La grève de 40 ans

Ça prend un contrat social ! La solidarité de ces étudiants irréductibles surprend et déstabilise les petits bourgeois individualistes que nous sommes.

Crise sociale - printemps 2012 - comprendre la crise


Christian Gagnon - Enseignant à la retraite - Tout ça a commencé il y a près de 40 ans. Je n’étais pas sur les plaines d’Abraham, mais à Deux-Montagnes, à mes premières armes comme enseignant en cinquième secondaire. Je campais avec mes camarades en face des locaux de la commission scolaire, grève illimitée !
Nous nous battions, nous avions un front commun. La foi nous avait rendus aveugles, nous croyions à un pays, une langue, celle de Molière et Miron, nous croyions à notre unicité. Nous croyions qu’un peuple, c’était fait pour se lever, s’élever, nous croyions que tout s’apprenait dans les livres, que nous étions mémoire et histoire. Nous étions un volcan qui crachait haut et fort que la richesse d’un peuple passe par son éducation.
Et puis on a emprisonné nos trois chefs, le volcan a craché une autre fois par la suite, et nos gouvernements ont eu la certitude de l’avoir éteint. Lentement, ces mêmes gouvernements ont abâtardi l’éducation en transformant nos écoles en petites ou grosses entreprises et en traitant l’enseignement comme une fonction plutôt qu’une vocation.
Et là ils se sont mis à sabrer à gauche et à droite, le couperet aiguisé sur les professeurs, psychologues, enseignants spécialisés et autres ; toujours dans le muscle, là où ça travaille fort, jamais dans le gras, dans les hautes sphères ministérielles, jamais ils n’ont pensé à dépoussiérer leurs tablettes.
Les écoles publiques, talonnées par le privé et les biens nantis, sont devenues des espèces en voie d’extinction, qui pour survivre durent se muter en îlots de divertissement. Les étudiants étaient maintenant des clients à qui on offrait des programmes comme on distribue des bonbons. S’en est suivi une parade de paons se vantant tous d’offrir les programmes les plus visionnaires, de l’École internationale à l’Académie des sports. On n’éduquait plus, on divertissait.
À défaut d’élever, il fallait maintenant niveler et nos gouvernements continuaient de sabrer le muscle. Aujourd’hui, nos cégeps doivent offrir une sixième secondaire, nos universités pratiquent l’eugénisme.
Pendant plus de quarante ans, nos gouvernements ont refusé obstinément de remettre en question leurs programmes, de couper sur leurs tablettes plutôt que sur le terrain. Qui plus est, ils se sont permis de subventionner des projets farfelus et gargantuesques, jouant au Monopoly avec culture et éducation. Ils ont nourri le volcan plutôt que de l’éteindre.
Et maintenant qu’ils ont fait sauter le couvercle en demandant à nos enfants de payer pour leurs abus et leurs erreurs, et que ces enfants ont ravivé le goût de se battre, qu’ils réclament l’accès à l’élévation de leur esprit versus le nivellement de leur statut, nos gouvernements voudraient les museler et éteindre définitivement le volcan. Même si vous emprisonnez leurs chefs, ce volcan est assez jeune et fougueux pour cracher longtemps.
Ces étudiants se battent sans le savoir pour beaucoup plus que des sous, ils se battent pour qu’on s’assoie tous ensemble, qu’on prenne note du dérapage de notre système d’éducation, de son niveau inférieur au supérieur. Notre système favorise deux vitesses, deux richesses, oblige les écoles à se battre les unes contre les autres pour une cause qui devrait les rallier, carrés rouges carrés verts. Ça prend un contrat social ! La solidarité de ces étudiants irréductibles surprend et déstabilise les petits bourgeois individualistes que nous sommes.
Sommes-nous à ce point abrutis pour ramener ainsi le combat de ces gosses à un niveau purement pragmatique, alors que c’est notre survie comme peuple passé et à venir qui est en jeu ? L’école doit former de libres penseurs, pas de stupides consommateurs.
Je peux me tromper, mais j’espère que notre gouvernement ne saura acheter ces irréductibles, j’espère que ce n’est pas le chantage économique qui stigmatisera leur combat. Je tente ma chance, carré rouge ! Je l’achète, ce sera ma faible contribution à un fonds de grève.
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Christian Gagnon - Enseignant à la retraite


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