Réplique à Jimmy Lee Gordon

La lutte aux anti-nationalismes

UE - le fédéralisme en question

(Réponse à l’article de[ Jimmy Lee Gordon, paru dans Le Devoir, le
30-07-09, A7->20957], et à celui d’[André Pratte, paru le 31-07-09 sur
Cyberpresse->20982].)
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Il paraîtrait que le nationalisme est un danger pour le genre humain.
Enfin, tels semblent être les propos de Jimmy Lee Gordon, paru dans Le
Devoir le 30-07-09, en page A7, et appuyé par André Pratte le lendemain,
dans La Presse. Le présent article se veut une réponse respectueuse mais
argumentée pour démontrer les erreurs dans la pensée de Jimmy Lee Gordon
face à question nationale québécoise (première partie) et les lacunes de
ses réflexions quant à la nécessité des nations et des nationalismes
(deuxième partie).
Commençons par rappeler ce qu’est une nation. Une nation naît lorsqu’une
population d’un territoire donné, non seulement exprime le désir de vivre
ensemble –ce qui est en relation avec la définition d’un peuple−,
mais décide aussi librement de s’associer et de s’unir dans la poursuite
d’objectifs communs tout en convenant souverainement d’accorder son
allégeance à une forme déterminée d’organisation du pouvoir. La nation
renvoie à une dimension politique qui ne se retrouve pas dans l’expression
de peuple ; la nation prolonge le peuple. L’État est la forme juridique du
peuple alors que la nation en est sa mémoire, sa prise de conscience et sa
volonté quotidienne d’agir. À cela peut s’ajouter, de façon non
obligatoire, un sentiment de grande exaltation qui peut mener ou non à des
dérives ethniques (le Rwanda) ou totalitaires (l’Allemagne nazie ou le
stalinisme).
Les indépendantistes considèrent que la fédération canadienne n’est pas
le meilleur régime politique pour leur bien-être et que la chambres des
Communes n’est pas leur parlement, encore moins légitime. Le nationalisme
des Québécois-es se veut donc être un nationalisme libérateur, pour mettre
fin à une domination qui s’articule différemment de décennies en décennies,
alors que le fédéralisme canadien est un nationalisme impérialiste, lequel
va même jusqu’à nier qu’il colonise le peuple québécois et les peuples
autochtones, et cela au nom du Canada.
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D’abord, s’il y a une question nationale au Québec, c’est parce qu’il y a
des identités nationales qui éprouvent des différends entre elles sur un
même territoire. Pour les indépendantistes, c’est une question de mettre
fin à la domination qui lui empêche l’émancipation dont elle a réellement
besoin, et a pour protagonistes le Canada et les Québécois-es. Pour les
fédéralistes, la question nationale est celle où ils veulent que tous se
rallient à leur vision du Canada, uni et unitaire ; ce n’est pas une vision
de coopération entre les peuples à l’intérieur du Canada, tels les
Québécois, les Canadiens et les divers peuples autochtones, mais bien l’une
d’assujettissement.
Il est erroné de penser que « le peuple francophone de ce continent n’est
plus politiquement menacé », comme l’a dit Jimmy Gordon. Si tel était le
cas, le gouvernement du Canada n’aurait pas créé la Loi sur les mesures de
guerre lors des événements d’octobre 1970 ; l’envoie de l’armée canadienne
était disproportionné par rapport au nombre de felquistes en activité. Ce
ne fut rien de moins qu’un rappel de la tutelle canadienne, de démontrer
anti-démocratiquement qui était le patron des Québécois-es. De plus, ce
même gouvernement –toujours libéral− n’aurait pas accordé la
citoyenneté à tant de gens à la veille du référendum de 1995. Et comme
Pierre Falardeau le dit si bien : « Qu’est-ce que le Québec? Le Québec,
c’est un pays conquis par la force en 1760, écrasé par la force en
1837-1838 puis annexé par la force en 1840 l’Acte d’Union.
Une province… c’est-à-dire un pays soumis à un autre État. » Aujourd’hui,
cela se poursuit plus tacitement, moins brutalement, car d’autres tactiques
d’intégration de force, pour ne pas dire d’assimilation, sont employées
quotidiennement.
