La production en serre dans le Nord

L'électricité au service des amérindiens

Tribune libre


Il ne se passe guère un mois sans qu'une nouvelle étude ne nous révèle une autre tragédie en milieu autochtone : tantôt la violence faite aux femmes, tantôt l'abus de consommation d'alcool et de drogue, tantôt le taux élevé d'incarcération chez les autochtones, tantôt un décrochage scolaire particulièrement marqué, etc. Moins spectaculaire, médiatiquement parlant : le piètre état de santé assez généralisé rencontré chez les communautés autochtones, en raison notamment d'une alimentation déficiente.
J'ai inscrit ce dernier problème dans la liste de quelques sujets qui appelaient des solutions dans mes réflexions de journaliste retraité consacrées au développement. J'ai vite constaté que nos autochtones vivent des produits de pêche et de chasse, mais aussi de denrées diverses qui leur arrivent par bateau ou par avion selon les localités et les saisons. L'acheminement de ces denrées coûte une fortune et il n'est pas certain que tout ce qui leur est envoyé corresponde à une alimentation saine.
C'est ce qui m'a conduit à me demander s'il ne serait pas possible - et éminemment utile - d'initier les communautés autochtones qui le voudraient bien à la culture sous serre de fruits et légumes.
Il est certain que l'aménagement de ces serres représenterait des investissements coûteux, mais on sait que le transport d'aliments par avion et par navigation saisonnière coûte déjà horriblement cher de toute manière.
De l'électricité pour les serres
Pour fonctionner efficacement, ces serres devraient compter sur une bonne quantité d'eau potable et sur une alimentation en électricité de proximité, deux valeurs qu'offre justement en abondance le Grand-Nord : petits barrages, éoliennes et éventuellement hydroliennes (actuellement expérimentées par Hydro-Québec) devraient pouvoir assurer l'énergie nécessaire pour le réchauffement et l'ensoleillement artificiel de cette agriculture sous serre.
J'avais le Nunavik en tête en pensant à cette perspective de développement, parce qu'on venait de publier un bulletin dramatique sur le bilan de santé des Inuit, mais je me suis dit finalement que si l'on devait procéder à une expérience-pilote de ce type de serre, elle pourrait se faire dans une communauté plus aisément accessible, celle des Innus de la Basse--Côte-Nord, par exemple.
Pour être efficace, cette expérience-pilote devrait pouvoir s'appuyer sur la formation de jeunes autochctones aux techniques de culture en serre au nouveau cégep pour autochtones qui voit le jour à Odanak, près de Saint-Jean-sur-Richelieu. Le même cégep pourrait également apprendre à former, dans leurs langues respectives, des jeunes autochtones à la création de petites centrales électriques (petits barrages, éoliennes, etc.) capables d'alimenter à la fois les serres et les villages. Autrement dit, il conviendrait d'amener les communautés autochtones à se donner les ressources intellectuelles nécessaires à la fois en alimentation sous serre et en production d'énergie pour y arriver.
L'intérêt de la serriculture pour les autochtones
L'intérêt fondamental d'un apprentissage de la culture sous serre de fruits et légumes pour les autochtones réside sûrement dans l'amélioration de l'alimentation de ces populations, mais il ne s'arrête pas là.
Chaque emploi créé dans la culture sous serre appartient à un chef de famille qui n'a plus besoin de s'expatrier dans un lointain chantier minier, forestier ou de construction de barrage pour joindre les bouts. Ce qui veut dire que le chef de famille reste plus attentif aux affaires du ménage, à l'éducation des enfants notamment. De plus, la fonction d'agriculteur en serre est plus compatible, dans le déroulement des saisons, avec les fonctions traditionnelles de chasse et de pêche que ne le sont les contrats à long terme sur de lointains chantiers.
Un partage de responsabilités agricoles au sein des ménages est de nature à renforcer le tissu familial et à contribuer à l'amélioration du statut de la femme.
L'agriculture de subsistance sous serre permet enfin aux autochtones de demeurer maîtres chez eux à leur manière tout en expérimentant les technologies tout à fait actuelles disponibles de la culture sous serre de fruits et légumes en espace nordique.
Perspectives d'avenir
Si jamais les communautés autochtones dans leur ensemble en arrivaient à accepter de tenter l'aventure de l'agriculture en serre et réussissaient cette mutation, les perspectives d'avenir de ce type d'industrie pourraient se révéler intéressantes pour les autochtones.
Le New York Times du samedi 2 novembre 2013 faisait état d'une étude en cours sous l'égide des Nations unies qui annonce une baisse de deux p. cent par décennie de la production alimentaire d'ici la fin du siècle en raison des changements climatiques en cours. La version finale de cette étude, produite par "the Intergovernmental Panel on
Climate Change" sera publiée en mars prochain.
Il y a trois ans déjà, dans une entrevue à La Presse, le géographe Laurence C. Smith, de l'Université de Californie à Los Angeles, expliquait par ailleurs que le réchauffement de la planète et son bagage de catastrophes sont de nature à exercer un refoulement de populations vers le Nord. Sans compter l'attrait naturel déjà exercé par le Nord pour ses richesses naturelles (mines, production d'électricité, énergies fossiles et forêts destinées éventuellement à des vocations autres que la pâte à papier).
Les perspectives d'une navigation commerciale saisonnière dans l'Arctique ne font rien pour calmer ces tendances. Et le géographe Smith entrevoit ainsi la multiplication de villes de 100 000 habitants dans le Grand-Nord d'ici les années 2050. Des gens qu'il faudrait bien nourrir autrement que par avion et navigation saisonnière à coûts exorbitants.
Le Québec comme le Canada dans son ensemble compte beaucoup sur les États-Unis pour son alimentation en fruits et légumes frais. Mais on sait qu'un mouvement de désertification est en oeuvre dans certaines régions des États-Unis d'une part, et que d'autre part l'attrait qu'exerce la culture du maïs comme source de carburant en vient à rogner le patrimoine maraîcher ; qu'arrivera-t-il le jour où Washington décrétera que vu la rareté de l'eau potable et les besoins alimentaires de sa population toujours croissante, il convient de limiter ou d'interdire l'exportation de certains produits agricoles?
Sans doute qu'une culture intensive de fruits et légumes sous serre dans le Grand-Nord serait alors de nature à répondre du moins partiellement à ce type de problème. Dans pareil contexte, la culture sous serre de fruits et légumes serait plus qu'une activité de subsistance pour les autochtones dans le Grand-Nord, mais une façon de participer à une vie économique internationale tout en demeurant maîtres chez eux.


