Depuis le début, le premier ministre Legault ne manquait aucune occasion de vanter les mérites du projet GNL Québec. Il devenait même gênant de l’entendre répéter presque intégralement les « lignes de presse » de son promoteur. En permettant de remplacer le charbon par le gaz naturel en Europe et en Asie, le Québec allait contribuer à sauver la planète, disait-il. Sans compter les 4000 « emplois payants » qui seraient créés.
Il accusait ceux qui s’y opposaient de dogmatisme, même si de nombreux scientifiques doutent que le projet permette de réduire les émissions de GES, réduites de 28 millions de tonnes ailleurs dans le monde, d’autant que ce chiffre fait abstraction des émissions liées à l’exploitation, principalement par fracturation du gaz en provenance de l’Alberta, qui serait acheminé jusque Saguenay pour y être liquéfié.
Mardi, M. Legault a mis un bémol à son enthousiasme pour la première fois. Il s’agit toujours d’un projet qui « peut être intéressant », mais il semble maintenant y avoir plus loin de la coupe aux lèvres. Le premier ministre a répété à trois reprises que son financement était encore loin d’être assuré. Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, reconnaît que la crise autochtone et le blocus ferroviaire sont de nature à semer le doute dans l’esprit des investisseurs.
Alors qu’il avait toujours insisté sur l’accueil positif que le projet avait reçu dans la région, le premier ministre s’interroge maintenant sur son « acceptabilité sociale », qui constitue déjà à ses yeux un obstacle insurmontable à la construction du pipeline souhaité par son vis-à-vis albertain, Jason Kenney.
La crise provoquée par le projet Coastal GasLink lui a également rappelé que les Autochtones dont le territoire serait traversé par le gazoduc de GNL Québec n’ont toujours pas donné leur consentement, comme le conseil des Attikameks de Wemotaci l’a réaffirmé en début de semaine. « Les élus veulent impliquer les membres la population dans cette réflexion, dont les chefs de territoire », a précisé le conseil dans son communiqué.
Il est permis de penser que l’exemple des Wet’suwet’en va alimenter la discussion dans les communautés attikameks. Les mêmes causes produisant souvent les mêmes effets, il y a également de quoi faire réfléchir M. Legault. La dernière chose qu’il doit souhaiter est bien de se retrouver avec une crise autochtone sur les bras à l’approche de l’élection d’octobre 2022. Si besoin était, la hausse de tension à Kahnawake démontre que démanteler une barricade est plus facile à dire qu’à faire, peu importe qu’une injonction soit émise par les tribunaux.
Quelle que soit l’issue de la crise actuelle, elle relancera inévitablement le débat sur le droit des Autochtones au contrôle de l’exploitation des ressources naturelles sur leurs territoires. Il est également certain que leurs réclamations et celles des défenseurs de l’environnement vont être de plus en plus convergentes.
Si l’abandon du projet pétrolier Teck Frontier en Alberta a enlevé une douloureuse épine dans le pied de Justin Trudeau, M. Legault s’épargnerait lui aussi bien des soucis si GNL Québec décidait d’abandonner le sien, peu importe la raison, tout comme le gouvernement Couillard avait été soulagé de voir TransCanada renoncer au pipeline Énergie Est, qu’il avait pourtant accueilli de façon très positive au départ.
L’économie albertaine profiterait assurément d’une nouvelle expansion des sables bitumineux, mais celle du Québec se porte suffisamment bien pour se passer d’un projet qui rendrait pratiquement impossible l’atteinte de ses objectifs de réduction d’émissions de GES. Donner le feu vert à GNL Québec enlèverait pratiquement toute crédibilité au plan d’action que le ministre de l’Environnement, Benoit Charrette, doit rendre public au cours des prochaines semaines.
Après avoir affirmé que son projet ne nuirait pas au béluga, le nouveau « résumé » de l’étude d’impact de GNL Québec reconnaît maintenant que le passage des navires méthaniers dans le parc marin du Saguenay—Saint-Laurent comporte un « risque », que l’entreprise prétend sérieusement pouvoir « transformer en opportunité » grâce à une « charte d’engagements environnementaux pour la protection des mammifères marins ».
Les malheurs du projet de pipeline Énergie Est avaient précisément commencé avec la levée de boucliers contre les forages qui menaçaient la pouponnière de bélugas au large de Cacouna.
M. Legault pourra au moins se réjouir de voir le projet GNL Québec semer la bisbille dans la famille souverainiste. Aussi bien le PQ que QS s’y opposent, mais le député de Jonquière, Sylvain Gaudreault, accuse QS de chercher à radicaliser le débat. Après une soirée « anti-GNL » organisée par QS à Chicoutimi mi-février, M. Gaudreault dit avoir constaté une polarisation inquiétante dans la région. Tout ce qui peut accentuer la division entre le PQ et QS est tout bénéfice pour la CAQ.