Et la menace ne serait plus d’actualité, toujours selon Jimmy Gordon.
Mentionnons les immigrants qui arrivent à Montréal et qui sont
majoritairement anglophones, ou orientés vers cette langue? Jimmy ne
verrait-il pas ce fait avéré que Montréal s’anglicise? L’immigration n’est
pas une compétence exclusive des provinces ; le fédéral ne manque pas de
s’ingérer. Pensons au financement de la recherche dans les universités,
lequel financement est effectué par Ottawa et qui dicte les orientations de
ces recherches. Pensons aux coupures dans la culture. Pensons au pouvoir de
dépenser du gouvernement fédéral dans les compétences exclusives des
provinces ; en quoi cela est-ce démocratique, respectueux? En n’oubliant
pas, non plus, les francophones hors-Québec qui se sont faits couper le
financement public pour défendre leurs droits d’avoir des services en
français ; ce qui n’est pas la demande de nouveaux droits mais que la
tentative de préservation des acquis. De plus, si les Québécois-es
n’étaient pas menacés chez eux, pourquoi le gouvernement fédéral a-t-il mis
en place ce qui est devenu le scandale des Commandites, pourquoi a-t-il
créé une loi anti-démocratique telle la loi sur la Clarté (C-20). Quant au
« speak white », bien que très minoritaire aujourd’hui, il est toujours
d’actualité puisqu’il est véhiculé par un certain nombre d’anglophones
résidents du Québec mais qui ne veulent pas parler en français, encore
moins apprendre un mot de cette langue. Pas menacés, les Québécois-es!
Jimmy Lee Gordon a oublié quelques faits au passage, il me semble.
Si celui-ci se considère un « bâtard national », comme il le mentionne
dans son article, parce que ses parents ne sont pas nés au Québec, mais que
lui l’a été, il démarre la vision de son identité comme étant réductive,
voire génétiquement ancrée dans un lieu, le Québec pour le nommer. Ce ne
sont pas les gènes qui font une culture ni une identité ; c’est son
appartenance et le choix d’y vivre ainsi que de se soucier de son devenir.
Tous les gens qui ont à cœur et à raison le devenir du Québec et qui y
vivent sont des Québécois-es. Allez plus loin, c’est vouloir exclure des
gens et les ostraciser sur des différences qui n’ont pas lieu d’être.
Si Jimmy est passé d’une idéologie à l’autre (« du fédéralisme
opportuniste au souverainisme extrémiste »), c’est qu’il n’a pas trouvé
celle qui correspond à son identité. Il est en quête identitaire. Tant
qu’il n’aura pas réalisé cela, il ne saura pas réellement qui il est et ce
à quoi il aspire en tant qu’être humain. Et comme bien des gens de toutes
les nations du monde, les gens qui ne savent pas où ils en sont
identitairement « stagnent confortablement dans un bourbier
de cynisme et d’indifférence. » Mais pendant ce temps, ces personnes ne
prennent pas le temps de s’impliquer réellement pour changer les choses
pour le mieux de la collectivité dans laquelle ils vivent, peu importe la
taille de celle-ci. C’est pourtant ce qui motivent les indépendantistes du
Québec, soit de faire de la province un pays pour qu’une voie différente et
nouvelle soit entendue dans le monde, à la fois pour nous-même (le français
et notre culture en Amérique) mais aussi pour participer à régler les
problèmes communs mondiaux.
Lorsqu’André Pratte conforte Jimmy Gordon sur le fait du « cynisme et
de l’indifférence », il ne fait rien pour l’aider à
acquérir cette identité qu’il a en besoin. En somme, il fait comme tout bon
fédéraliste qui veut que les Québécois-es s’intègrent au Canada, de gré, de
force, par consentement ou par apathie de la différence. André Pratte ne
cherche pas à édifier chez Jimmy Gordon le sentiment national québécois,
même s’il se définit lui-même comme tel. Si M. Pratte avait été un
véritable nationaliste, il chercherait à le porter plus haut, plus
respectueusement pour les gens, plutôt que de se contenter de réconforter
par l’indifférence qu’il prononce.
