L’ancien premier ministre Lucien Bouchard joint sa voix à celles qui réclament d’Ottawa qu’il ouvre ses archives sur le processus de rapatriement de la Constitution de 1982, au cours duquel le juge en chef de la Cour suprême d’alors, Bora Laskin, aurait été juge et partie. Les affirmations à cet égard contenues dans le livre La bataille de Londres de Frédéric Bastien sont troublantes. La vérité historique a ses droits.
L'appel que lance ce samedi M. Bouchard dans nos pages doit être entendu. Les révélations de Bastien, au demeurant très crédibles, doivent être ou confirmées, ou infirmées, tant elles sont graves. Elles mettent en cause la réputation d’indépendance de la Cour suprême et par là même sa crédibilité, ce qu’elle a vite compris. Sortant de sa traditionnelle réserve, elle s’est engagée à faire un examen.
Cet examen ne pourra avoir de sens que si toutes les pièces au dossier sont publiques. Or, il se trouve que celles-ci sont dans les archives du Conseil privé, qui oppose une fin de non-recevoir à leur divulgation. Ce refus n’est pas innocent. Le gouvernement Harper veut éviter de mettre le pied dans une controverse où il a tout à perdre. Comme le rappelle le livre de Bastien, l’histoire du rapatriement de 1982 est l’histoire de l’exclusion du Québec. Ce n’est pas sans raison que les fonctionnaires ont caviardé à grands traits les documents demandés par l’auteur.
Cette peur de rouvrir de vieilles blessures est malsaine. On aura beau fermer les yeux, elles n’en existent pas moins. Un tel déni est inacceptable de la part d’un premier ministre ou d’aspirants-premiers ministres qui ne devraient pas accepter que l’on puisse douter de la légitimité de la constitution du pays, comme c’est le cas aujourd’hui. À tort ou à raison ? Tous devraient vouloir le savoir.
Le rapatriement de la Constitution est une histoire inachevée. On l’oublie trop souvent au Canada anglais, mais ici aussi. Le Québec n’a pas signé la Constitution de 1982, dont il a été exclu par les autres provinces et le gouvernement fédéral, qui s’appuyaient sur une décision de la Cour suprême - d’où l’importance de savoir si le juge en chef a bel et bien traversé la ligne qui sépare le judiciaire du politique.
Que Justin Trudeau, futur chef du Parti libéral du Canada, ne juge pas nécessaire d’ouvrir les archives fédérales pour ne pas « rouvrir de vieilles batailles » peut à la limite s’expliquer, le fils cherchant à préserver l’image de l’ancien premier ministre que fut son père, avec qui il partage une certaine conception de ce que doit être le Canada.
Que François Legault, chef de la Coalition avenir Québec aspirant à devenir premier ministre du Québec, réduise ce débat à de « vieilles chicanes » ne peut s’expliquer que par un consternant réflexe partisan. Il ne veut pas donner à la première ministre Marois des munitions pour attaquer le gouvernement fédéral, non plus qu’au nouveau chef libéral, Philippe Couillard, qui envisagerait de reprendre un dialogue constitutionnel une fois élu premier ministre.
L’occasion n’est surtout pas de se lancer dans de vains débats partisans. Il faut faire montre d’un sens de l’État. En 1982, l’Assemblée nationale s’est opposée d’une seule voix à son exclusion de la Constitution. Apprenant aujourd’hui que cela a pu s’accompagner de gestes illégitimes, elle a le devoir de poser des questions. Comme le suggère Lucien Bouchard, l’Assemblée doit demander, à nouveau d’une seule voix, à Ottawa d’ouvrir ses archives au nom du simple droit des Québécois de connaître la vérité historique. Cela ne changera pas l’état des choses, mais c’est un devoir de rappeler que le Québec a été exclu de cette histoire. Ce fait ne doit surtout pas tomber dans l’oubli. Cela s’appelle un devoir de mémoire.
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