Au cours des derniers jours, de même qu'au cours de la dernière campagne électorale, un foisonnement d'idées lancées par tous les partis a laissé entrevoir des avenues innovatrices pour relever les défis qu'impose la gestion des affaires publiques. De ces idées, la coopération, particulièrement en matière de santé, intéresse tant les politiciens que la population. Les coopératives cliniques de services de santé ont été fréquemment mentionnées et présentées comme la solution aux problèmes qui perdurent en santé.
Mais les cliniques coopératives sont menacées d'une interprétation erronée. Le danger consiste à les associer à la privatisation du système de santé, ce qu'elles ne sont assurément pas. Loin de participer à la privatisation du système de santé, elles constituent un modèle novateur en ce sens que les citoyens sont désormais engagés dans le maintien et les orientations de leurs services de santé. Elles correspondent à un partenariat de la communauté avec des médecins et autres professionnels de la santé qui, jusqu'à maintenant, géraient leurs cliniques de façon privée. Les médecins peuvent alors faire ce pour quoi ils ont été formés: pratiquer la médecine.
Quant à eux, les citoyens-membres d'une clinique coopérative y trouvent leur compte. Ils maintiennent un service de santé accessible, basé sur l'autonomie décisionnelle, qui colle à leur réalité et qui assure l'avenir de leur milieu de vie.
Mais les cliniques coopératives ne sont pas seules à vouloir se tailler une place au Québec. Elles doivent faire contrepoids à un modèle émergent à l'échelle mondiale, soit le «one-stop shop», une tendance des grandes entreprises à intégrer des services multiples en un seul lieu: pharmacie, épicerie, supermarché, clinique médicale et autres. Des services «clés en main» y sont offerts aux professionnels de la santé, y compris la location de locaux à peu de frais, de l'équipement, etc.
Il en résulte des effets pervers puisque ce modèle concentre les ressources professionnelles de santé dans les agglomérations et contribue à généraliser le «sans rendez-vous», négligeant ainsi le suivi médical, ce qui va à contresens d'une approche préventive et de prise en charge de leur santé par les citoyens.
Sur la prise en charge de leur santé par les citoyens
Jusqu'où ira la poussée des cliniques coopératives de services de santé? Alors qu'on en comptait à peine 13 en 2006, six mois plus tard, on en dénombrait 21, près de la moitié étant en phase de démarrage. Un forum d'échange tenu le 27 avril dernier et visant à favoriser les échanges d'expertises entre les représentants de cliniques coopératives déjà existantes (médecins, citoyens, municipalités et gouvernement) a attiré plus de 140 participants, dont près d'une trentaine de représentants de municipalités curieux d'explorer cette avenue.
Pourquoi les cliniques coopératives de santé s'imposent-elles? Nées au début des années 70 avec l'avènement de l'assurance maladie, les cliniques privées administrées par des médecins ont répondu à 80 % des services de première ligne au Québec. Or ces dernières ont connu une baisse considérable, passant de 1250 en 2000 à 840 en 2005, soit une diminution de près du tiers.
Cette situation ne s'explique pas uniquement par la pénurie de médecins ou par les offres des grandes entreprises. D'une part, la gestion trop accaparante des affaires d'une clinique, le casse-tête administratif pour gérer les programmes, et, d'autre part, une volonté des médecins de s'investir dans la pratique médicale dans un milieu de vie de qualité sont, entre autres, des facteurs explicatifs.
À cela s'ajoute la féminisation de la médecine. Près de 50 % des médecins actuels sont des femmes alors que le taux d'étudiantes en médecine approche les 75 % à l'heure actuelle. Le nombre d'heures de travail est fonction d'un choix de vie centré sur un plus grand équilibre entre le travail et la famille ainsi que sur une volonté d'accroître la qualité de vie.
La coopérative facilite la pratique médicale en rendant disponibles des locaux et des équipements adéquats, en assurant la gestion du personnel et de certains programmes de santé et en permettant une pratique dans un cadre de vie intéressant. Les médecins y sont toujours rémunérés par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) alors que les citoyens réunis en coopérative gèrent le fonctionnement en mobilisant les travailleurs et les professionnels de la santé. Pour la majorité d'entres elles, ces cliniques sont occupées par des médecins et différents professionnels de la santé: physiothérapeutes, ergothérapeutes, psychologues, etc.
S'ajoute à cela l'adoption par l'État d'un programme national de santé publique 2003-12 qui met l'accent sur une décentralisation des services de santé au niveau régional. L'objectif consiste à donner un rôle de premier plan aux communautés dans l'amélioration et le maintien de la santé des personnes. Ce programme cherche à intégrer toutes les ressources en santé pour en rendre l'accès plus facile aux citoyens, en plus d'établir des liens entre les différents secteurs sur une base territoriale. Cela a facilité le dialogue entre les instances gouvernementales et les communautés.
De leur côté, les communautés refusent de se départir des services de base en santé et manifestent une volonté ferme de décider des services qu'elles veulent se donner en fonction de leurs réalités particulières. Surtout, les citoyens sont déterminés à demeurer dans leur milieu de vie. Les plus patients des promoteurs locaux arriveront alors à arrimer leurs demandes particulières de services à la complexité du réseau de la santé.
De la consommation à la prise en charge
L'Organisation mondiale de la santé établit une relation directe entre l'état de santé d'une personne et le pouvoir de décider de sa vie et de son devenir. Vivre des liens significatifs, ne pas être isolé, pouvoir prendre part à la définition des services de santé qu'on veut, agir ensemble pour maintenir un service de proximité essentiel, savoir qu'il y aura un lendemain pour sa communauté d'appartenance: n'est-ce pas là le début de la prévention de la maladie?
Une question demeure cependant entière: l'avenue coopérative pourra-t-elle véritablement transformer les mentalités et permettre de passer d'une gestion des affaires de la clinique à une appropriation de leur santé par les citoyens? La réponse dépendra de la volonté des différents acteurs et intervenants de partager leurs réalités et leurs connaissances respectives. Elle dépendra aussi de leurs capacités à vivre les valeurs coopératives de démocratie et d'équité que porte la coopération.
***
Marie-Joëlle Brassard, Directrice de la recherche et du développement au Conseil québécois de la coopération et de la mutualité
La clinique coopérative de santé ne rime pas avec privatisation
Commission Castonguay
Marie-Joëlle Brassard2 articles
Directrice de la recherche et du développement au Conseil québécois de la coopération et de la mutualité
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé