L'intouchable

Scandales informatiques



De façon prévisible, Hydro-Québec s'est élevée contre «l'interprétation erronée» qui a été faite des dépassements de coût d'un «grand nombre» de contrats d'informatique qu'elle a octroyés entre 2000 et 2010.
La société d'État a expliqué par voie de communiqué, et sans donner le moindre chiffre, qu'il arrive fréquemment qu'en cours d'exécution de ces contrats, on procède à des achats complémentaires ou encore à l'acquisition de droits d'utilisation supplémentaires. «Par le fait même, des montants sont ajoutés par rapport à l'attribution initiale, ce qui ajoute des avenants aux contrats de base», peut-on y lire. Et voilà pourquoi votre fille est muette!
La ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, a gobé ces explications sans mot dire. Ce sont des arguments semblables que le gouvernement Charest avait tenté de faire valoir pour justifier l'explosion des coûts du CHUM, ou plus récemment, du projet d'informatisation des dossiers médicaux (DSQ). La différence est que dans l'un et l'autre cas, une enquête du vérificateur général a clairement démontré que la gestion de ces projets avait été plus que douteuse.
Il est interdit au vérificateur général d'enquêter sur la gestion d'Hydro-Québec, comme il le réclame depuis plus de dix ans. Au cours des deux dernières années, l'ADQ et le PQ ont présenté tour à tour des projets de loi qui lui permettraient de passer outre aux objections de la direction de la société d'État.
Hier matin, alors que l'Assemblée nationale a terminé ses travaux prématurément, faute de matière, le PQ a suggéré de consacrer ce temps libre à l'examen de son projet de loi, mais le gouvernement a refusé net.
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En 2007, l'ancienne ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, avait promis de faire de l'administration publique québécoise «un exemple de transparence», mais on a simplement permis au vérificateur général d'examiner les états financiers de certaines sociétés d'État. Il ne peut pas se pencher sur l'optimisation des ressources, c'est-à-dire voir si l'argent des contribuables est utilisé à bon escient.
Par exemple, la politique d'acquisition d'Hydro-Québec lui impose de «privilégier le recours à des entreprises québécoises» et d'«utiliser son pouvoir d'achat pour favoriser le maintien et le développement de l'activité économique au Québec».
Le député péquiste de Jonquière, Sylvain Gaudreault, s'est donc étonné qu'Hydro-Québec ait accordé à la firme suisse Landis Gyr un contrat de 350 millions pour l'achat de trois millions de compteurs d'eau «intelligents», plutôt qu'à des firmes comme Trilliant Networks, de Granby, ou Varitron, de Longueuil.
Comment savoir si ce choix était le plus avantageux pour le Québec? a demandé M. Gaudreault. C'est là une question qui aurait sans doute pu intéresser le vérificateur général. Rien ne permet de croire qu'il est moins compétent que ses homologues des autres provinces, qui détiennent, eux, les pouvoirs qu'il réclame.
En 2006, un rapport accablant du vérificateur général de l'Ontario avait entraîné la démission du p.-d.g. d'Hydro One, Tom Wilkinson. Il avait notamment découvert qu'au cours de l'année précédente, les employés de la société d'État avaient effectué des dépenses de 127 millions en utilisant des cartes de crédit professionnelles sans produire le moindre reçu.
Le vérificateur général pourrait également se pencher sur la politique de rémunération d'Hydro-Québec, qui a versé 87 millions en primes à ses employés en 2010, alors qu'elle a connu sa pire performance en cinq ans. Déjà, les salaires et les avantages y sont sans commune mesure avec ce qui est consenti aux employés «ordinaires» de l'État.
On fait valoir qu'Hydro-Québec possède déjà un vérificateur interne, mais il n'a pas nécessairement la latitude requise. En 2007, il avait lui-même demandé que le vérificateur général prenne le relais dans l'enquête qu'il menait sur les irrégularités commises lors de la vente des actifs d'Hydro dans la compagnie chinoise Meiya, parce qu'il estimait ne pas avoir les coudées franches.
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Il y a deux ans, on a lancé le vérificateur général aux trousses du président de la SODEC, Jean-Guy Chaput, qui a été congédié pour des vétilles, mais on laisse Hydro-Québec faire la pluie et le beau temps, comme si le territoire québécois lui appartenait.
Mieux, le gouvernement s'empresse de la défendre contre ceux qui osent contester ses projets. Lors des rares passages de ses représentants en commission parlementaire, les députés ne sont pas suffisamment outillés pour aller au fond des choses. Au pire, ils leur font passer un moment désagréable, mais sans conséquences.
Ce n'est évidemment pas d'hier qu'on dénonce la présence de cet «État dans l'État», mais comment expliquer cette impunité unique au pays? Avec son expertise et le prestige dont elle jouit, Hydro-Québec constitue un objet de fierté bien légitime. Cela justifie-t-il d'en avoir fait un intouchable?
Dans l'imaginaire collectif, la nationalisation de l'électricité demeure largement perçue comme la revanche des «porteurs d'eau» sur le capitalisme anglo-saxon, mais il faudra bien en revenir un jour.


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