Mondialisation et commerce international

La démythification de Milton Friedman (3-C)

Économistes atterrés

Les effets secondaires de la panacée mondialiste (suite)
À bien des égards, les multinationales font la loi. Dans l'État prédateur, James Kenneth Galbraith dresse un constat voulant que le gouvernement américain soit désormais sous l'emprise du capital et de la droite politique. Et, il faut bien admettre que le pouvoir des multinationales soit suffisamment grand pour leur permettre d'influencer les gouvernements dans le sens de leurs intérêts. Lorsqu'elles ne peuvent pas décider du contenu des lois, elles les contournent. Mieux encore, dans les cas où cela est possible, elles les mettent tout simplement en échec en établissant des filiales dans des centres dits «offshore». Or, comme les organismes réglementaires n'ont rien des dents de la mer, les multinationales finissent plus ou moins par vivre en marge des lois qui s'appliquent au commun des mortels.
En 1944, lors de la Conférence de Bretton Woods, on voulait instaurer des contrôles visant à neutraliser les fuites de capitaux. Un projet de règlement fut donc préparé avec l'intention d'imposer aux pays bénéficiaires d'une arrivée inhabituelle de capitaux l'obligation d'avertir les pays d'origine afin de leur permettre de prendre les mesures voulues pour enrayer l'hémorragie. Les banques américaines, qui avaient bénéficié des fuites de capitaux ayant marqué les années 1930, se sont objectées à l'adoption de la norme envisagée par les participants à la conférence. L'obligation d'informer le pays d'origine s'est donc transformée en une autorisation à avertir l'État en question.
Plusieurs années plus tard, lors des travaux du Comité de Bâle chargé d'élaborer un régime d'évaluation du risque applicable aux banques, ces dernières ont réussi à imposer le principe de l'autoévaluation du risque. Autrement dit, on proposait de mesurer le risque à partir de modèles conçus par les banques elles-mêmes. Comme l'histoire l'a si bien démontré, cela signifiait à toutes fins pratiques une absence de contrôle du risque. Empêtrées par la suite sous dans des montagnes de pertes, les banques se sont tournées vers les gouvernements pour les tirer d'embarras. Les gouvernements, eux, se sont alors tournés vers les contribuables pour les tirer du pétrin. Et, le cycle ne semble pas vouloir cesser de se répéter. À la limite, les banques constituent l'industrie la plus subventionnée de toutes.
En fait, les multinationales sont désormais en plein contrôle, ou presque, du contenu de la vitrine financière de l'entreprise. Les grands cabinets comptables internationaux (PricewaterhouseCoopers, KPMG, Ernst & Young et Deloitte Touche) ont réussi à faire accepter l'idée de substituer les normes internationales de la comptabilité financière aux normes nationales. Inspirées de la comptabilité anglo-saxonne, les normes internationales uniformisées permettront aux grands cabinets comptables d'offrir des services standards à l'échelle de la planète, ce qui réduira grandement leurs coûts. Ces normes laissent cependant une généreuse marge de manoeuvre aux entreprises dans la mesure des valeurs apparaissant à leurs documents comptables. L'affaire Enron, a éloquemment démontré les conséquences possibles de la «créativité» comptable débridée. En outre, il sera difficile de modifier les normes internationales sans l'aval des grands cabinets. Il serait étonnant qu'ils ouvrent la porte à des modifications susceptibles de froisser les multinationales.
Les grands cabinets se sont en effet empressés de les protéger de l'oeil indiscret du vérificateur fiscal. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a lancé un chantier visant l'instauration éventuelle d'une fiscalité des multinationales filiale par filiale. Ce faisant, l'OCDE visait à contrer la propension naturelle des multinationale à l'évitement fiscal. L'examen du revenu filiale par filiale permettrait en effet de mettre en évidence les endroits où les multinationales déclarent d'immenses revenus sans vraiment y faire affaires. Autrement dit, l'effort vise à serrer la vis aux sociétés qui dirigent leurs revenus vers des hâvres fiscaux. Le chantier demeure cependant en suspens, les grands cabinets comptables s'y opposant avec le dernière énergie.
Dans les secteurs de l'informatique, du divertissement et des produits pharmaceutiques, un groupe restreint de multinationales a réussi à modeler une entente internationale concernant la propriété intellectuelle dans le sens voulu. Elles ont obtenu la protection de certains brevets pour une durée de vingt ans, ce qui excède la durée habituelle de protection. Dans le cadre de leur démarche, elles ont convaincu les entreprises locales d'appuyer leur effort et elles ont soumis aux gouvernements concernés des études exagérant grandement les ravages du piratage. Récemment, un rapport commandé par la Chambre de commerce internationale évaluait à un billion $US les coûts de la contrefaçon à l'échelle mondiale. L'étude faisait également état de pertes d'emplois à la hauteur de 2,5 millions dues au piratage. Aux dernières nouvelles la Chambre n'avait pas encore commandé d'études sur les pertes d'emplois résultant de la mondialisation. (Les multinationales définissent-elles les règles de la mondialisation? Problèmes économiques, 2 mars 2011, p., 20)