Il n’y a d’ailleurs aucun problème à ce que les nationalistes
Québécois-es connaissent plusieurs langues. C’est même souhaitable pour
comprendre la mentalité et la culture des autres humains de cette planète.
Cependant, ce qu’il faut comprendre, c’est que le Québec dispose d’une
langue qui sert pour les usages communs : les relations au travail, les
relations d’affaires, la vie en société. Il serait même souhaité que les
immigrants parlent le français à la maison ; il en résulterait qu’ils
feraient d’un meilleur usage de la langue commune lorsque, justement, ils
sont en commun avec les autres. À cela, l’intégration au Québec et aux
Québécois-es serait une mesure bien réussie.
Si Jimmy Gordon ne « se souvient pas de quoi au juste » il doit se
souvenir, c’est qu’il a oublié le sens de la devise nationale des
Québécois-es. Le Québec est une province distincte des autres du Canada par
le fait français, par les aspirations républicaines –non pas monarchistes
comme pour l’ensemble des Canadiens−, par son histoire et par sa
volonté de dépassement quant à cette constitution qui nuit à son
développement. Le « Je me souviens » est autant un témoignage de
l’importance de l’émancipation à faire des Québécois-es (le lys, la France)
que le rappel qu’ils sont encore sous l’autorité anglaise, autrefois
l’Angleterre, aujourd’hui le Canada (la rose) .
Ne nous leurrons pas! Malgré les grands pas faits par le Québec quant à
son développement, les vrais pouvoirs d’affirmation d’un peuple sont
détenus par l’autorité centrale, dans ce cas-ci par Ottawa. Si nous sommes
pacifistes, ce que les Québécois-es sont, pourquoi devons-nous faire les
guerres du Canada, notamment en Afghanistan? Si nous sommes en faveur de la
préservation de l’environnement, notamment par les Accords de Kyoto, ce que
nous sommes, pourquoi faut-il que le Québec soit toujours maintenu au
silence par Ottawa et son manque d’implication sur ce sujet? Si le Canada
est pour la diversité culturelle, pourquoi faut-il que le Québec ne soit
qu’un figurant à l’UNESCO? Et qu’en est-il des droits des autochtones? Ils
sont toujours bafoués par Ottawa, jamais financés convenablement, toujours
dans la dépendance de l’alcool, des drogues et du trafic de la cigarette
pour tenter d’oublier le joug qui les oppresse ; les autochtones ne peuvent
s’émanciper, étant toujours dans des réserves. Est-ce normal de placer des
gens en « réserve », tel que d’être mis à côté de la vie. André Pratte se
trompe largement et grotesquement lorsqu’il dit que « à mon avis, nous
n’avons rien à gagner à se lancer dans l’aventure de la séparation ». Le
Québec a tout à gagner de l’indépendance. Ne serait-ce parce que le Canada
n’a rien à offrir qui soit durable, rien qui soit respectueux et porteur de
sens pour le devenir du genre humain, Québécois-es et autochtones compris.
Jimmy Gordon n’est pas différent de la majorité des Québécois-es pour qui
il y a une apathie pour leur propre réalité de Québécois-es, de
francophones et de nord-américain-e-s. C’est dommage que c’en soit rendu là
pour ces gens. Mais il y a des raisons qui expliquent cela.
Il est vrai que beaucoup de Québécois-es ont oublié leur passé, et qu’ils
ne font guère d’efforts pour s’en souvenir. C’est très triste et désolant!
Mais la faute n’incombe pas qu’à ces gens. Les gouvernements québécois et
canadien sont tout autant à blâmer. L’histoire, d’un point de vue de prise
de conscience de l’affirmation identitaire, n’est guère plus enseignée à la
relève, encore moins valoriser quotidiennement dans les fêtes politiques.
Sans oublier que le gouvernement Harper a, de façon effronté, voulu donner
un sens « canadian » aux fêtes du 400e anniversaire de la ville de Québec.
