La « fiction inexistante » de Rudy Demotte

Chronique de José Fontaine

Le débat dont je vais parler va intéresser les Québécois. Je lisais récemment que sans même obtenir de changements à la Constitution canadienne, ils ont réussi à modifier les choses simplement en s'activant et en éclairant leur volonté par la manière de nommer les choses comme leur «Assemblée nationale», démenti vivant de ce que leur Parlement serait un Parlement subordonné ou «régional» (comme on le suggère parfois aux touristes à Québec). Au-dessus d'une «Assemblée nationale» il n'y a plus rien...
Parce que le Ministre Président flamand avait parlé de la Flandre comme d’un « Etat fédéré », le Ministre Président wallon, qui doit s’exprimer en lieu et place de son président de parti rendu silencieux par la nécessité de former un gouvernement fédéral belge, a parlé de cette expression comme d’une « fiction inexistante » ! C’est drôle parce qu’une fiction renvoie à quelque chose d’irréel ou de non-réel. Mais alors la déclaration de Kris Peeters ne devrait plus être mise en cause puisque sa façon de parler d’un Etat fédéré non seulement ne renverrait à rien de réel, mais serait en outre fictive, donc n’aurait jamais existé…
Pourtant Rudy Demotte est intelligent
Comment se fait-il que Rudy Demotte, qui est certainement un grand ministre wallon, un homme intelligent, un ministre capable a-t-il pu si mal communiquer ? Certes, il n’en a pas l’habitude, du moins sur ces questions. Sur ces questions le Pontifex maximus wallon et socialiste c’est le président du PS, Elio Di Rupo, tenu à plus de discrétion, car il est en train de former un gouvernement fédéral. Mais pourquoi s’exciter sur cette notion d’ « Etat fédéré » qui, somme toute, n’est pas très audacieuse ? Un Etat fédéral contient fatalement des Etats fédérés! Jean-Marie Klinkenberg, le linguiste liégeois qui préside le Conseil de la langue française et de la politique linguistique pour la Wallonie et la Communauté française propose depuis 1992 des modifications de vocabulaire. Que la Région wallonne ne soit plus appelée « Région » mais « Etat », par exemple. Il n’a jamais été accusé de proférer des « fictions inexistantes », cependant. Il pourrait malgré tout se pencher en linguiste sur cette contradiction dans les termes d’une «fiction inexistante» qui doit être un hapax, mais (je ne suis pas linguiste), quoi? Un oxymore, un pléonasme?
En réalité, et toujours pour nous référer à Jean-Marie Klinkenberg, lorsque la Constitution belge a été réformée, depuis 1980, les ennemis de cette réforme ont réussi à ce qu’elle se prescrive dans des mots qui la contredisent et que le fédéralisme, y devienne une fiction (bien existante évidemment et hélas ! dans ce cas-ci). Le Parlement wallon y était nommé « Conseil » alors qu’un conseil… « conseille », mais ne délibère pas, ne décide pas. Le Gouvernement wallon y était appelé « exécutif » alors qu’un exécutif comprend aussi l’administration qui met en oeuvre les décisions prises par un gouvernement. Il demandait aussi que la Région wallonne soit appelée « Wallonie » tout simplement. Sur ces trois premiers points il a lentement obtenu gain de cause. Pour « Parlement » et « Gouvernement » cela s’est fait au début des années nonante. Pour « Wallonie » cela vient de se faire ce printemps-ci. Mais JM Klinkenberg aurait souhaité aussi qu’on parle d’ « Etat » et non de « Région » wallonne, dans la mesure où il lui semblait que le terme « région » renvoyait à des entités floues, sans pouvoir politique, comme la région parisienne, les régions agricoles ou montagneuses...
Les juristes belges devraient revoir leur copie
C’est bien cela la leçon de toute cette indignation mal exprimée de Rudy Demotte s’insurgeant contre la « fiction inexistante » que serait l’expression « Etat fédéré » utilisée à propos des entités fédéres belges. Ah ! oui ! Si les mots « Etat fédéré » sont proscrits par les juristes belges (du moins les francophones et les politologues wallons ne sont pas aussi intolérants (1)), en revanche, les mots « Entité fédérée » sont vivement conseillés. Personne évidemment parmi ces juristes n’a jamais songé à définir la différence (qui n’est sans doute pas abyssale, on le devine), entre « Etat fédéré » et « Entité fédérée ».
En réalité, la différence, je pense la connaître et ceci simplement parce que c’est un vieux truc réactionnaire, que Klinkenberg a d’ailleurs souligné dans son texte de 1992. Si vous ne pouvez pas empêcher qu’une réforme se fasse, veillez à ce que la manière d’en formuler le contenu fasse plutôt songer à ce qui existait avant : mettez, autrement dit, le vin nouveau dans de vieilles outres qui auront tôt fait de corrompre la jeunesse du vin.
Si la « fiction inexistante » de Kris Peeters existe bel et bien (2). Si, en plus, elle a du sens, il faut ajouter que cette manière de s’exprimer aurait le mérite d’un peu plus de clarté que le vocabulaire actuel. Sans cesse je suis abordé par des Wallons qui me demandent si la Belgique va survivre comme Etat. Mais la question est mal posée. Car la Wallonie est bel et bien déjà un Etat et cet Etat risque, au bout de la législature qui commence, d’acquérir un nombre de compétences si élevé qu’il aura quasiment pris la place de l’Etat belge qui sera, lui, bel et bien, devenu, si pas une fiction, en tout cas bien moins que l’Etat irremplaçable qu’on s’imagine. Puisqu'il est déjà en partie remplacé et le sera de plus en plus. Pourquoi, de fait, ne pas dire que Wallonie, Flandre et Bruxelles sont des « Etats »? Cela aurait le grand mérite de clarifier les choses aux yeux des citoyens moyens dans les rangs desquels je me place. Mais quand on fait observer la chose à certains juristes, ils prétendent que les « gens » ne s’intéressent pas à ces choses. Curieux pour des juristes d’oublier que la dernière instance juridique en démocratie, c’est le peuple souverain. Qui a le droit de savoir et à qui on doit donner les moyens de comprendre, à mon sens.
(1) Notamment ceci : « La souveraineté externe exclusive de la Fédération est exercée par l’État fédéral. Notons cependant que les États fédérés ont souvent une existence restreinte sur le plan international. Il arrive même que les États fédérés développent une politique extérieure. En Belgique par exemple, les entités fédérées possèdent des compétences internationales dans leurs domaines de compétence interne. Elles développent en conséquence une politique extérieure propre. Le droit international ne reconnaît néanmoins que l’État belge comme acteur capable d’engager la Fédération sur la scène internationale. »
(2) Il donne aujourd’hui une interview à La Libre Belgique où les mots « Etat fédéré » reviennent tout le temps. Il est décevant que certains, au courant de la semaine, considéraient encore cela comme inacceptable comme David Coppi dans Le Soir du 15 juillet. Certes Le Soir - qui pourtant n'a pas toujours été comme cela - présente depuis dix ans tout transfert de compétences aux Etats fédérés comme une défaite francophone. Même les compétences en matière agricole, une revendication wallonne pourtant quasiment unanime et qui a libéré l'agriculture wallonne de la puissance politique et financière du Boerenbond...

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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