Au final, la mondialisation tend à l'instauration de la loi de la jungle. Mais, entre-temps, elle a fait quelques dizaines de milliardaires dans les pays émergents sans y apporter la prospérité promise. Il y a bien eu, là-bas, constitution d'une classe dite moyenne, mais sa richesse réelle ne la place pas réellement dans cette catégorie. La mondialisation a plutôt multiplié les ateliers de misère où la main-d'oeuvre peine douze heures par jour pour 75 $US par mois. Les multinationales ne semblent pas, cependant, remettre en question la productivité de ces travailleurs. Elles continuent en effet de déménager là-bas à la moindre occasion. Malheureusement, le niveau de vie n'a pas suivi la productivité. Et, l'on ne dit rien des conditions de travail des pauvres marins qui ramènent toute cette pacotille en Amérique, où le niveau de vie ne semble pas suivre la productivité non plus. Depuis 1979, les Américains les plus riches ont vu leurs revenus s'accroître 15 fois plus vite que ceux des plus pauvres. Au cours de cette période, la tranche de 1 % des individus les plus fortunés ont vu leurs revenus gonfler de 275 %, contre 18 % dans le cas de la tranche de 20 % des Américains les plus pauvres. (Devoir, 27-10-11, p., B-3) L'an dernier, en 2010, le revenu médian des ménages américains a reculé de 2,3 % par rapport à celui de 2009. Depuis 1999, il régressé de 7,1 %. Et, fait significatif, l'appauvrissement touche désormais les couches les plus instruites de la société. La mondialisation n'échappe personne ou presque. Cet appauvrissement collectif a également eu pour effet de diluer l'assiette fiscale permettant aux gouvernements de rencontrer leurs obligations face à la population. Il n'est donc pas impossible que le gouvernement américain peine un jour à respecter ses engagements au titre de la Sécurité sociale et des services de santé. La tendance fiscale pointe définitivement dans cette direction.
Et, cet affaissement de la qualité de vie des Américains n'a pas véritablement amélioré le sort des pays émergents. Au tournant des années 90, plusieurs de ces pays croulaient sous un amas de dettes trop lourdes à supporter pour eux. Heureusement le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont volé à leur «secours» dans le cadre du plan Brady, attribué au Secrétaire américain du Trésor (1989), Nicholas Brady. On a réduit les dettes, mais il y a eu des...conditions: diminutions des dépenses publiques, augmentation des impôts des particuliers, diminution de ceux des sociétés, privatisations et ouverture des marchés à la concurrence étrangère. Évidemment, les multinationales étaient à la table d'honneur de ce festin néolibéral. Non, professeur Friedman, le Togo ne faisait pas le poids. En 2010, seulement cinq pays avaient atteint l'objectif que se sont imposés les États les plus riches de verser 0,7 % de leur PIB à l'aide internationale. À ce chapitre, les États-Unis et le Canada font partie du groupe des cancres avec des contributions respectives de 0,21 % et de 0,33 % .
À l'échelle individuelle, les population des pays émergents ont eu droit à la stratégie miraculeuse du microcrédit, qui devait les aider à créer leurs propres emplois. Grosso modo, les prêteurs empruntent eux-mêmes auprès des banques et des...fonds spéculatifs à des taux oscillant autour de 13 %. Ils reprêtent ensuite aux pauvres les fonds ainsi obtenus à des taux atteignant 25 %. Certains de ces prêteurs sont même...cotés en Bourse. Évidemment, bon nombre des «bénéficiaires» de ces prêts sont incapables de les rembourser. Ils sont alors pourchassés par des agents de recouvrement qui les réduisent parfois au suicide. Dans la région de l'Andhra Pradesh, en Inde, les forces policières ont dénombré 14 463 suicides en 2010, sur une population de 76 millions d'habitants. Le microcrédit est devenu une vaste entreprise de «shylocking». (Le microcrédit en danger, Problèmes économiques, 28 sept., 2011, p., 3)
Il semble bien, donc, que les promesses de prospérité universelle formulées par les porte-voix de la mondialisation étaient empoisonnées depuis le début. Pourtant, le dogme mondialiste occupe toujours le centre du discours économique. Et, il est toujours de mauvais ton de remettre la mondialisation en question. À cet égard, cependant, on pourra regarder du côté des médias traditionnels pour expliquer le phénomène. Il n'en demeure pas moins, par contre, que pour plusieurs, la cause est entendue: Milton Friedman et ses disciples ont littéralement crevé le niveau de vie de l'Amérique moyenne. En fait, certains membres du jury ne les écoutent même plus:
«La mondialisation...incite les entreprises multinationales à déplacer des capitaux vers les pays où la main-d'oeuvre est la moins coûteuse....Les multinationales s'implantent également dans ces mêmes pays pour contourner les lois qui existent dans leur pays d'origine en matière de protection de l'environnement, de santé et de sécurité au travail, de normes du travail et de fiscalité...
Le fait que les entreprises peuvent s'implanter plus facilement dans les pays qui offrent les conditions les plus avantageuses amène les États nationaux soumis à une forte concurrence à sabrer dans les dépenses publiques et les avantages sociaux (santé, éducation, assurance emploi etc.,) et à diminuer les impôts sur le revenu des entreprises, tout en allégeant les réglementations en matière d'environnement, de normes du travail, etc,...Les gouvernements cherchent également à réduire les salaires des empoyés du secteur public, ce qui a pour effet d'accentuer la baisse des salaires des travailleurs du secteur privé...La volatilité du capital financier soumet à rude épreuve la politique monétaire et oblige les États à adopter des mesures restrictives...» (Introduction à l'économie internationale, Gaëtan Morin, Montréal, 2004, pp., 38-39, J.P. BIBEAU)