Lorsqu’elle a été construite, les Anglais n’occupaient que les 13 colonies
; ils étaient bien loin de vouloir fonder le Canada, mot d’origine
autochtone soit dit en passant. Alors, comment une identité nationale
québécoise peut-elle émerger lorsque l’histoire est réécrite à l’avantage
exclusif de la nation canadienne, laquelle ne se contente pas des faits
mais de les détourner de leur sens.
Si Jimmy Gordon s’était défini comme Canadien –ce qu’il n’a d’ailleurs
pas fait−, il n’aurait rien fait de différent que du nationalisme ;
s’en serait-il rendu compte ? Une identité collective est nationale par
définition ; elle n’est pas internationale, ni régionale. Actuellement, les
identités collectives internationales sont en train d’émerger –le mouvement
altermondialiste le démontre−, mais elles n’ont pas grand substance
ni cohérence en ce moment, faute d’adhérents mais aussi et surtout de
structures fiables, comme le sont les États.
Toute quête identitaire n’est jamais « inutile », pour reprendre
l’expression de M. Gordon. Au contraire, l’identité –collective ou
individuelle− permet de savoir d’où l’on vient, ce que l’on est en ce
moment et ce vers quoi l’on tend pour l’avenir, soit pour soi-même, soit
pour tous d’un même groupe, qu’il soit nation ou, encore plus grand, le
monde. Il est vrai que les lois ne sont pas exclusives pour forger une
identité nationale, mais elles y contribuent grandement lorsqu’elles
existent, qu’elles sont saines et qu’elles sont, bien entendu, appliquées.
Le gouvernement du Québec ne peut bien le faire lorsqu’il y a au-dessus de
lui deux entités qui l’obligent à faire autrement que le bien de son
peuple, soit la Cour suprême et le parlement d’Ottawa. Et le gouvernement
du Québec ne remplit certes pas bien son mandat d’identité nationale
lorsqu’un libéral à la John James Charest n’a qu’un souci : l’intégration
du Québec au Canada, et ce par la dilution de l’identité nationale
québécoise à la faveur de l’identité nationale canadienne. L’identité
individuelle est un leurre si elle ne peut reposer sur une identité
collective de laquelle se déployer et ensuite montrer un meilleur chemin
aux autres, ce que ne tente pas l’identité canadienne.
La loi et sa portée collective donne la direction au peuple sur la
protection de son patrimoine, de sa langue et de sa culture. Mais c’est
assurément au peuple qu’il en revient le devoir premier de les promouvoir
au quotidien, de les faire vivre et de les porter fièrement ; je suis
d’accord avec Pratte et Gordon. Mais comment un peuple le peut-il lorsqu’il
est aliéné de sa propre histoire, de sa propre réalité, alors que deux
gouvernements et une Cour suprême conspirent contre lui? Cela, Jimmy
Gordon, n’ose le mentionner. Il a cependant partiellement raison en disant
que ce ne sont pas les partis politiques qui vont y contribuer ; ils sont
un rouage de la société, mais pas le rouage principal, ni le rouage
exclusif autour duquel la société doit vivre et s’émanciper.
Quant aux gens qui se définissent fédéralistes, que font-ils si ce n’est
défendre la nation canadienne par le biais du fédéralisme ; ils ne font
rien de différent au niveau du nationalisme. Ce sont donc aussi des
nationalistes, à la différence que les Québécois-es nationalistes et
indépendantistes agissent pour la nation québécoise, qu’ils défendent et
promulguent par le moyen qu’est l’indépendance. Quand Pratte dit que c’est
aux Québécois-es de défendre le fait français, je me demande pourquoi il
est absent des activités du Mouvement Montréal français (MMF) ou encore
pourquoi il ne dénonce pas le propriétaire du Théâtre Ste-Catherine (Eric
Amber). Est-ce parce qu’il n’y a que les indépendantistes qui font le lien
entre préservation du fait français et l’indépendance, ou bien les
fédéralistes sont-ils incapables de le faire, et surtout d’en reconnaître
l’importance pour le Québec. Nous repasserons pour le nationalisme
historique de « trippes » d’André Pratte!
