La guerre des mots

Pour 2010, si on se souhaitait un peu plus de fierté et d’avoir moins honte d’affirmer notre identité nationale?

Noël et Jour de l'An - 2010- 2011

La décision de la Société des commerçants de l’avenue du Mont-Royal (SDAMR) de remplacer le « Joyeux Noël » ou sa version édulcorée du « Joyeuses Fêtes » par un fade « Joyeux Décembre » ne constitue qu’un exemple supplémentaire d’une guerre culturelle de plus en plus évidente au sein de notre société. Sous prétexte de n’exclure personne, on finit par s’exclure soi-même.

Cette guerre, c’est la guerre des mots, des signes, des symboles. Là où la langue constituait, à l’origine, un ciment unificateur et intégrateur, permettant de se situer dans une même réalité, d’avoir une compréhension semblable du monde grâce à un héritage étymologique et à des références semblables, elle s’est aujourd’hui progressivement déconstruite, appauvrie, dépossédée d’elle-même. Le français constitue une langue riche, vivante, précise, mais on a peur d’utiliser cette précision pour lui permettre de s’imposer comme véritable langue commune non pas en tant que telle, mais en tant que langue représentant la culture commune et les valeurs communes de notre société. Autrement dit, on veut bien parler français en autant que celui-ci ne fasse pas référence à une réalité culturelle originale.
Ainsi, s’il devenait de mauvais goût de parler de Noël hier, et ainsi de « choquer » les non-croyants, aujourd’hui ce sont les « Fêtes » qui subissent la censure d’une forme abusive de multiculturalisme. La logique de ceux qui veulent déposséder notre culture et notre langue est pourtant simple: de nombreuses Fêtes n’ont pas lieu en décembre (on peut notamment penser au Noël orthodoxe de janvier, par exemple) et sous prétexte de ne pas offusquer la minorité, on dépossède la majorité.
Or, pourquoi s’arrêterait-on là? Pourquoi parler de décembre, par exemple, quand de nombreux Chinois utilisent un calendrier différent? Historiquement, pour ceux-ci, la période correspondant à notre Noël constitue la période lunaire numéro onze et porte le nom de Shíyïyuè. Ne s’agit-il pas d’une insulte à nos chers « compatriotes » chinois que de parler de décembre? Et qui a pensé aux Hindous, dont le mois associé à nos Fêtes s’appelle Makar? Et qui a pensé au calendrier juif? Ne faudrait-il pas, par rectitude politique et respect du dogme multiculturel parler plutôt de « Joyeuse fin d’automne et début d’hiver »? Mais ne risquerait-on pas alors d’insulter nos concitoyens originaires d’Amérique du Sud et pour qui l’hiver a lieu en plein été?
Où s’arrêtera-t-on?
Cette guerre des mots, cette fraction de seconde où il nous faut réfléchir et choisir entre l’utilisation du « Joyeux Noël », du « Joyeuses Fêtes » ou du « Joyeux décembre » constitue notre pire défaite. Sous prétexte de ne pas offusquer la moindre minorité, nous avons transformé notre langue non plus en outil de communication permettant d’exprimer notre réalité, mais en outil de contrôle aseptisant nos pensées, javellisant nos croyances et épurant toute référence à un « nous » autre qu’un ramassis de cultures diverses sans avenir commun.
En fait, se juxtaposant à la guerre linguistique que doivent vivre au quotidien les Québécois de Montréal, forcés dans le cadre de leur travail à utiliser une langue étrangère, s’ajoute la guerre idéologique de mots qui, s’ils continuent de s’exprimer en français, exposent une réalité faisant de l’abnégation de la réalité québécoise la condition essentielle du vivre-ensemble. Autrement dit: ce n’est plus à la minorité de chercher à utiliser les mots de la majorité dans le but de s’intégrer, mais c’est à la majorité d’appauvrir sa langue et sa pensée afin de s’adapter à chaque minorité.
Chaque phrase devient donc une guerre silencieuse, chaque mot un coup de canon contre le fort de nos valeurs et chaque renonciation de notre histoire et culture communes un énième drapeau blanc, symbole de notre défaite identitaire.
Et si on osait affirmer fièrement le « Joyeux Noël » traditionnel? Non pas parce que nous sommes tous catholiques pratiquants, mais simplement parce que nous comprenons que l’Église catholique fait partie de notre héritage commun et que ce Noël, s’il peut se vivre de milliers de façons différentes, demeurent une fête unificatrice pour nous tous?
Car si nous abdiquons aujourd’hui, quelle sera la prochaine étape? Joyeux 24 juin?
Pour 2010, si on se souhaitait un peu plus de fierté et d’avoir moins honte d’affirmer notre identité nationale?


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