Il y a même des défections dans les rangs des pionniers de la mondialisation. Clyde Prestowitz, un membre de l'équipe de négociation du libre-échange à l'époque de l'administration Reagan, dénonce désormais les ravages de la libéralisation du commerce international:
«Prestowitz blames the American approach to trade and globalization. A former trade negotiator who worked on NAFTA and advised Ronald Reagan's commerce secretary, he argues that the root of the problem is a long-term American naïveté (Dans la mesure où l'on peut taxer les Américains de naïveté) about global trade, a case he makes in his book The Betrayal of American Prosperity.
American jobs are bein lost not only to low-wage competition from emerging economies, but to strategic policies by foreign governments to dominate critical sectors of the economy, or to keep their currency low to promote exports» (Third World America, Maclean's, 20 sept., 2010, p., 30.)

Les témoignages s'accumulent. Et, ils n'ont pas fini de le faire. Il suffira de citer Yogi Berra pour s'en convaincre:«Si tu veux voir quelque chose, tu n'as qu'à regarder.» Or, de plus en plus de gens n'aiment pas ce qu'ils voient à propos de la mondialisation. En fait, lorsque l'on regarde attentivement, on constate que la globalisation a fait éclater tous les repères traditionnels. Dans le domaine de la finance et des affaires monétaires, les politiques néolibérales ont semé l'anarchie. Les banques et les spéculateurs ont fait exploser la masse monétaire. L'ingénierie financière a pollué le paysage d'un tsunami de produits toxiques inextricables dont la valeur nominale fait plus de dix fois celle de l'économie dite réelle. Et les financiers se sont affranchis de la surveillance de l'État en se cachant, justement, derrière la complexité de leurs manigances infectes ou en se réfugiant dans les centres «offshore». Et, les politiciens font du temps supplémentaire pour leur faciliter la tâche. Du côté de l'économie réelle, la situation n'est pas véritablement meilleure. L'économie mondiale a été prise en charge par une coterie de multinationales oligopolistiques qui ont fragmenté leurs activités au-delà de l'entendement. La chaîne de production, jadis confinée à une usine, a éclaté elle aussi à la grandeur du globe. Au total, les multinationales échappent, dans une large mesure, à la réglementation et à la fiscalité. Et, la mondialisation aidant, elles peuvent toujours utiliser le chantage pour préserver ou augmenter leurs pouvoirs:
«Après avoir compté sur elle pour alimenter la croissance, sortir des millions de personnes de la pauvreté, améliorer la vie quotidienne de leurs populations et les rendre heureuses (--Il y a peut-être un peu de lyrisme, ici--), les États-nations semblent avoir perdu le contrôle de la mondialisation.
À court terme, les dirigeants politiques risquent d'apparaître impuissants face à des marchés toujours plus rapides, ce qui pourrait saper leur autorité et potentiellement alimenter des troubles sociaux...
Le système financier, Internet et même la chaîne d'approvisionnement pour les ressources naturelles se sont défaits sans bruit du contrôle effectif des États» Devoir, 09/08/11, p., B-1)

La réforme du capitalisme ne sera de toute évidence pas chose aisée. Celui-ci est en effet devenu une réalité fuyante difficile à cerner. Or, on ne réforme pas ce que l'on ne comprend pas suffisamment bien. Mais, la tâche ne sera néanmoins pas impossible. Seuls les États pourront cependant s'attaquer à pareil chantier. Mais, si la tendance se maintient, y aura-t-il un État pour le faire éventuellement? Chose certaine, les politiques néolibérales montrent une nette préférence pour les États anorexiques. C'est ce que nous verrons la prochaine fois lorsque nous nous attarderons à la politique fiscale néolibérale.

Salutations,
L. Côté


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