La Charte : un handicap pour les souverainistes ?

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Laïcité — débat québécois

C’est le nouveau «spin» des adversaires de la Charte des valeurs : elle handicaperait le PQ. La «stratégie identitaire» le conduirait dans un cul-de-sac. Elle nuirait électoralement à un parti qui aurait tout misé sur elle pour obtenir une majorité. Le PQ devrait y renoncer et en revenir à la posture habituelle du bon gouvernement en renonçant à politiser la critique du multiculturalisme. En gros, la «stratégie identitaire» serait non seulement odieuse (xénophobe, islamophobe et tout le tralala des insultes habituelles): elle serait inefficace. Deux raisons de la congédier, autrement dit. Je note que plusieurs fédéralistes sont d’ailleurs pressés de donner de généreux conseils stratégiques aux souverainistes, comme s’ils voulaient sauver l’option de sa déliquescence morale. C’est très aimable.
Mais leur analyse n’est tout simplement pas fondée, d’autant qu’elle n’est pas exempte de mauvaise foi. Il est vrai que les appuis à la Charte ne se convertissent pas immédiatement en appuis au PQ. Mais il faut éviter les explications trop simplistes. Il faut chercher, comme je le suggère en chronique aujourd’hui, des causes plus lourdes : dislocation de la question nationale dans sa forme traditionnelle, émergence d’enjeux libérant un espace politique pour une gauche et une droite décentrées de la question nationale, affadissement de la conscience nationale, baisse du poids relatif des Québécois francophones dans l’électorat. Inversement, la Charte révèle un bassin de croissance électorale potentiel pour le PQ : c’est un enjeu qui touche existentiellement l’électorat et qui peut potentiellement déplacer certaines lignes de clivage.
On se demande si la Charte servira de levier électoral? Il faut savoir ce dont nous parlons ici. Personne ne lui a jamais demandé de propulser l’option souverainiste au sommet en quelques semaines. Les partisans de la «stratégie identitaire», dont la Charte est un morceau important, n’y voient pas une solution magique pour faire remonter le PQ à 45% dans les sondages. Même ses défenseurs les plus convaincus n’ont jamais cru un seul instant qu’elle renverserait en quelques semaines une dynamique défavorable à la souveraineté se déployant depuis près de quinze ans. Cela ne veut pas dire qu’elle ne donnera pas d’effets électoraux à moyen terme : cela veut dire qu’il faut éviter de lui reprocher de ne pas tenir des promesses qu’elle n’a jamais faite.
La «stratégie identitaire» vise en fait à réconcilier le souverainisme avec les tendances lourdes du nationalisme québécois, qui sont inévitablement liées à la quête identitaire des Québécois francophones. Elle renoue avec le nationalisme historique de ces derniers. Elle vient briser le nouveau consensus médiatique autour de l’idéologie canadienne de 1982 dans la politique québécoise et redonner un contenu existentiel à la question nationale, qui s’était laissée réduire depuis trop longtemps à de pures considérations sociales (la souveraineté pour la social-démocratie) ou technocratiques (la souveraineté pour obtenir un Québec plus efficace). Elle réinvestit au cœur du débat politique la question de l’identité québécoise et de l’existence même du peuple québécois. C’est ce que plusieurs de ses adversaires ne lui pardonnent pas.
J’ajouterais que la Charte des valeurs n’en est qu’un élément parmi d’autres. La laïcité n’épuise pas la politique de l’identité québécoise. Elle est appelée à se conjuguer avec d’autres propositions : refondation des lois linguistiques, renforcement de l’enseignement de l’histoire, développement d’une politique de commémoration, création d’une citoyenneté québécoise, ajustement des seuils d’immigration, réaffirmation du pouvoir des élus et remise en question du gouvernement des juges. On pourrait dire qu’il s’agit de rebâtir «l’État-nation» québécois, aussi incomplet soit-il sans l’indépendance. Il s’agit, si on préfère, de solidifier les assises politiques et culturelles du Québec.
J’ajouterais que la Charte s’inscrit dans la nouvelle dynamique de la question nationale, qui ne reconduit pas seulement la classique tension entre le Canada anglais et le Québec français. La question nationale met désormais en scène, à bien des égards, le Canada multiculturaliste de 1982 et le Québec qui persiste à se définir comme une nation, comme une communauté politique conjuguant la citoyenneté démocratique avec l’identité nationale. De ce point de vue, elle participe à une reconfiguration de l’espace politique qui se déroule en temps réel et qui n’est pas terminée. Elle révèle sous un nouveau jour la subordination politique du Québec dans la fédération, surtout à un moment où le régime de 1982 multiplie les effets politiques et contribue à disqualifier les fondements mêmes de la nation québécoise.
Mais j’y reviens, la «stratégie identitaire» contribue à la reconstruction des bases de l’option souverainiste. Elle redonne un tonus au nationalisme québécois qui s’était laissé domestiquer par l’ordre de 1982. Elle rappelle que notre société n’est pas une page blanche appelée à se dissoudre dans la seule logique des «droits» qui trop souvent, pousse à la judiciarisation du politique (et la judiciarisation du politique n’est certainement pas la meilleure manière de conserver véritablement les droits et libertés). Évidemment, certains souverainistes, égarés pour la plupart dans la mouvance assez radicale du «Québec inclusif» (je ne parle évidemment pas ici de Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, dont la critique de la Charte se fonde sur d’autres considérations), n’en finissent plus d’étaler publiquement leur indignation. Mais il s’agit d’une perte politique mineure. D’autant qu’ils se sont mis sous la tutelle idéologique des adversaires les plus résolus de l’indépendance, dont ils quêtent l’approbation et voudraient obtenir un certificat de respectabilité idéologique. S’ils sont médiatiquement très audibles, il ne faudrait pas exagérer leur portée électorale.
Tout en politique n’a pas à se dissoudre dans le court terme. Et tout n’est pas petit calcul minable. Il faut donc rappeler au bon sens ceux qui, après avoir combattu une Charte qu’ils disaient «flatter les pulsions xénophobes» des Québécois, nous invitent à la congédier parce que ces «pulsions» ne se seraient pas manifestées. Il faut leur rappeler qu’une politique de l’identité québécoise n’a rien, mais absolument rien, d’une excitation cynique ou inconsciente de la xénophobie et que cette politique n’avait rien d’une simple «stratégie» pour obtenir une majorité fragile et circonstancielle. Elle s’inscrit dans une philosophie bien articulée de la question nationale qui n’est pas appelée à produire une majorité instantanée mais qui ouvre un nouvel avenir au projet souverainiste, qui lui donne un nouveau socle, mieux ancré dans son histoire.


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