Contrer C-56 ?

La minorisation politique du Québec au Canada

Après chaque recensement, la carte électorale canadienne est redessinée afin d'assurer, le plus possible, une juste représentation de tous les citoyens à la Chambre des communes. C'est ainsi que la chambre basse de notre Parlement est passée de 181 à 308 députés depuis la Confédération, en 1867. Selon le projet de loi C-56, présenté par le gouvernement conservateur, ce nombre passerait à 330 d'ici 2012: les 22 sièges de plus doivent refléter la croissance de la population, et sont prévus dans les provinces de l'Ontario (pour 10 d'entre eux), de l'Alberta (5) et de la Colombie-Britannique (7).
Là où ça fait mal, c'est que le Québec dans cette Chambre des communes remodelée ne représenterait plus que 22 % - bien moins que les 25 % qu'il peine à atteindre aujourd'hui (24,4 %, en fait). En chutant ainsi, ce chiffre magique de 25 % devient carrément inatteignable. Tout le monde sait que le poids démographique des Québécois exerce un recul depuis que son taux de natalité a chuté, dans les années 1960 : mais lorsque ce poids démographique ne vaut plus un quart de la députation fédérale, c'est tout le pouvoir réel et attribué au Québec qui en prend un coup. Et rien ne laisse entrevoir que la population du Québec remontera de manière substantielle à moyen ou long terme. Au contraire, il faut entrevoir que d'ici 35 ou 50 ans, ce sera un plancher de 20 % qui sera fracassé.
Ce taux de 25 % correspond aussi, rappel historique oblige, à un seuil minimal qui aurait été reconnu dans l'Accord de Charlottetown. Mais ce projet a été battu en référendum et la garantie de 25 % ne s'est jamais concrétisée.
Les forces nationalistes du Québec n'ont ainsi pas tardé à tomber à bras raccourcis sur ce projet de loi qui vise, selon le bloquiste Pierre Paquette, "à marginaliser le Québec". Le Parti québécois et l'Action démocratique du Québec ont de facto forcé la main au gouvernement libéral minoritaire de Jean Charest pour qu'il vote une motion unanime de l'Assemblée nationale exigeant le retrait du projet de loi C-56.
Au nom des souverainistes, M. Paquette a continué en soutenant qu'"[un] jour, pas si lointain si rien n'est fait, [les fédéralistes] pourront obtenir une majorité à la Chambre des communes en ignorant complètement le Québec".
Ce jour est pourtant déjà passé. Depuis la création du Bloc québécois, le Parti libéral, puis le Parti conservateur, ont prouvé qu'ils pouvaient former un gouvernement à Ottawa sans l'appui d'une majorité de députés du Québec.
Le Québec, au jeu du nombre, a perdu la bataille depuis quelques années. Au jeu politique, par contre, bien des choses sont encore possibles. Selon les dossiers, les députés du Québec - peu importe leur couleur politique - peuvent exprimer une voix forte et mobiliser les énergies de députés d'autres partis. Ce n'est pas parce qu'ils ne sont que 75 que tout devient impossible. Au contraire, cela force la députation du Québec à travailler mieux.
L'autre grand atout caché du Québec, dans ce dossier, demeure l'autre chambre du Parlement, le Sénat. Là, le Québec compte 24 des 105 sièges, et cette proportion ne peut être modifiée sans l'assentiment du Québec. Méconnu, le Sénat ne s'est pas toujours aidé. La voix du Québec dans les dossiers fédéraux a trop souvent été étouffée. Ses représentants ont trop souvent été des politiciens en fin de carrière, ou des récompensés du système politique. Pourtant, les campagnes que mène le sénateur Jean Lapointe contre les vidéopokers, ou le combat de Pierre-Claude Nolin sur la décriminalisation de la marijuana, par exemple, illustrent combien le pouvoir du Sénat peut être exercé de façon utile.
De fait, ce sont davantage les attaques du gouvernement conservateur contre le Sénat qui peuvent porter atteinte aux pouvoirs du Québec à Ottawa que le projet de loi C-56. Ce dossier a été perdu il y a longtemps. Le principe de la représentation selon la population et la baisse démographique du Québec se combinent pour réduire l'efficacité de ce dernier à la Chambre des communes.
Les Québécois devraient plutôt s'unir pour combattre toute érosion du pouvoir du Sénat : élire des sénateurs, par exemple, n'en fera que des députés de seconde zone. À terme, cela réduira la pertinence de la chambre haute et préparera le terrain à son abolition pure et simple. Sans qu'aucun autre contrepoids au pouvoir de la Chambre des communes ne soit mis en place pour protéger les cinq grandes régions du Canada, et particulièrement le Québec.
pjury@ledroit.com


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