Alors que l'Afrique du Sud est en proie à de fortes violences xénophobes, les héritages de la colonisation et de l'apartheid sont remis en question tous les jours.
Propos recueillis par Vincent Hiribarren
Récit de Félix Renault, étudiant
en Sciences politiques à l’université du Cap et témoin direct de la disparition de la statue de
Cecil Rhodes sur le campus.
L’Université du Cap,
l’une des meilleures du continent, a été le théâtre de violentes protestations
le mois dernier. De nombreux étudiants et universitaires se sont mobilisés
contre l’héritage colonial de l’institution, et contre la lenteur du processus
de transformation et d’intégration, entamé parallélelement à la démocratisation du
pays dans les années 1990.
Même si le campus est historiquement progressiste et l’un des plus divers du pays, les
infrastructures de l’institution et la composition du corps enseignant du point de vue du sexe et de l’ethnicité reflètent toujours le passé discriminatoire du pays. Près de 90% des professeurs à plein temps sont des hommes blancs.
Lassés par un processus de transformation à l’image
d’une nation ou le rêve égalitaire s’est aujourd’hui dissipé, les étudiants ont
commencé dès le mois de mars à mener des actions coup de poing comme
l’occupation du principal bâtiment de l’administration, et de manière plus significative
la dégradation continue de la statue de Cecil Rhodes. Le mouvement «Rhodes must
fall» est né ainsi. L’histoire de la statue de cet
homme placée au cœur de cette polémique universitaire a trouvé un écho national.
Manifestation d’étudiants devant l’institut de recherche de l’avenue Rhodes, le 8 avril, alors que le conseil d’administration délibérait sur l’avenir de la statue.'«Tous les chemins (jeu de mots basé
sur l’homonymie entre roads et Rhodes) mènent à la colonisation de l’esprit» - Rhodes doit tomber. Photo Michael Hammond UCT.
Cecil Rhodes, le précurseur de l’apartheid
Cecil John Rhodes peut être aujourd’hui décrit
comme l’archétype de l’impérialiste anglo-saxon de la seconde moitié du XIXe siècle.
L’homme d’affaires originaire d’Angleterre investit tôt dans l’industrie minière
sud-africaine, particulièrement dans la région de Kimberley où se concentre
l’un des plus importants gisements de diamants du monde. C’est dans ce contexte
qu’il crée l’entreprise DeBeers, aujourd’hui premier exploitant diamantaire de
la planète.
L’homme déjà richissime devient en 1890 Premier
Ministre de la colonie du Cap, à la pointe Sud-Ouest du continent, où il libéralise
le marché du travail contraignant la population noire à s’urbaniser et à constituer
la main d’œuvre bon marché nécessaire au développement minier et d’une agriculture modernisée pour nourrir la colonie. Fermement convaincu de la supériorité de la race anglo-saxonne, et partisan du développement de l’empire britannique, il reçoit en 1889
le soutien officiel de la reine Victoria et fonde la Compagnie britannique
d’Afrique du Sud, financée à grande échelle par ses fonds privés, et dont la
vague définition géographique est en accord avec les idéaux expansionnistes
britanniques.
Grâce au mandat accordé à la Compagnie, il
entame un long processus de conquête vers le Nord, notamment dans le Mashonaland
(aujourd’hui Nord-Zimbabwe) où la diplomatie laisse rapidement la place au conflit armé
; la lourde défaite du peuple Matabele est attribuée, entre autres, à l’écart
technologique. De nombreux colons s’installent alors dans les terres occupées par l’armée britannique.
L’ensemble des territoires conquis par Rhodes, le long du fleuve Zambèze, se
voient attribuer les noms de Rhodésie du Nord (actuelle Zambie) et Rhodésie du
Sud (actuel Zimbabwe) ou des systèmes de ségrégation sont mis en place
favorisant une fois de plus un accès facile à la main d’œuvre des populations locales.
Rhodes tente alors de s’attaquer sans succès à la république
du Transvaal, déclenchant la première guerre anglo-boer, contre les pionniers protestants arrivés d’Europe principalement des Pays Bas. Il mène alors sa politique de conquête et de stratification raciale pour intensifier l’exploitation des ressources africaines, et établit ainsi
les bases des systèmes coloniaux d’Afrique australe. En Afrique du Sud tout particulièrement,
la législation mis en place par Rhodes correspond aux prémices directes du régime
de l’apartheid.
La statue de Cecil John Rhodes érigée sur le campus en 1934, est soulevée de son socle, le 9 avril. Il s’agissait de rendre hommage à celui qui avait fait don des terrains à l’université du Cap . Photo Rodger Bosch / AFP
Ou était cette statue ?
Il est ainsi dur de concevoir aujourd’hui que la statue
de Cecil John Rhodes trônait encore jusqu’à la semaine dernière au cœur de l’Université
du Cap, surplombant les terrains de rugby ainsi qu’une grande partie du campus
et du Sud de la ville. Cela fait maintenant plusieurs décennies que des
centaines de milliers d’étudiants africains ont défilé devant son effigie. Les
plaies de la société sud-africaine n’en sont pas pansées et le pays reste l’un
des plus inégalitaires de la planète, où la grande majorité des noirs vivent encore
dans une pauvreté abjecte.
Si la colère des étudiants témoigne de la révolte au
sein des futures élites sud-africaines, le mouvement s’est propagé au reste du
pays où de nombreuses statues d’anciens leaders blancs ont été attaquées. Une
statue de Gandhi a même été détériorée à Johannesburg, alors que les récentes violences
xénophobes rappellent l’étendue du mal
qui ronge le pays de l’intérieur. La statue symbole de l’impérialisme
occidental a été retirée suite à un vote du de l’assemblée étudiante, mais
force est de constater que le cancer sud-africain n’est pas endigué pour autant.
Une transformation plus égalitaire et inclusive est vitale au développement du
pays, et ses étudiants semblent l’avoir compris. Alors oui, Rhodes est tombé,
mais maintenant, what’s next ?
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