur l'enthousiasme du futur gouvernement américain à faire respecter tout accord qui résulterait des négociations de Camp David. Et Arafat devrait en plus négocier avec un Éhoud Barak dont on sait déjà qu'il va perdre les élections et sera remplacé par un Ariel Sharon -- dont la visite provocatrice sur l'esplanade des Mosquées a déjà déclenché la deuxième intifada -- qui ne cesse de répéter durant la campagne électorale qu'il ne se sentira lié par aucun accord signé par son prédécesseur...
On demande à Arafat de négocier dans ce contexte deux points majeurs : Jérusalem et le retour des réfugiés palestiniens en Israël. Voici donc la situation : on demande au négociateur en chef des Palestiniens, Yasser Arafat, de jeter sur la table ses meilleures cartes mais en l'assurant d'entrée de jeu qu'on ne lui donnera rien en retour et que ses avancées devront servir de prix d'entrée de base pour une prochaine ronde de négociations. Vous connaissez un homme d'État responsable qui aurait accepté pareil marché de dupes ? Moi, non.
Livre noir à écrire
Intransigeance d'Israël, tout au long de cette longue histoire. Voilà le constat qui devrait s'imposer à nous. Et aveuglement honteux en Occident face à cette intransigeance, un aveuglement qui me rappelle les mots de Jean-François Revel dans son livre La Tentation totalitaire. Revel parle de la réaction des intellectuels occidentaux face aux révélations de L'Archipel du Goulag. Il rappelle qu'on avait assisté à la même réaction, 20 ans plus tôt, lorsque les premiers échos de l'existence des camps de concentration soviétiques étaient parvenus jusqu'en Europe occidentale : «[...] une polémique entre Sartre et Camus, dans laquelle Camus avait raison et Sartre eut le dessus [...] Si, en effet, la gauche non communiste avait rappelé, examiné et analysé le passé, comme c'eût été le devoir de responsables politiques à la hauteur de leur tâche, et d'intellectuels à la hauteur de leurs prétentions, [...] elle n'eût pu alors soutenir longtemps la fable des "exceptions fâcheuses", et des "déviations corrigées", ni échapper à la conclusion que ces divers moments formaient, reliés ensemble, une trajectoire historique ferme et claire.»
La trajectoire historique d'Israël est ferme et claire, comme les faits accumulés depuis 1947 le prouvent amplement.
La communauté internationale doit se réveiller. L'une des grandes injustices de notre époque continue à se dérouler devant nous et entraîne, protégée derrière le double standard de nos analyses politiques selon qu'on se tourne vers les actions et responsabilités d'Israël ou celles du monde arabe, un flot ininterrompu de catastrophes humaines où les perdants sont massivement du côté du monde arabo-palestinien.
Il faut trouver un moyen de ramener Israël à l'intérieur du royaume du droit, lui qui rejette systématiquement toute résolution de l'ONU, toute Convention de Genève, de même, on le sait bien, que le Traité de non-prolifération nucléaire. Une forme de boycottage comme celle qui fut imposée à l'Afrique du Sud, sous l'impulsion de l'ancien premier ministre Brian Mulroney, doit être imposée à Israël.
Condamner le terrorisme, oui, j'en suis. Mais il y a ici, derrière cette acceptation inconditionnelle de tout ce que fait Israël, les causes d'un désespoir et d'une colère du monde arabe qui forment le meilleur terreau du terrorisme. Si l'Occident perdure dans cet aveuglement, il faudra dans quelques décennies, couverts de honte que nous serons alors, écrire Le Livre noir de l'Occident au Proche-Orient.
Robert Bernier
_ Physicien
L'aveuglement de l'Occident et le cas d'Israël
Par Robert Bernier
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