Peu de temps après une élection où M. Legault a affirmé qu’il serait « un peu suicidaire » d’accueillir plus de 50 000 immigrants par an tant qu’on n’aurait pas « stoppé » le déclin du français, l’on apprenait que celui-ci était maintenant « ouvert » à revoir à la hausse ces mêmes seuils d’immigration. Seule condition : que ces immigrants supplémentaires soient francophones. « Suicide » il y a un mois et bonne idée aujourd’hui?
Il y a un lien direct, évidemment, entre ce retournement de veste de M. Legault et l’annonce fédérale du fait que le nouvel objectif migratoire du Canada serait maintenant de 500 000 immigrants par an à partir de 2024. Annonce qui arrive presque sur les talons de la précédente (de février 2022) qui haussait déjà ce seuil à 451 000/an. Pour atteindre son objectif de devenir une puissance de 100 millions d’habitants en 2100, Ottawa a, depuis une décennie, quasiment doublé le volume d’immigrants permanents qui entre au pays annuellement.
Pour se soumettre à Ottawa tout en sauvant la face, « l’astuce » de M. Legault est d’affirmer qu’il « pourrait y avoir une augmentation du nombre d’immigrants permanents », mais seulement s’ils sont « francophones ». Notons que « francophones », signifie probablement, dans ce contexte, « personnes qui ont une certaine connaissance du français ». Or, la connaissance ne faisant pas foi de l’usage, il est loin de d’être certain que ceux-ci s’intègreront majoritairement, à terme, au Québec français.
Il semble toutefois que même l’idée d’imposer une obligation de connaitre le français avant l’arrivée au Québec soit écartée d’emblée par M. Legault. L’idée, comprend-t-on, ne plairait pas au « milieu des affaires ». Celui-ci, on le sait, réclame frénétiquement, comme Ottawa, des hausses majeures des seuils d’immigration. « Plus c’est mieux » résume à peu près toute la pensée du Conseil du patronat sur cette question. L’on comprend donc que l’obligation de connaitre le français ne s’appliquera que pour une catégorie d’immigrants représentant l’excédent dépassant le 50 000 annuel actuel. Un « minimum », rappelons-le, qui dépasse du double le volume d’immigrants accueilli, par exemple, aux États-Unis. Cette hausse des seuils nous est imposée malgré le fait qu’il est bien démontré que l’immigration de masse n’a pas d’effets significatifs sur la hausse du niveau de vie, sur le vieillissement de la population et ne règle en rien les pénuries de main-d’œuvre.
Curieusement, la volte-face de M. Legault est justifiée ainsi : « l’équipe de François Legault aurait pris conscience de l’urgence de protéger la langue française en attirant ainsi plus d’immigrants francophones de manière durable au Québec ». Cette protection du français, comprend-t-on, passerait par une hausse de l’immigration « francophone ».
Cette même équipe n’est cependant pas très attentive aux travaux de l’Office québécois de la langue française qui publiait en mars 2021 une étude de projection démolinguistique explorant précisément l’effet de sélectionner une immigration économique 100% francophone (précisément la mesure écartée d’emblée par M. Legault car « trop costaude » et déplaisant au milieu des affaires!).
Dans ces simulations, à l’horizon 2036, le français décline en tant que langue maternelle, de langue parlée à la maison, ou de « première langue officielle parlée » dans tous les scénarios (source p. 28). Ainsi, opter pour une immigration 100% francophone ne permet que d’assurer un poids démographique relatif de 76,5% pour le français langue parlée le plus souvent à la maison en 2036, comparativement à 74,4% pour le scénario de référence (la situation actuelle). Le gain relatif dû à la sélection exclusive de francophones dans le volet immigration économique n’est que de 2,1%.
Rappelons que le poids relatif du français langue parlée à la maison au Québec était de 81,6% en 2011. Donc, en 25 ans, ce poids aura chuté de 5,1 points en sélectionnant une immigration économique 100% francophone et de 7,2 points avec les cibles actuelles. La sélection de 100% de francophones dans la catégorie économique n’a pour effet que de freiner le déclin du français et nullement de le « stopper ».
Mais alors, pourquoi ce déclin continu malgré une immigration 100% francophone?
La raison majeure, l’éléphant dans la pièce, est que l’anglais jouit au Québec d’une vitalité supérieure à celle du français.
Le milieu de vie, dans toute la grande région de Montréal, est anglicisant. Les immigrants allophones déjà présents au Québec effectuent donc en surnombre des transferts linguistiques vers l’anglais (43,3% en 2021), ce qui augmente la taille de la communauté anglophone, constituée aujourd’hui non plus majoritairement des descendants des conquérants britanniques, mais d’allophones anglicisés.
Et un facteur supplémentaire de déclin s’est rajouté au recensement 2021, soit l’essor de l’assimilation des francophones. L’anglicisation nette des francophones au Québec a progressé nettement sur la période 2016-2021 et atteint 37 000 individus en 2021. Comme l’écrit Charles Castonguay : « L’anglicisation du Québec est désormais bien en marche. En raison notamment d’une accélération de l’anglicisation des Québécois francophones eux-mêmes ».
Cette anglicisation est causée, entre autres, par la politique du libre-choix de la langue d’enseignement au collégial et à l’université que continue de défendre, malgré l’évidence et le bon sens, M. Legault et son équipe (pas plus tard que le 22 septembre dernier par exemple).
Une politique « suicidaire », le qualificatif me semble cette fois-ci être approprié.
L’immigration francophone ne sauvera pas le français.
Pour ce faire, il faudra plutôt casser la dynamique linguistique favorable à l’anglais qui gagne en force au Québec. Et stopper l’anglicisation croissante des jeunes francophones. Ce qui suppose, au minimum, la loi 101 au cégep et, également, à l’université. Qui sont précisément les mesures rejetées par M. Legault et son équipe.