Si les fédéralistes nationalistes Québécois-es étaient vraiment pour la
continuité du fait français au Québec et dans le Canada, pourquoi
luttent-ils contre la loi 101? Et pourquoi appuient-ils les jugements de la
Cour suprême lorsqu’elle casse et brise la loi des Québécois-es? Il faut
être conséquent avec ses propos pour qu’ils correspondent aux agirs.
Évidemment qu’il y a un aspect ethnique à tout nationalisme! Aucun
nationalisme ne vise à s’assimiler dans une autre nation. « Le
nationalisme, c’est toujours ethnique dans ce sens-là, c’est toujours en
fonction de la langue et la culture! », nous rappellerait Pierre Falardeau.
Le nationalisme, qu’il soit canadien, québécois ou autre n’y échappe pas.
En quoi est-ce dépassé de vouloir protéger sa culture et sa langue?
Pour que « le Québec devienne réellement le bastion d’humanité que son
histoire et sa population lui permettent d’être », comme l’espère Jimmy
Gordon, et comme nombre d’indépendantistes militant en font la promotion,
il faut pour cela réaliser l’indépendance du Québec, à la fois d’Ottawa, du
Canada mais aussi du peuple anglophone, lequel semble bien empêtré dans un
oubli collectif comme le sont les Québécois-es ; en ce sens, la fédération
canadienne a aussi été montée contre eux. La culture des anglophones a
énormément de la difficulté à prendre son envol par elle-même si ce n’est
qu’en s’accrochant à la culture québécoise. La mémoire collective, qui
fonde en partie l’identité nationale, doit servir justement à proposer au
monde entier de meilleures façons de faire que celles de ces États qui
polluent la planète, qui favorisent l’individualisme et qui favorisent
l’abolition des frontières pour des motifs économiques.
Donc, en conclusion, ce n’est pas le nationalisme qui pose un problème à
l’identité des gens, c’est bien plus la lutte aux nationalismes
émancipatoires et progressistes qui l’est car elle tente de les ostraciser
et leur empêcher le développement qu’ils réclament démocratiquement. C’est
en cela que le Canada est néfaste pour le Québec.
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Le nationalisme peut être une force positive autant qu’il peut être une
force négative. Sur cela, André Pratte a raison. Par le passé, bien des
identités nationales ont été forgées sur l’existence de guerres terribles.
Ce fut principalement le cas en Europe lors des siècles antérieurs ; ce fut
aussi le cas en Amérique du Nord avec les Américains et les colons Anglais
venant s’établir au Canada. Leur État s’est fait, bâti et agrandi contre la
vie même des peuples autochtones, en les pourchassant, en les exterminant
et en les plaçant dans des réserves ; ce fut un nationalisme impérialiste,
et c’est très honteux que cela fut. Mais le nationalisme revêt des aspects
positifs lorsqu’il s’agit de se libérer de la tutelle qui est imposée par
l’oppresseur ou le conquérant toujours en position dominante. C’est le cas
au Québec et en Amérique latine actuellement.
Le problème avec le nationalisme canadien, c’est qu’il s’exerce a
contrario du nationalisme québécois, non pas en parallèle, mais en
tutélisant le Québec et les Québécois-es. En voulant une unité canadienne
qui met fin aux différences provinciales –comme le préconisait le rapport
Durham−, le Canada vise à ne créer qu’un seul sentiment national, le
sien, pour renvoyer dans l’oubli celui des autres. Comme si le fait d’être
francophones devait être nié pour bien vivre en tant que « Canadian »!
C’est pour cela que l’Acte d’Amérique du Nord Britannique s’est imposé en
1867, plutôt que de chercher à être adopté légalement, légitimement, par
les gens d’alors. Et pourtant l’appartenance nationale des Québécois-es
–bas-canadiens et ensuite Canadiens français− remonte même à l’époque
du Parti Patriote, lequel avait formulé des demandes pour le bien-être du
peuple, alors que la couronne d’Angleterre y est restée indifférente ; ce
qui n’a guère changé avec le Canada depuis 1867 car de nombreuses demandes
demeurent non répondues. Et l’événement se répéta en 1981 par la nuit des
longs couteux, où la constitution fut rapatriée sans le consentement du
Québec ; celui-ci fut exclu de ce respect qui lui était dû mais qu’il n’a
jamais reçu d’Ottawa. Quant aux Accords de Meech et Charlottetown, c’était
trop concéder pour le peuple anglophone aux Québécois-es alors que ces
demandes étaient si petites de conséquences!
