La grande récession bat son plein

Crise mondiale — crise financière



Rudy Le Cours - Abraracourcix, le chef incontesté du village d'Astérix n'avait qu'une seule crainte: que le ciel lui tombe sur la tête!
S'il vivait de nos jours, il serait sans doute paniqué, tant se sont assombris les cieux économiques et tant est violente la tempête que nous traversons.

Depuis septembre, il n'est pas une semaine sans que les prévisions des experts soient révisées à la baisse tandis que tombent comme autant de grêlons les statistiques les plus sidérantes.
Prenons la semaine qui vient de s'écouler.
On a indiqué que le Fonds monétaire international (FMI) prévoyait désormais un repli pouvant aller jusqu'à 1% de l'économie mondiale, une première en 60 ans.
En fait, l'organisme posait un diagnostic beaucoup plus sombre: à l'automne, dans la foulée de la faillite de la banque d'affaires américaine Lehman Brothers et les tergiversations de Washington dans la mise en place du plan de sauvetage de son système financier, l'économie mondiale a implosé. Non seulement le crédit a-t-il figé un peu partout, mais surtout la production mondiale a reculé de 5% en rythme annualisé.
Le FMI prévoit désormais une reprise de l'économie américaine, l'épicentre du marasme actuel, à l'automne... 2010! La contraction va donc se poursuivre pendant plus d'un an encore, si le FMI voit juste et si les dirigeants n'arrivent pas à juguler la crise par d'énergiques mesures concertées.
En janvier, la Réserve fédérale américaine avait jugé bon de ne pas dépoussiérer sa planche à billets pour dégeler le crédit et éviter la baisse générale des prix. Elle croyait toujours à une «reprise graduelle de l'activité économique plus tard dans l'année», compte tenu de l'arsenal qu'elle déployait déjà.
Mercredi, la Fed a créé une onde de choc en se disant désormais prête à acheter jusqu'à 300 milliards de la dette du gouvernement américain. Elle emboîtait ainsi le pas à la Grande-Bretagne, le Japon et la Suisse, déjà acculés à cette situation extrême d'imprimer de l'argent. Tout ça pour éviter coûte que coûte une baisse généralisée des prix qui transformerait la grande récession actuelle en clone de la Grande Dépression des années 30.
Cette volte-face, entre autres mesures de relance, va contribuer, selon les propres termes de la Fed, «au rétablissement d'une croissance économique durable».
Quand? Motus, bouche cousue.
En fait, personne ne sait plus trop, tout le monde craint le pire et on s'active à qui mieux mieux pour l'éviter.
En Europe, après un premier veto de l'Allemagne, les chefs d'État se sont entendus hier pour doubler à hauteur de 50 milliards la valeur des prêts à 11 pays, en majorité de l'Europe de l'Est, dont les banques, les usines et les monnaies sont fragilisées par la crise. La Hongrie et la Lettonie ont déjà reçu de l'aide tandis que la Roumanie cogne à la porte.
L'Europe s'engage aussi à doubler ses crédits au FMI à hauteur de 100 milliards de dollars américains pour lui permettre de venir à la rescousse de pays menacés d'insolvabilité comme le Pakistan, la Slovénie, l'Ukraine ou la Biélorussie. Le Japon s'était engagé il y a quelques jours à en faire tout autant, lui qui fait pourtant face à une décroissance de 5,8%, cette année, sans horizon de reprise l'an prochain.
La contribution des pays européens sera détaillée par chacun à l'occasion du très attendu sommet des chefs d'État du G20 à Londres, au début du mois prochain.
Samedi dernier, leurs ministres des Finances et dirigeants des banques centrales avaient publié un communiqué commun faisant état de leur détermination à rétablir la croissance.
L'énoncé en huit points reflétait cependant de profondes divergences et des difficultés à mettre au second plan les intérêts nationaux immédiats au profit du sauvetage de l'économie mondialisée.
Au premier point, les 20 s'engagent à «combattre le protectionnisme sous toutes ses formes» et à ouvrir leurs frontières «au commerce et à l'investissement».
Plus tard dans la semaine, des élus américains affirmaient que le plan de relance fraîchement adopté devait avant tout servir les États-Unis, tandis que la Chine empêchait Coca-Cola d'acquérir le premier producteur de jus de fruits du pays.
L'Europe déchirée
Pas en reste, l'Europe était déchirée encore hier par une vive polémique à propos de l'aide de 4 milliards de dollars américains apportée par la France au constructeur national Renault. L'entreprise a annoncé immédiatement qu'elle allait créer 400 emplois en banlieue de Paris. D'aucuns craignent que cela signifie la délocalisation de la production de son usine en Slovénie, ce qui contreviendrait aux règles antiprotectionnistes au sein de l'Union.
Dans des sociétés où les ouvriers sont bien organisés et capables d'intimider leurs élus, la chute de la production industrielle est souvent synonyme de crise politique. Les Français sont à nouveau descendus dans la rue jeudi, soit la veille de la publication de données faisant état d'une chute de 3,5% de la production industrielle en zone euro, entre décembre et janvier et de 17,3% en un an.
Le FMI prévoit d'ailleurs que la décroissance économique sera plus forte dans la zone euro qu'aux États-Unis. Mais les effets sur la population seront en partie mitigés par une meilleure couverture sociale, à moins que les gouvernements ne soient forcés d'en limiter l'étendue, tant se creusent leurs déficits budgétaires, ce qui contrevient aussi aux règles de la zone euro.
C'est là d'ailleurs l'autre grande divergence entre l'Europe et les États-Unis dans la présente crise. L'Europe veut relancer l'économie, certes, mais surtout empêcher la répétition des dérapages du système financier, faute de réglementation plus serrée.
Les États-Unis abondent, mais soutiennent qu'il faut commencer par stimuler la relance et le crédit en injectant des milliards et des milliards. (Dans leur cas, il faut plutôt parler de billions).
En Chine...
La Chine pendant ce temps va de l'avant avec son plan de relance ambitieux qui stimule sa demande intérieure, faute de ranimer ses exportations. Sa croissance sera d'à peine plus de 6% cette année, préviennent la Banque mondiale et l'Organisation de coopération et de développement économiques. À première vue, cela fait envie, mais c'est tout de même près de la moitié moins de son rythme de 2007.
Les pays d'Europe de l'Est paraissent coincés. Après qu'on leur eut fait miroiter les avantages du capitalisme sur le socialisme et des forces du marché sur la planification de la production, ils se voient réduits à des choix déchirants.
Abaisser les taux d'intérêt pour relancer l'économie entraîne la fuite des capitaux étrangers, la dépréciation de leur monnaie et l'appauvrissement général. En prime, cela éloigne l'horizon d'adhérer à leur tour à la monnaie unique.
Les maintenir, ce n'est que retarder l'échéance car la récession va entraîner la chute des prix qui tarde peut-être encore quelque peu.
Dans pareil contexte, une question vient vite à l'esprit: comment expliquer que la Bourse américaine soit parvenue à bondir de 17% depuis son creux du 9 mars?


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