La loi du nombre

Le gouvernement Harper ne pouvait pas choisir un meilleur moyen que le projet de loi C-56 pour illustrer le caractère purement symbolique de la motion que la Chambre des communes a adoptée en novembre dernier.

La minorisation politique du Québec au Canada

Mon vieux professeur d'histoire à l'université, Michel Brunet, répétait continuellement qu'en définitive, tout se ramenait à trois éléments: le nombre, le nombre et le nombre.
L'Assemblée nationale s'est élevée cette semaine contre le projet de loi fédéral C-56, qui aura pour effet de diminuer encore un peu plus le poids du Québec à la Chambre des communes, mais cette minorisation ne date pas d'hier.
En vertu du principe de la «représentation selon la population», le Québec s'était fait octroyer 65 députés sur un total de 181 en 1867, soit 34,2 %. Au cours des 70 années suivantes, la création de nouvelles provinces a fait passer les effectifs des Communes à 245 sièges, mais la représentation québécoise, demeurée la même, n'en constituait plus que 26,5 %.
La façon de répartir les députés entre les provinces a été modifiée à quelques reprises par la suite. Pendant la campagne électorale, Stephen Harper avait promis une autre réforme, notamment pour tenir compte de la croissance démographique de l'Ouest canadien.
Selon le nouveau mode de calcul introduit par le projet de loi C-56, le Québec conservera les 75 députés qu'il envoie à Ottawa depuis 1976, mais l'ensemble de la députation augmentera de 308 à 330, essentiellement au profit de l'Ontario, de la Colombie-Britannique et de l'Alberta. La proportion d'élus québécois baissera donc de 24,4 % à 22,7 %.
Malgré la motion unanime de l'Assemblée nationale et les protestations du Bloc québécois, le gouvernement Harper n'a de toute évidence aucune intention de faire une quelconque exception au principe de la représentation selon la population pour maintenir le poids politique du Québec.
Le premier ministre Jean Charest a reproché à Mario Dumont de s'être opposé à l'entente de Charlottetown, en 1992, alors que celle-ci garantissait au Québec un plancher de 25 % des membres de la Chambre des communes.
Il devrait aussi se rappeler que Stephen Harper était férocement contre cette entente, précisément à cause de cette entorse au principe de l'égalité des provinces, même si son chef de l'époque, Preston Manning, y était plutôt favorable.
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D'ailleurs, il faudrait examiner dans sa totalité cet assemblage hétéroclite dont les premiers ministres avaient convenu à Charlottetown. Robert Bourassa, qui était prêt à tout pour éviter d'avoir à tenir un référendum sur la souveraineté au plus tard le 26 octobre 1992, comme sa propre loi (150) l'y aurait forcé à défaut d'entente, avait payé très cher son plancher de 25 %.
En retour, M. Bourassa avait accepté la création d'un sénat élu de 62 membres, à la légitimité nécessairement accrue, dont seulement six membres seraient venus du Québec. Au Sénat actuel, le gouvernement fédéral doit nommer 24 Québécois sur un total de 105 membres.
Remarquez, le Québec n'est pas la seule province à s'insurger contre le projet de loi C-56. L'Ontario estime également être pénalisé par le mode de calcul retenu. Même s'il obtiendra dix sièges de plus, ses 116 sièges représenteront 35,2 % du total en 2011, alors que 39,4 % des Canadiens résideront en Ontario. Même avec 121 sièges en 2021, l'écart aura encore augmenté. Dans le cas du Québec, la distorsion sera nettement moindre: 22,7 % des sièges pour 23,1 % de la population en 2011, 22,1 % par rapport à 22,3 % en 2021.
Inévitablement, le poids relatif des provinces fondatrices du pays a diminué. Dans le cas de la Nouvelle-Écosse, la perte se chiffre aussi en termes absolus. En 1867, elle envoyait 19 députés (sur 181) à Ottawa. Elle n'en a plus que 11 (sur 308).
Ni l'Ontario ni la Nouvelle-Écosse n'ont cependant jamais prétendu constituer une «nation» au sein du Canada, ni même une «société distincte». Le gouvernement Harper ne pouvait pas choisir un meilleur moyen que le projet de loi C-56 pour illustrer le caractère purement symbolique de la motion que la Chambre des communes a adoptée en novembre dernier.
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La résignation initiale du premier ministre Charest et du ministre responsable des Affaires intergouvernementales, Benoît Pelletier, traduisait bien leur pensée. Ils savent parfaitement que le Canada anglais, qui avait déjà rejeté l'entente de Charlottetown, n'acceptera plus la moindre entorse au principe de la représentation selon la population pour tenir compte de la spécificité québécoise.
En ce qui concerne le Sénat, le Québec peut s'appuyer sur des arguments d'ordre constitutionnel pour contester le projet C-43, qui ouvrirait la porte à un sénat élu, même si ce n'est sans doute qu'une question de temps avant que le principe ne s'impose. Dans le cas de la Chambre des communes, il devra se plier à l'implacable loi du nombre.
Certains arguments en faveur de la souveraineté peuvent être contestés, mais pas celui-là: la diminution du poids politique du Québec au sein de la fédération canadienne est un phénomène inéluctable et irréversible.
Il peut très bien arriver que, sur certaines questions, ses intérêts coïncident avec ceux des autres provinces, mais les limites des fronts communs ont été démontrées depuis longtemps. Pour la défense de ce qu'il est, le Québec ne peut compter que sur lui-même.
Avec 24 heures de retard, M. Charest a cependant compris qu'il serait politiquement désastreux d'accepter cette désagréable réalité sans faire au moins semblant de se battre. Dans la position où il se trouve depuis les élections du 26 mars, il peut moins que jamais laisser à l'opposition le monopole de la défense des intérêts de la nation.
Mario Dumont n'a pas pu s'empêcher d'ironiser à propos de la nuit qui porte conseil en voyant le premier ministre, puis M. Pelletier manifester une pugnacité dont ils n'avaient donné aucun signe la veille. Il faut un certain temps pour développer de nouveaux réflexes.
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mdavid@ledevoir.com


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