Pourquoi Jimmy Gordon n’associe-t-il le nationalisme qu’à des aspects
négatifs? Pourquoi ne parle-t-il pas de ces aspects positifs? Les
connaît-il d’ailleurs? Justement, parlons-en de cette 2e Guerre Mondiale
qu’il cite! Ce sont des nations qui se sont opposées au nazisme, et ce même
si l’Allemagne était elle-même nationaliste. Ce ne fut pas des sociétés
internationalisées qui ont fait la guerre pour la paix. Il faut en finir
avec la démagogie que les méconnaissants de l’histoire prônent et
véhiculent.
Le nationalisme n’est en rien la haine et le mépris des autres, ou du
moins une réaction négative face à l’autre, à l’étranger. D’ailleurs, le
nationalisme n’est pas en soit traditionnaliste. Ce sont les gens qui le
sont et qui font de leur nationalité une tradition ou une progressivité.
C’est aussi le nationalisme qui est plus en mesure pour pallier aux
lacunes et aux « égarements » du capitalisme, notamment à l’égard des
droits humains, qui, comme nous le savons, a bien de la difficulté à
s’auto-réguler, malgré ce qu’en disent les chantres de la
déréglementation. Le nationalisme est un rempart contre le libéralisme
économique, lequel a démontré l’échec patent de sa « science économique »
et qu’il n’a fait qu’accroître la misère internationale par une réduction
des normes et des salaires liés à la production ainsi que de
l’environnement mondial. Par la crise économique, nous nous sommes rendus
comptes que les prétendus « miracles » du capitalisme n’étaient pas à la
hauteur de ses promesses. Pierre de Senarclens a noté à cet effet six
conséquences de la mondialisation : 1-) la réduction ou l’incapacité de
certains États dans leurs fonctions sociales redistributives de la richesse
et de justice, 2-) la réduction ou la perte de l’autonomie décisionnelle
étatique, notamment en matière économique et monétaire, 3-) l’ouverture des
frontières à la dépendance des investissement étrangers, 4-) la convergence
des législations nationales pour protéger la propriété intellectuelle des
entreprises, 5-) la collusion du monde des affaires avec ceux des médias et
du politique a entraîné l’effritement des contre-pouvoirs civiques, et
finalement 6-) elle creuse l’écart entre les États compris dans l’économie
mondialisée de ceux qui n’y ont pas adhérée . Cette réduction de
souveraineté étatique sur les politiques monétaires a été accompagnée d’une
internationalisation des marchés financiers par la déréglementation et la
libéralisation nationales des transactions frontalières. Autrefois, l’État
gérait son économie nationale, sans grand souci de ce qui se déroulait à
l’extérieur de ses frontières. Désormais, dès qu’une économie importante a
des soubresauts, les autres économies de la planète le ressentent dans la
journée –les crises financières sont plus nombreuses, et parfois très
dommageables pour les économies dépendantes et dépensières. Il en résulte
que les politiques monétaires d’un État ne sont plus le fruit exclusif de
la volonté des dirigeants de cet État ; l’économie nationale est devenue
mondiale mais le pouvoir étatique ne s’est pas mondialisé pour autant.
Aujourd’hui, à cause de la mondialisation, l’État est à la fois dépendant
des autres États, des marchés financiers et du processus d’amplification de
la mondialisation que nécessite la production industrielle délocalisée pour
maintenir les échanges commerciaux dans une prospérité relativement
attrayante. L’internationalisation n’a pas que des bons côtés!
