La commission Bouchard-Taylor aura d'ici quelques mois une sorte de complément rédigé par Jean Baubérot, spécialiste mondialement connu de la laïcité. Un rapport sur les accommodements raisonnables, c'est bien, mais deux, c'est franchement mieux.
«J'ai décidé de m'intéresser au débat québécois à compter de l'automne 2006 et depuis je suis venu sept ou huit fois», dit le savant, rencontré hier à Montréal. Le professeur parisien assistait la veille au dévoilement du rapport de ses deux collègues québécois. «Ça m'intéressait de comparer l'évolution française et l'évolution québécoise. En suivant le travail de cette commission, en menant des entrevues avec des spécialistes et des citoyens, j'ai constaté à quel point la voie québécoise est originale et ouvre des perspectives fondamentales.»
Jean Baubérot, c'est un peu, beaucoup, énormément monsieur laïcité en France. Le rapport de la commission cite son travail. Sociologue des religions, il est titulaire de la chaire d'histoire et de sociologie de la laïcité à la prestigieuse École pratique des hautes études. Auteur d'une vingtaine d'ouvrages, la plupart sur la question des rapports au religieux dans nos sociétés, il est aussi coauteur de la Déclaration internationale sur la laïcité (2005), signée par 250 universitaires de 30 pays, dont certains du Québec. Il a également fait partie de la commission Stasi (2003), un groupe de réflexion sur l'application du principe de la laïcité en France, une sorte de commissions Bouchard-Taylor à la française.
Il vient de publier La Laïcité expliquée à M. Sarkozy (Albin Michel). Son nouveau livre sur le Québec et la crise des accommodements est presque terminé. Il va y reprendre le fil du débat, examiner les risques de dérapage et synthétiser le travail de la commission. «Je suis allé en région, jusqu'à Hérouxville. J'ai fait ma petite commission, dans le souci de présenter le modèle québécois et de le comparer au modèle français.»
Comment expliquera-t-il maintenant la laïcité ouverte à la québécoise à son président et à ses compatriotes? Que pense-t-il franchement des conclusions du rapport Bouchard-Taylor?
«À travers des tâtonnements, des essais et des erreurs, je crois tout de même que l'invention d'une laïcité interculturelle est vraiment une solution d'avenir, y compris pour la France, dit-il. À ce chapitre, le Québec montre la voie. Le rapport Bouchard-Taylor est un travail d'une très grande tenue. Il y a là une grande clarté, une rigueur impressionnante, qui tient compte de l'histoire et qui pose des balises pour l'avenir.»
Le mot clé: conciliation
Le professeur Yves Boisvert, de l'École nationale d'administration publique, passe aussi le plumeau sur le travail des coprésidents Charles Taylor et Gérard Bouchard, notamment en conférence de presse, jeudi midi. «Ils ne sont pas tombés dans le piège de la politicaillerie et ils ont eu une approche globale en faisant appel à une intégration qui exige de la bonne volonté de toutes les parties prenantes, écrit-il dans un courriel envoyé depuis l'Europe, d'où il a suivi l'affaire. Le mot clé de la conciliation était au coeur de leur présentation et, pour quelqu'un qui comme moi s'intéresse à l'éthique plutôt qu'au droit, l'appel à la quête de rapprochement, de compromis et à la transaction m'a semblé fort intéressant. La précision faite comme quoi le rapport ne cherche pas de coupable est là aussi très rassurante.»
Le professeur Baubérot insiste sur la crise réelle des modèles d'intégration de nos sociétés. La encore, il trouve dans le rapport Bouchard-Taylor matière à réjouissance. «On y trouve la recherche d'un point d'équilibre entre un républicanisme qui voudrait une sphère publique neutre, aseptisée, et un multiculturalisme qui tendrait vers la juxtaposition des communautés. Ce sont les deux extrêmes à éviter.»
Plusieurs commentateurs et militants souhaitaient au contraire que les recommandations pointent vers une laïcité à la française. Or M. Baubérot rappelle dans son dernier livre comme en entrevue que le président Sarkozy a malmené ce modèle avec des déclarations incendiaires revalorisant les religions par rapport aux autres convictions. «C'est ce que j'appelle un néocléricalisme. Il dit qu'il faut revaloriser l'héritage religieux par rapport à la morale laïque. Ça ne va pas. Une société est faite de convictions diverses et les religions n'ont pas le monopole des questions morales et de sens.»
Tout de même, l'Assemblée nationale française ne siège pas sous un crucifix et les lycéennes comme leurs enseignantes de la République ne peuvent porter le foulard islamique. «Il faut fixer des limites, réplique alors le professeur. Moi, personnellement, je n'ai pas voté en faveur de l'interdiction des signes religieux. Je pense que ça fait partie de la liberté de conscience de porter le foulard ou pas. En plus, paradoxalement, les jeunes filles exclues des écoles publiques vont aller dans les écoles privées musulmanes. Au bout de cinq ans, celles-ci sont reconnues et subventionnées à 80 % par l'État dit laïque. Parfois, la laïcité pure et dure aboutit à moins de laïcité. Il faut savoir doser pour réellement assumer. La France se raconte parfois des histoires qui ne résistent pas dans les faits.»
La commission expliquée aux Français
«L'invention d'une laïcité interculturelle est vraiment une solution d'avenir, y compris pour la France. À ce chapitre, le Québec montre la voie.»
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