Alors que la question linguistique est transversale et touche l’ensemble de l’action gouvernementale, elle est pourtant, depuis toujours, traitée en « silo », dans le respect des « compétences ministérielles ».
Dans son projet de loi 96 (PL96) « Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français », par exemple, Simon Jolin-Barrette (SJB) a soigneusement exclu toute mesure visant directement l’immigration. L’immigration est pourtant un des déterminants majeurs du recul du français.
Comme SJB n’est pas (n’est plus!) le ministre responsable de l’immigration, il a pris soin de ne pas aller jouer dans le carré de sable de sa collègue Nadine Girault, la ministre en titre. C’est la même chose en éducation postsecondaire, où les mesures du PL96 sont d’une timidité excessive. Même chose encore pour la question de la recherche; aucune mesure n’oblige les chercheurs, par exemple, à rédiger leurs demandes de subvention aux organismes subventionnaires québécois en français. Idem en petite enfance; rien ne cible les garderies alors qu’il est de plus en plus difficile de trouver une garderie sans « programme d’immersion anglaise ». On comprend que SJB n’est pas le ministre en titre de ce secteur non plus.
À force de respecter scrupuleusement les compétences ministérielles, la question linguistique tend ainsi vers l’infiniment petit et le ministre responsable de la Charte de la langue française ressemble au Roi de l’astéroïde B325 du Petit Prince, ce monarque au « pouvoir absolu » qui n’avait pour « sujet » qu’un seul rat.
L’idée de créer un ministère de la langue française vise à tenter d’élargir le domaine du monarque absolu de l’astéroïde de la langue. Il n’est pas certain, cependant, que cette mesure ait cet effet. Elle pourrait aussi, possiblement, renforcer encore plus le caractère « sectoriel » de la question linguistique et en faire un « objet ministériel » comme les autres. Le ministre du Français serait donc responsable du français, à l’exclusion de tout autre domaine déjà attribué aux autres ministres. Donc, effectivement, de pas grand-chose.
Pourquoi cela est-il important?
Pour plusieurs raisons. Par exemple, la question des collèges privés défraie l’actualité depuis plus d’un an et demi. En janvier 2020, L'aut’journal nous apprenait que le cégep de la Gaspésie et des Iles avait ouvert un campus entièrement anglophone à Montréal et que ce campus accueillait presque 2000 étudiants! Ces programmes exclusivement en anglais accueillaient surtout des Indiens et des Chinois, c’est-à-dire des anglotropes qui s’assimilent très peu à la majorité francophone du Québec. Cette nouvelle a pris tout le monde par surprise; le projet de campus anglophone du cégep avait en effet été monté dans la plus grande discrétion. Ce fut le départ d’une série de reportages où nous avons appris que le stratagème du cégep de la Gaspésie et des Iles n’était pas unique, et que le « marché » de l’éducation collégiale privée anglophone était en pleine explosion au Québec; ainsi, de 2017 à 2019, le nombre d’Indiens recrutés dans ces collèges était passé de 2000 à 13 000! Ces collèges privés offrent majoritairement des programmes courts (Attestations d’études collégiales (AEC)) moyennant la modique somme de 25 000$.
Pourquoi les étudiants étrangers acceptent-ils de verser cette somme énorme à ces collèges privés anglophones? C’est parce que l’inscription dans un collège privé est la première étape, officieuse, du processus d’immigration au Canada. Notons que l’UPAC a arrêté en novembre 2020 plusieurs personnes impliquées dans le réseau de recrutement des collèges privés, dont deux ex-employés de la Commission scolaire anglophone Lester-B.-Pearson. C’est une preuve qu’il existe un maillage informel entre la communauté anglophone et ces collèges privés.
Si une partie de ce système fonctionne grâce au mensonge et à la fraude, hélas, il exploite aussi les failles béantes de notre système d’immigration. Failles mises en place par le PLQ et que la CAQ a choisi de perpétuer. Soulignons, comme l’a démontré Anne-Michèle Meggs dans une série d’articles, que le gouvernement du Québec a pratiquement abandonné à Ottawa la gestion d’une bonne partie de son système d’immigration dans les dernières années. Le Québec se contente maintenant de recruter la majorité de ses immigrants dans le bassin de personnes déjà présentes au Québec, personnes détentrices de permis d’études ou de travail temporaires, personnes ayant été sélectionnées par Ottawa. Parmi ces personnes, un grand nombre étudie dans les cégeps, collèges et universités anglophones. Le Québec finance l’anglicisation des étudiants étrangers, les recrute comme immigrants, et prétend les franciser ensuite en leur offrant quelques menus cours de français une fois les papiers de résidence permanente en poche! Comme incohérence, voire comme franche stupidité, on a rarement vu mieux.
Après s’être battu pendant des décennies pour contrôler son immigration, le Québec a décidé, par incompétence ou aveuglement comptable, de sous-traiter la question à Ottawa. Il s’agit d’un revirement historique totalement incompréhensible.
Ces collèges privés, et leurs recruteurs, jouent un rôle analogue en immigration au Canada aux « passeurs » entre le Mexique et le Texas : ils font miroiter aux candidats à l’immigration l’espoir d’une vie meilleure, empochent de juteux profits et agissent de façon semi-légale ou même carrément illégale. Il s’agit d’un système parfaitement répugnant. Normalement, la mise à jour de ce stratagème d’immigration aurait dû conduire le gouvernement du Québec à rapidement fermer ces collèges privés ou à modifier complètement son approche en immigration. Il n’a pourtant fait ni l’un ni l’autre. Au lieu de cela, la ministre McCann vient d’annoncer une série de mesurettes parfaitement ridicules visant ces collèges. Parmi ces « mesures costaudes », la ministre annonce son intention de « possiblement » intégrer des « notions » de français dans les parcours d’études. Vraiment, Mme McCann se moque de nous.
Car ce que fait le Québec, c’est recruter par l’intermédiaire de ces passeurs des immigrants anglophones ou anglicisés qui s’assimileront ensuite naturellement à la communauté anglophone. Étant donné les volumes d’immigration, il s’agit d’une véritable bombe démographique qui balaiera dans les prochaines années les faibles mesures mises en place avec le PL96.
Il me semble évident qu’il faut fermer tous les collèges privés anglophones qui font du recrutement international. Car ces collèges ne servent aucunement l’intérêt général. La farce a assez duré.
M. Jolin-Barrette, il vous faut cesser de respecter les « compétences ministérielles » et inclure dans le PL96 des mesures visant l’immigration et les cégeps privés!