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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    21 novembre 2013

    Les Amérindiens doivent cesser de mourir à vue d'oeil sous le régime raciste à la Canadian et ceci est possible en abolissant les réserves archaïques consanguines pour passer à des villages et des villes à la Québecoises en développement . J'espère qu'aussitôt l'indépendance du Québec acquise les Amérindiens retrouveront l'ouverture nécessaire pour mettre fin à ce génocide en douce à l'anglaise institué après 1763 . En 1763 les Amérindiens étaient plus de 50% de la population du Québec et en 2013 à cause de ce système raciste fédéraliste ils sont moins de 2% de la Population . Ce n'est donc pas le développement économique qui peut les libérer de ce système criminel.
    MICHEL GUAY

  • Archives de Vigile Répondre

    20 novembre 2013


    Très intéressant comme perspective, mais la réalisation au nord et en particulier au Nunavik de projets de serres présente des défis importants. L'énergie y est très dispendieuse de l'ordre de 60 ¢/kWh et comme la réglementation actuelle interdit le chauffage au nord du 53 e parallèle, y compris pour les serres, il y a donc plusieurs embûches.
    L'énergie éolienne ou la petite hydraulique peut présenter des solutions rentables compte tenu du coût exorbitant de l'alimentation dans ces communautés.Hydro-Québec ne se montre pas très dynamique dans la recherche de solutions.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    17 novembre 2013

    M. Carmichael,
    En effet, Ottawa fait partie du problème des Amérindiens depuis qu'il a réussi à les réduire en dépendance totale. Trouvera-t-il la grandeur d'âme de les secourir maintenant? Même manège qu'il tente depuis 300 ans envers Notre "nation différente" conquise par les armes.
    Ceci n'empêche pas un romancier d'imaginer son scénario à la "Misery" pour leurrer les premières nations par des solutions oniriques. Les serriculteurs s'éloignent de plus en plus de l'électricité pour recourir plutôt à la biométhanisation. S'il faut argumenter au prix de déménager le village d'Odanak (Nicolet) à St-Jean sur Richelieu, il n'y a plus rien d'impossible: régler les problèmes de violence familiale en rapprochant les auteurs du crime; changer la culture nomade des autochtones vers le métier méticuleux et ponctuel de la culture maraichère en milieu contrôlé.
    Rarement les ethnocides n'ont été corrigés par un seul homme si fluide fût le jet de sa plume.

  • @ Gilles Toupin Répondre

    15 novembre 2013

    Cher Réal, cher collègue,
    Deux textes déjà et deux textes impressionnants qui me font comprendre et découvrir que tu n'as pas seulement une plume remarquable (ce qui a toujours été, aussi loin que je me souvienne)mais que tu as la vision, la profondeur et des capacités étonnantes pour faire avancer les politiques publiques. Bienvenu alors sur Vigile en espérant que nos femmes et nos hommes politiques prendront le temps de te lire, pour le plus grand bien de tous et pour l'avancement de la nation.

  • Archives de Vigile Répondre

    15 novembre 2013

    Très intéressante votre proposition, M. Pelletier.
    Malheureusement, les autochtone sont sous juridiction fédérale, et la moitié de l'argent nécessaire à un tel projet se trouve à Ottawa.
    Dans un Québec souverain, cela pourrait devenir possible. Toutefois, dans un contexte de responsabilité partagé avec un partenaire pas très coopératif, cela s'avère pas mal plus difficile.