La guerre de l'eau

Et le Québec pourrait bien en être la première victime.

EAU - Commerce de l'eau


Moreault, Éric - L'été dernier, j'ai passé 10 jours à étudier les problématiques environnementales des Grands Lacs en compagnie de Peter Annin. L'ex-correspondant de Newsweek a depuis publié un livre sur l'avenir précaire de ces gigantesques mers d'eau intérieures. Sa thèse : des conflits couvent et ils éclateront au grand jour lorsque s'intensifiera la soif inextinguible des Nord-Américains. Ce sera la guerre de l'eau. Et le Québec pourrait bien en être la première victime.
En ce moment, plus d'un milliard de personnes dans le monde n'ont pas accès à l'eau potable et 2,6 milliards ne disposent pas d'un système d'assainissement élémentaire.
Résultat : 1,6 million de personnes meurent chaque année. Dans l'avenir, le réchauffement climatique aggravera la situation. La quête de l'or bleu fera rage. Un des principaux enjeux internationaux du XXIe siècle sera, sans contredit, la gestion de l'eau.
L'agriculture pompe 70 % de l'eau douce et pollue les ressources aquatiques. Les industries ont diminué leurs rejets de métaux lourds, mais d'autres contaminants les ont remplacés, comme l'expliquait notre dossier hier. Sans parler que lacs et rivières servent encore trop souvent d'égouts.
Cette situation nous force à investir des milliards de dollars pour traiter l'eau, dont 0,5 % est bue et le reste en bonne partie gaspillé. Au Québec, la tarification de l'eau est ridiculement basse. Loin, en tout cas, du prix dans les territoires palestiniens (3 $ le mètre cube) ou en France (5 $ le mètre cube). Nous consommons globalement quatre fois plus d'eau que les Européens, soit 800 litres par jour par personne.
Pendant ce temps, les réserves mondiales d'eau potable s'amenuisent, la population explose, et les Grands Lacs, le cinquième de ces réserves, suscitent toutes sortes de convoitises.
"Nous devons utiliser l'eau avant qu'elle ne se gaspille dans le fleuve Saint-Laurent", me disait l'été dernier George Kuper, le président du Conseil des industries des Grands Lacs. C'est gros, pour ne pas dire grossier, mais sa position résume un courant de pensée répandu dans les États qui bordent les Grands Lacs. Et encore plus populaire dans ceux, plus éloignés, qui rêvent de dériver l'eau pour leurs besoins.
Peu leur importe que plus de la moitié de la population québécoise se désaltère dans le Saint-Laurent !
Le Québec, l'Ontario et huit États américains ont signé un accord sur la protection de l'eau du bassin Grands Lacs-Saint-Laurent en décembre 2005. L'adopter pourrait prendre des années, si on y arrive un jour. Mais serait-ce suffisant ? Après tout, il permet le transfert légal d'eau dans ces provinces et États.
Or plusieurs communautés riveraines manquent d'eau ou font face à la contamination de leurs sources d'approvisionnement. Ce ne sont là que les premières tensions, et leurs répercussions vont faire surface. L'exemple historique vient de loin : au siècle dernier, Chicago a construit un canal pour détourner le lac Michigan. La Cour suprême américaine a, par la suite, limité la quantité d'eau puisée, qui augmentait sans cesse.
Les recherches sur les impacts négatifs de telles dérivations sur les écosystèmes ne sont pas légion. Qui plus est, Environnement Canada prévoit une baisse de l à 1,5 mètre des niveaux d'eau en raison des changements climatiques.
Sans parler que ceux-ci s'accompagneront de sécheresses qui accentueront la demande pour l'eau des Grands Lacs. Il y aura aussi les pressions sur le milieu exercées par le secteur industriel et les pêches. Ou l'envahissement par des espèces exotiques (moules zébrées et lamproie marine) ou pas (algues Claphora) qui détruisent l'écosystème. Ou la pollution au mercure causée par les centrales électriques au charbon, nombreuses chez nos voisins. Ou les 24 milliards de gallons d'eaux usées déversés annuellement par les égouts des villes américaines et canadiennes.
Répétons-nous : qui sont les derniers à bénéficier de l'eau du bassin ? Les Québécois. Et qui seront les derniers à avoir voix au chapitre si nos voisins, d'un côté ou de l'autre de la frontière, font des actions qui mettent en danger notre source de vie ? Serons-nous prêts pour la guerre de l'eau ?
Le livre de Peter Annin, The Great Lakes Water Wars, est seulement offert en anglais. [On peut en lire des extraits sur son site Internet->www.greatlakeswaterwars.com].
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