Un mot, d’abord, sur le travail des agents de libération conditionnelle. Le SCC en compte environ 1600, dont la moitié travaillent exclusivement dans des établissements correctionnels fédéraux. Selon le SESJ, environ 13 900 délinquants sont surveillés par des agents de libération conditionnelle travaillant dans des pénitenciers, et 9100 autres sont supervisés par des agents en milieu communautaire. Le rôle de ces agents est d’évaluer et de gérer avec précision les délinquants, à l’intérieur et à l’extérieur des murs.
Tout au long de l’incarcération du délinquant, les agents de libération conditionnelle évaluent ses facteurs de risque (principalement la probabilité de récidive) en surveillant ses changements de comportement et en modifiant les plans correctionnels au besoin.
C’est sur ces évaluations que se fonde la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) pour déterminer si un détenu peut être libéré sous condition et géré en toute sécurité dans la société.
Dans la collectivité, les agents de libération conditionnelle rencontrent notamment le délinquant dans un centre résidentiel communautaire (ou maison de transition, comme Painchaud à Québec) ou encore dans un centre correctionnel communautaire (comme Marcel-Caron à Québec). Au cours de ces contacts, ils doivent constamment évaluer et gérer le degré de risque que présente un délinquant pour la collectivité.
D’emblée, le SESJ rappelle dans son rapport que l’ancien gouvernement conservateur a imposé en 2012 des compressions budgétaires au SCC qui ont eu des répercussions sur l’ensemble du système correctionnel fédéral.
Comme il existe peu d’information statistique sur l’impact de ces coupes, le syndicat a entrepris une enquête auprès de ses membres «afin de comprendre en quoi une tendance à long terme de sous-financement du système correctionnel du Canada avait eu une incidence sur la capacité des agents de libération conditionnelle d’assurer la sécurité du public», explique-t-il.
La majorité des répondants ont affirmé ne pas disposer du temps nécessaire pour évaluer, superviser et préparer correctement les délinquants en vue de leur libération. Des délinquants qui, dans certains cas, peuvent récidiver et causer «plus de dommages au public et à eux-mêmes», souligne-t-on.
«Défis insurmontables»
Les résultats du sondage montrent plus particulièrement que «le nombre élevé de dossiers, le manque chronique de personnel et la réduction ou la modification des programmes et des services du SCC dans les établissements et les collectivités présentent des défis insurmontables pour la gestion des risques liés aux délinquants», résume le SESJ.
Devant la pression exercée dans les établissements fédéraux «pour accélérer le traitement des détenus dans le système», les agents de libération conditionnelle affirment être «incapables de passer du temps précieux avec les délinquants et d’optimiser les possibilités de réadaptation», ajoute-t-il.
Selon le syndicat, un nombre «alarmant» d’agents de libération conditionnelle font état d’anxiété liée au fait qu’ils ont de moins en moins de temps pour travailler avec un nombre sans cesse grandissant de délinquants, et que cette anxiété nuit à leur santé psychologique et physique.
Résultat : le public perd l’expertise de professionnels expérimentés qui partent en congé de maladie et qui sont remplacés par du nouveau personnel moins expérimenté.
Le SESJ rapporte même que lorsque des agents de libération conditionnelle partent en congé pour des raisons de santé, «un grand nombre de délinquants sont, dans certains cas, laissés sans agent pour des périodes inacceptables, ce qui signifie qu’ils n’ont pas accès au soutien de réadaptation et à la supervision d’un agent de libération conditionnelle».
Ce qu’on sait sur Gallese
Jusqu’ici, tant le SCC que la CLCC et le SESJ se sont faits discrets sur l’affaire Gallese. On sait cependant que le risque de récidive d'Eustachio Gallese envers une partenaire avait été jugé «élevé» en 2007, alors que le délinquant purgeait sa peine pour le meurtre de sa conjointe commis quatre ans plus tôt.
Eustachio Gallese a obtenu sa semi-liberté en mars 2019, semi-liberté qui a été prolongée par la CLCC en septembre dernier. Le délinquant vivait dans un centre résidentiel communautaire (ou maison de transition) de Québec lorsqu’il a été arrêté pour le meurtre de Marylène Levesque. En septembre, son équipe de gestion de cas jugeait son risque de récidive «modéré».
Nous avons demandé cette semaine au SCC pourquoi Gallese a été envoyé en centre résidentiel communautaire plutôt qu’en centre correctionnel communautaire, qui bénéficie de la présence d’agents de libération conditionnelle 24 heures sur 24, et donc d’une meilleure gestion des problèmes de sécurité, mais nous n’avons pas obtenu de réponse au moment d’écrire ces lignes.
Dans la décision de septembre de la CLCC, il est écrit que Gallese avait bénéficié d’une stratégie développée par son équipe de gestion de cas afin qu’il puisse rencontrer des femmes, mais uniquement pour répondre à ses besoins sexuels. La CLCC a désapprouvé cette pratique et demandé qu’elle soit «réexaminée», est-il mentionné dans sa décision.
Le SEJS a affirmé dans un communiqué publié plus tôt en février que Gallese n’avait plus le droit de fréquenter des femmes pour assouvir ses besoins sexuels depuis que la CLCC avait désapprouvé cette permission.
Dans ce communiqué, le syndicat a fait allusion à «des défis systémiques importants de notre système correctionnel fédéral», tout en se disant lié par des restrictions de confidentialité lui interdisant de dévoiler les détails précis entourant le drame.
Le SCC et la CLCC ont commandé un examen interne pour faire la lumière sur les circonstances qui ont mené au meurtre de Marylène Levesque. Un exercice insuffisant, selon l’enquêteur correctionnel du Canada, Ivan Zinger, qui croit que l’enquête doit plutôt être menée de façon indépendante par un juge à la retraite ou un avocat, a-t-il dit en comité parlementaire, mardi.