C’est à se demander quelle est la finalité des institutions néolibérales
à l’égard de la justice sociale et de l’équité? Comment pensent-elles y
parvenir? Elles n’ont aucune solution. C’est l’État, c’est la nation dans
son sens politique, qui peut y subvenir et y répondre éloquemment. Après
tout, c’est l’État qui s’est doté de chartes de droits, non les
entreprises, locales ou internationales. Ces chartes garantissent un
minimum de reconnaissance aux individus qui y vivent ou y arrivent. Ces
droits établis, ils peuvent donc être défendus, et ce dans un système de
justice bien plus développé sur une base nationale que dans ces endroits
qui ont été quittés par ces migrants, endroits souvent aux prises avec des
conflits qui ne sont pas d’ordre national. Certes, il est possible que
l’État ne soit pas à la hauteur des aspirations de ces personnes, mais il
faut y aller au cas par cas.
La seule entité post-nationale qui dispose d’un tant soit peu de
légitimité à intervenir dans le monde pour régler les conflits, l’ONU, n’a
pas ce mandat, et n’est pas près de le recevoir. Elle n’a aucune force
policière ni armée qui lui soit propre et exclusive, comme en ont les États
; elle se fie sur ses États membres pour subvenir à ses besoins en Casques
et Bérets Bleus. En somme, l’ONU, malgré qu’elle soit l’organisation
internationale la plus saillante et présente, et moralement reconnue par
tous et chacun, est néanmoins sous la tutelle des États membres ; elle
n’est pas autonome comme le sont les États. Voilà une autre raison de faire
l’indépendance pour une nation : être autonome.Voilà une raison pour le
nationalisme.
La fin du nationalisme n’est pas assurée pour autant. Le processus
mondialisant a aussi porté une autre lumière sur l’État dans le cadre de sa
redéfinition. La souveraineté de l’État, très étroitement liée au
nationalisme, est encore l’élément primordial duquel dépendent les autres
caractéristiques de l’État, mais elle l’est surtout à propos desquelles
dépendent ses interventions sur la planète. Pour preuve, l’intervention
étatique est sollicitée, depuis de nombreuses années, par des acteurs
internationaux ; la nécessité de sécurité est une problématique bien
d’actualité. C’est vers l’État que les ONG, ces agences transnationales,
portent leur attention lorsqu’il est question de problèmes collectifs et
mondiaux, en vue de la création et de l’adoption de régulations planétaires
; elles font pression sur lui et non pas entre elles. Cette nécessité de
l’État est loin d’être une remise en cause de son existence. Certes, les
ONG le questionnent et l’interpellent, mais en aucun cas elles ne sont
aptes à en prendre le relais ; elles manquent, pour le moins, de
légitimité, d’un territoire duquel se déployer, de même qu’une population
pour les financer à la hauteur d’une telle mission sociale à portée
planétaire.
C’est aussi vers les États que les entreprises se tournent pour avoir un
financement pour les emplois à créer ; c’est aussi vers les premiers
qu’elles se tournent pour que des lois soient mises en place pour protéger
leurs brevets et la propriété intellectuelle qu’elles développent ou
acquièrent, même si de tels brevets sur le vivant n’ont pas lieu d’être.
Cependant, au niveau du bilan environnemental, c’est loin d’être rose
car, encore une fois, ce sont les nations qui sont responsables
lorsqu’elles n’agissent pas dans le sens de la préservation de la
biodiversité, de la réduction des gaz à effet de serre ou encore en
n’instaurant pas de normes nationales, ni de faire la promotion de normes
mondiales, quant aux divers modes de production du capitalisme. Le Canada
n’échappe pas à la critique. Bien qu’il soit reconnu par presque tous les
acteurs internationaux que l’environnement est une problématique mondiale
qui dépasse la question interne/externe qui caractérise si bien l’État, il
est tout à propos de souligner l’intervention de certains États à contrer
volontairement les protocoles liés à la préservation de ce qui est commun à
tous (biodiversité, couche d’ozone, océans, qualité de l’air, etc.).
