L'histoire d'Historia - L'autre « petite » vie

« Il y a malheureusement peu d'intérêt pour l'histoire de la Nouvelle-France »

Coalition pour l’histoire

Le canal Historia aura bientôt dix ans. Le 30 janvier 2000, la seule chaîne francophone spécialisée en histoire au Québec a commencé à émettre, sous l'étiquette Astral Média. Petite histoire d'Historia.
Fictions, documentaires, magazines, productions canadiennes ou acquisitions, Historia traite de l'histoire sous toutes ses formes. Mais, souligne le vice-président programmation, Fabrice Brasier, «on privilégie maintenant l'histoire récente, celle des cinquante dernières années, et on la traite beaucoup par l'histoire sociale. L'expérience a montré que, en couvrant trop large, on perd l'intérêt.» Car, si Historia fait de la vulgarisation scientifique, elle est, comme toutes les chaînes, soucieuse de popularité. «Il faut que ça demeure grand public. Les cotes d'écoute au fil des années n'ont cessé d'augmenter.»
Histoire populaire
Deux millions de téléspectateurs s'attardent désormais sur Historia au moins quinze minutes par semaine, dont 50 % de femmes, alors que les chaînes historiques attirent de prime abord un coeur de cible masculin.
Le contenu, pour garder tout ce beau monde, est le nerf de la guerre. «Il y a malheureusement peu d'intérêt pour l'histoire de la Nouvelle-France, déplore M. Brasier. L'histoire purement politique marche moins, mais ça ne m'empêche pas d'en faire.»
Comme le Québec n'a pas les moyens de s'offrir les reconstitutions avec comédiens qui pimenteraient le contenu, la «vieille» histoire garde sa place grâce aux acquisitions faites auprès de BBC, A&E TV et History Channel. «Ils peuvent traiter de la Rome, de l'Amérique précolombienne ou des guerres avec des reconstitutions historiques et des images de synthèse. C'est presque de la fiction mais avec les faits historiques vérifiés.»
Les fictions et l'histoire sociale remportent assurément la palme du public. «On cherche les sujets rassembleurs. Au Québec, le fait que notre histoire est si courte nous oblige à faire preuve d'imagination, à explorer tous les pans de notre histoire: sociaux, économiques, politiques.» Parmi les grands succès, Fabrice Brasier nomme L'Histoire de la folie, Les Saltimbanques du ring, sur l'histoire de la lutte, Champion/Coup sûr, sur le baseball, et Motel, No Vacancy, sur le tourisme. Cet hiver, on pourra voir Les Rois de la patate, sur les cabanes à frites. «Ces documentaires, à leur façon, approfondissent l'histoire du Québec. On est les seuls à les faire. Dans 50 ans, il sera trop tard. On contribue à construire un fonds patrimonial de toute l'histoire, qu'elle soit plus ou moins sérieuse.»
J'ai la mémoire qui tourne
Succès-surprise d'Historia cette année, J'ai la mémoire qui tourne déterre les vieux films de famille et offre un retour nostalgique sur les façons de vivre. Pour le producteur et réalisateur des Productions de la ruelle, Éric Ruel, J'ai la mémoire qui tourne «est au-delà d'une émission: c'est une mission. Partager et mettre en valeur de façon intelligente ces images riches de petite histoire. On a entre les mains des centaines d'heures de films que l'ONF n'a pas, que Radio-Canada n'a plus. On sauve un patrimoine extraordinaire. Les images qu'on avait de notre passé venaient de documentaires scénarisés: le film de famille offre le point de vue intime. L'Église n'est pas au-dessus de l'épaule de celui qui filme. Personne ne prend un accent français [devant la caméra]. C'est la vraie vie. Les archives étaient souvent organisées. Dans le film de famille, c'est l'émotion du moment qui déclenche le besoin de filmer.»
Et des personnalités publiques de tous horizons, telles Ron Fournier, Michel Barrette, Liza Frulla, Janette Bertrand ou Mahée Paiement, commentent. «L'idée était de trouver les membres les plus reconnaissables de notre grande famille, comme si on visionnait par eux. On présente l'émission du point de vue familial, de la transmission bouche à oreille.» Et la voix hors-champ de Marcel Sabourin, grand-père mythique, assure la passation des informations essentielles. En plus des quatre émissions déjà en rediffusion et des huit épisodes en préparation, J'ai la mémoire qui tourne comporte un volet Web. «On a plus de 3000 films sur le site.» Et le public continue à contribuer. De ce catalogue qui vise les 10 000 bobines, les Productions de la ruelle ont repiqué des images autour de thèmes précis. Cinquante-six webépisodes en découlent, sur les bikinis, la cigarette, les scouts ou Maurice Richard. «La beauté du Web, poursuit Ruel, c'est qu'on s'adresse à une nouvelle génération avec ces souvenirs-là. Les grand-parents mentionnent le site à leurs petits-enfants. On va peut-être mettre un passé dans la tête des jeunes et les rendre plus fiers de qui ils sont.»
Les «maudits» vieux films
Le financement de ce succès a pourtant été ardu. «On a tous le préjugé -- mon père m'a assez écoeuré à Noël avec les mêmes maudits vieux films de vacances où il faisait toujours la même blague à la même place -- mais on a trouvé des gens passionnés chez Historia et au Fonds Bell qui ont cru au projet.»
J'ai la mémoire qui tourne a touché de 180 000 à 200 000 téléspectateurs lors de sa première diffusion. «Et le site Internet dépasse de beaucoup les objectifs, selon les Productions de la ruelle. On souhaite qu'un organisme ait envie de participer à cette conservation et décide de mettre les films dans ses voûtes. On parle de milliers de bobines, c'est énorme. On espère que la Cinémathèque, l'ONF, un musée ou une bibliothèque pourra nous donner un coup de main pour assurer leur survie.» En attendant, le public peut continuer à envoyer ses vieux films à http://jailamemoirequitourne.historiatv.com.
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Catherine Lalonde
Collaboratrice du Devoir


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