La force des mots pour faire la paix

Le Moulin à paroles a pris l'allure d'un grand happening sur les plaines d'Abraham

1759 - Commémoration de la Conquête - 12 et 13 septembre 2009

Isabelle Porter - Québec -- À la fois grand-messe souverainiste, marathon littéraire et pique-nique familial, le Moulin à paroles, visant à commémorer la défaite française de 1759, s'en est tenu à la puissance des mots cette fin de semaine sur les plaines d'Abraham.
«C'est un grand gain pour la parole», nous disait le poète et chanteur Raôul Duguay tard samedi. «Il n'y a pas de show, pas de rock'n'roll, que la parole. C'est un succès extraordinaire, il faut que ça soit refait.»
Des turlutes de la Bolduc aux poèmes de Gaston Miron en passant par les correspondances de James Wolfe et le marquis de Montcalm, les gens ont ainsi pu découvrir, ou redécouvrir, des dizaines et des dizaines de textes du patrimoine littéraire et historique du Québec.
L'événement de 24 heures a débuté sous les auspices d'un chaud soleil samedi après-midi par un discours inspiré de Brigitte Haentjens. «Nous commémorons ensemble, au cours de cette veillée d'armes, cinq siècles de mots dits, clamés, chuchotés. Ce soir, cette nuit, on assiste à une espèce de miracle. Tous ces mots ressuscités feront partie à nouveau du chant du monde.»
Une foule tranquille dépassant par moments le millier de personnes a écouté religieusement les 156 textes sélectionnés pour l'occasion. Munis de chaises pliantes, de couvertures et même de hamacs, certains sont restés de longues heures devant le kiosque Edwin-Bélanger.
«On m'a souvent demandé cette semaine pour quelle raison je serais ici ce soir. Vous êtes la réponse», a déclaré samedi l'ancien ministre conservateur Benoît Bouchard qui, comme bien des lecteurs, a paru touché par l'écoute attentive et enthousiaste dont la foule s'est montrée capable. «L'initiative avait pour objectif, quelle que soit notre appartenance politique, d'apprendre ce que nous avons été et ce que nous sommes, et je pense que nous avons besoin des deux pour savoir ce que nous voulons devenir», a-t-il ajouté hier après-midi.
À l'exception de ce dernier, l'événement a surtout vu défiler des souverainistes notoires, dont le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, la chef du Parti québécois, Pauline Marois, et l'ancien chef péquiste Bernard Landry qui a eu droit à une ovation après avoir récité un texte de Chevalier De Lorimier.
Outre les ténors du mouvement souverainiste et les artistes, le Moulin à paroles a donné une grande place aux autochtones. Ainsi a-t-on pu entendre notamment des chants de gorges inuits, un discours du nouveau chef de la nation huronne, Konrad Sioui, et la prestation du rappeur algonquin Samian.
Quant au manifeste du FLQ qui avait été à l'origine de la controverse des derniers jours, il n'a pas donné lieu aux débordements que d'aucuns pressentaient. Luck Mervil en a fait la lecture comme prévu et a été suivi rapidement sur scène par Jean Barbe qui a récité la touchante lettre que Pierre Laporte avait écrite à Robert Bourassa avant de mourir.
Interrogé en début de soirée, samedi, Luck Mervil avait prévenu que, s'il y avait des problèmes, la responsabilité en incomberait au gouvernement libéral et que c'était d'abord un devoir de mémoire que de relire les textes des événements d'octobre «pour éviter que ça se reproduise».
Fait notable, on a aussi récité des textes de Lord Durham, de Mordecai Richler et de Pierre Elliott Trudeau. «Je vais prendre les applaudissements avant de vous dire ce que j'ai à lire», a lancé à la blague l'humoriste Christopher Hall qui a lu en anglais The Street de Richler.
Les représentants de la communauté artistique ont répondu en grand nombre à l'invitation des Biz, Sébastien Ricard et Brigitte Haentjens. Certes, certaines des personnalités dont on nous annonçait la venue plus tôt cet été, comme Roy Dupuis, Monique Mercure et Gilles Pelletier, n'étaient pas présentes. Néanmoins, malgré les retards importants à l'horaire, la plupart avaient répondu présent. Pour les faire patienter, on avait aménagé un campement à l'arrière de la scène, et des lits de camp les attendaient dans le sous-sol de l'église Saint-Dominique.
Si les vedettes du petit écran comme France Castel avaient droit à des applaudissements chaleureux dès leur arrivée sur scène, la foule a aussi répondu avec force aux textes les plus incisifs, comme La Censure de Claude Gauvreau lu par la chanteuse Nathalie Lessard.
Rare homme d'affaires à s'associer à cet événement, Pierre Karl Péladeau était sur place pour accompagner son épouse, Julie Snyder, qui devait lire un texte d'Abla Farhoud. Le réseau dont il est le propriétaire présentait d'ailleurs en direct sur le Web ainsi qu'à la télévision la totalité du Moulin à paroles, une première dans son histoire. Ainsi, beaucoup de gens -- des jeunes notamment -- ont pu suivre ce marathon à distance en commentant en direct les prestations sur Twitter.
Tantôt émouvant comme le dialogue de Ti-Coq lu par Emmanuel Bilodeau et Édith Cochrane, tantôt drôle comme ce monologue d'Yvan Deschamps lu par le comédien Hugues Frenette, le Moulin à paroles a donné sans artifices ni musique ce que le 400e n'avait que partiellement offert en matière de commémoration historique, a fait remarquer le poète André Ricard dans un pamphlet composé spécialement pour l'occasion. «Le divertissement est à même, comme on l'a vu lors du 400e anniversaire de cette ville, de prendre tout l'espace jusqu'à inhiber la raison même de la fête», a-t-il écrit.
La Nuit de la poésie prise 2?
Au-delà des textes, le Moulin a abrité certaines personnalités historiques, comme Françoise Sullivan venue en personne lire un extrait du Refus global qu'elle cosignait en 1948.
Étant donné la présence de Pierre Morency, de Raôul Duguay et des textes de Gaston Miron, de Michèle Lalonde et de Roland Giguère, on pouvait voir dans ce Moulin à paroles une version actualisée de la mythique Nuit de la poésie de mars 1970. D'autant plus que, près de quarante ans après l'avoir filmée, le documentariste Jean-Claude Labrecque était de nouveau fidèle au poste, posté de longues heures derrière sa caméra pour immortaliser ce nouveau happening.
La récitation ayant pris plus de temps que prévu, le Moulin à paroles n'aura présenté que deux de ses trois cycles de 156 textes. À la clôture du second, vers 13h30 hier, tous les participants se sont rassemblés sur scène pour la lecture du dernier texte, celui d'André Ricard. Après qu'ils eurent scandé leurs textes simultanément dans une cacophonie symbolique, on a laissé se succéder sur scène les prestations les plus marquantes de la veille devant une foule qui en redemandait. Enfin, tous sont remontés sur la scène pour chanter À la claire fontaine puis, avec la foule, ils ont entonné Gens du pays.


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