Plusieurs espèces pourraient souffrir de l’exploitation d’hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent.
Photo : source: GREMM
Alexandre Shields - La firme d'ingénierie qui réalise l'étude scientifique commandée par Québec pour évaluer les risques liés à l'exploitation d'hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent a acquis, il y a quatre mois, une entreprise albertaine spécialisée dans la conception et la gestion d'installations pétrolières et gazières, selon ce qu'a appris Le Devoir. Une situation qui n'inquiète pas le ministère des Ressources naturelles et de la Faune.
C'est la firme d'ingénierie Genivar qui a obtenu le contrat pour la réalisation de la deuxième évaluation environnementale stratégique (EES) lancée par le gouvernement Charest pour le Saint-Laurent. Celle-ci couvre les bassins de la baie des Chaleurs, d'Anticosti et de Madeleine, soit plus de 110 000 km2.
Toute la portion québécoise du golfe du Saint-Laurent, dont le fameux gisement pétrolier et gazier de la structure Old Harry, fait partie du territoire étudié dans le cadre de cette EES.
Cette seconde évaluation est beaucoup plus complexe que la première EES, qui portait sur l'estuaire du Saint-Laurent et dont les conclusions ont forcé la ministre Nathalie Normandeau à interdire toute exploitation des hydrocarbures dans ce secteur. Le territoire concerné est beaucoup plus vaste et les écosystèmes sont encore plus diversifiés et plus complexes. Sans compter qu'une éventuelle exploitation pétrolière pourrait avoir des impacts majeurs sur l'industrie de la pêche et affecter cinq provinces. Québec compte donc sur cet examen scientifique pour se donner une marche à suivre pour la suite des choses, même s'il est déjà acquis que l'industrie de l'énergie fossile pourra se développer en milieu marin.
Genivar a obtenu le contrat en 2009 — à la suite d'un appel d'offres public — et a entrepris l'étude au cours de l'hiver 2010. En décembre dernier, la firme a mis la main sur l'entreprise Tundra Engineering Associates, de Calgary. Cette société compte 150 employés et «oeuvre dans le secteur des installations de gaz naturel et de pétrole brut». Elle offre «des services de conception détaillée et de gestion de projets pour la réalisation d'ouvrages tels que pipelines et réseaux de collecte, stations de compression, installations pétrolières et gazières, usines de traitement de gaz naturel et systèmes de télémétrie», selon ce qu'on pouvait lire dans le communiqué émis le 8 décembre dernier par Genivar. «Tundra fournit un éventail complet de services dans le cadre de nouveaux projets et de projets existants; allant des études de faisabilité et d'obtention de permis, au design final, à l'approvisionnement, à la gestion de projets et à la surveillance des travaux», ajoutait-on.
«Il s'agit d'une acquisition importante et stratégique pour le secteur industriel de Genivar, insistait pour sa part Pierre Shoiry, président et chef de la direction de Fonds de revenu Genivar, dans le même communiqué. L'acquisition de Tundra positionne Genivar au sein de l'industrie pétrolière et gazière, notamment par la réalisation en amont de projets d'infrastructures. Au cours des 16 dernières années, Tundra s'est forgé une excellente réputation dans ce secteur, et l'équipe de gestion en place continuera à diriger et à faire croître ces activités au sein de Genivar. Nous sommes d'avis que l'exploitation pétrolière et gazière, qu'elle se fasse selon des méthodes conventionnelles ou non, connaîtra une croissance soutenue au cours des dix prochaines années.»
Au début de 2009, soit avant d'obtenir le contrat pour l'EES, Genivar avait en outre acquis Wiebe Environmental Services, une entreprise de Calgary qui offre des services en gestion environnementale à des entreprises des secteurs du pétrole et du gaz naturel.
Conflit d'intérêts?
Chez Genivar, on a tenu à préciser que l'entreprise Tundra ne peut pas offrir ses services en sol québécois. «Tundra ne peut travailler qu'en Alberta, en Saskatechwan et en Colombie-Britannique. Pour nous, il n'y a donc pas de conflit», a expliqué au Devoir la porte-parole de la firme d'ingénierie, Isabelle Adjahi. «Et chez Genivar, nous sommes régis par des règles d'éthique très rigoureuses. Quand on fait un projet, on travaille pour ce projet et non pas sur des projets futurs potentiels qu'on pourrait aller chercher», a-t-elle ajouté.
Au ministère des Ressources naturelles, le directeur du bureau des hydrocarbures, Sébastien Desrochers, a quant à lui assuré que toutes les mesures étaient prises pour éviter les conflits d'intérêts. «Ce n'est pas une situation qui nous rend inconfortable. On a ce qu'il faut pour s'assurer que l'entreprise agit de façon tout à fait correcte.» Il a aussi rappelé que le contrat pour cette EES a été octroyé à la suite d'un appel d'offres public et que toute cette démarche est «complètement transparente».
«Dans l'avis de l'appel d'offres, c'était très clair qu'il y avait tout ce qu'il faut en ce qui a trait aux clauses de confidentialité qui sont requises pour mener ce genre d'étude, pour assurer la neutralité, mais aussi qu'aucune information ne circule, a fait valoir M. Desrochers. Ces clauses sont reprises dans le contrat signé avec l'entreprise.» En clair, les employés de Genivar qui mènent l'EES s'engagent à ne diffuser aucun document contenant des données des analyses et des rapports produits dans le cadre de l'évaluation.
Il faut savoir que le mandat accordé à Genivar ratisse large. Selon la description contenue dans l'appel d'offres, l'entreprise doit notamment
«évaluer, pour chacun des trois bassins à l'étude, les effets environnementaux, sociaux et économiques pouvant découler des travaux d'exploration et d'exploitation pétrolière et gazière». Elle doit aussi «analyser globalement les risques et dangers associés à l'exploration et à l'exploitation pétrolière et gazière en milieu marin», en plus de «déterminer les mesures de surveillance et de suivi environnemental appropriées pour maintenir l'intégrité des habitats marins, côtiers et limitrophes de chaque bassin».
Les résultats de cet examen scientifique auront d'ailleurs une importance capitale pour les prochaines étapes de «mise en valeur» des hydrocarbures du Saint-Laurent.
«Chaque EES fera l'objet d'un rapport dans lequel seront présentées des recommandations visant à protéger le milieu marin des effets d'une éventuelle mise en valeur des hydrocarbures, avait expliqué Mme Normandeau au moment d'annoncer le lancement des EES, en juillet 2009. Chacune servira de toile de fond sur laquelle seront menées des études d'impact environnemental pour de futurs projets spécifiques d'exploitation. Il ne s'agit pas d'une évaluation du potentiel en hydrocarbures du Québec, mais bien d'un outil qui favorisera la prise de décision éclairée en matière d'exploration et d'exploitation.»
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