Cependant, l’État, bien qu’étant un concept manifeste et tangible, n’est
pas le premier responsable de ce type de (non)intervention. Le capitalisme
(sauvage) ne cherche que la profitabilité, la rentabilité et le moins de
règle possibles pour l’empêcher d’atteindre la croissance qu’il s’est fixé
; c’en est sa raison d’être. C’est pourquoi, lorsque la Main Invisible du
Marché régule l’État, ce dernier se voit restreint dans son intervention
morale, éthique et morale. Sans l’ombre d’un doute, la mondialisation
désincarne les États et les identités collectives sur les enjeux
fondamentaux et mondiaux, sans pour autant que le Marché ne s’incarne en
contrepartie ; il est de plus en plus virtuel par la financiarisation.
L’une des répercussions de la mondialisation sur la société d’un État se
voit sur l’identité que les gens développent, soit à propos de ce sentiment
d’appartenance à leur nation. Le nationalisme n’est pas une mauvaise chose
en soi ; c’est d’ailleurs une réalité bien tangible et plus près des gens
que celle d’être « citoyen du monde », malgré la noblesse que cela insuffle
aux gens par la promotion de la paix. Cette identité nationale se
développe en parallèle avec une culture, tout aussi nationale. Les
frontières politiques d’un État, si intangibles puissent-elles être,
confirment le lieu de son identité collective, ainsi que le lieu où celle
de l’autre (État) perd de son influence. D’ailleurs, quelle identité ne se
développe pas sur une base nationale, d’abord? L’identité nationale a eu
pour conséquence, au cours des derniers siècles, d’accroître l’importance
de la collectivité, alors que c’était l’individu, autrefois, qui était le
souci de l’État, notamment à l’égard de ses dirigeants aux attributs
divins. Il y a donc eu un transfert de perception et d’intervention ; cela
n’est pas à dire qu’un retour du balancier n’a pas déjà commencé par un
individualisme de la consommation issu du capitalisme. Le nationalisme est
pourtant un ciment pour l’établissement de la culture, d’une culture. En
cela, il lutte positivement contre l’individualisme. En rien cela ne
l’oblige à se figer dans le temps, à ne jamais changer.
La mondialisation de l’économie, portée à la délocalisation des emplois
et des capitaux, a eu cette contrepartie d’accroître la prépondérance du
dialogue des États entre eux. Les gens entrent en dialogue avec les autres
à partir de ce qu’ils savent, et ce qu’ils connaissent le mieux, c’est leur
identité. Avec le rapprochement des autres cultures, les gens sont
interpellés par leur essence (ce qui les caractérise) fondamentalement et
une tension entre l’universalisme et le particularisme se crée
inconsciemment, bien malgré les gens. Ainsi, depuis que le dialogue est
plus facile avec l’autre, celui de l’autre nation, la nécessité de
préserver ce qui nous identifie vient de prendre une primauté dans notre
conscience. Il ne s’agit pas que de positionner notre identité en lien avec
celle des autres, mais aussi et surtout de la placer dans le monde, pour
qu’elle ne se perde pas dans l’oubli qui pourrait en résulter de cette
absence de dialogue. Par exemple, les Français-es forment une nation et ils
défendent leurs intérêts. Lorsque les gens voient des Français-es, ils
voient une partie de ce qu’est la France. C’est la même situation pour les
Russes, les Italien-ne-s et etc.. Est-ce que Jimmy Gordon serait contre le
fait que les Français-es existent et qu’ils défendent leurs intérêts?
Serait-il aussi contre le fait que les Québécois-es s’affirment avec leur
propre passeport et leurs ambassades?
Dans les pires scénarios, si le nationalisme des États venait à baisser
sous un certain seuil, cela pourrait mener à l’implosion de certains
d’entre eux, faute de ne plus être supportés par leur population ; peuvent
s’en suivre les guerres civiles.
Que de considérer le nationalisme comme une maladie s’avère, pour le
moins, une faillite personnelle et intellectuelle de ces personnes. Combien
parmi elles sont à ce point cohérentes avec elles-mêmes pour prôner
l’abolition des frontières étatiques et la fin de l’intervention des États
dans leur société.
Les seules nationalismes qui posent problème à l’humanité sont ceux qui
ne se soucient que du lieu où les gens sont nés –plutôt que là où ils ont
choisi de vivre−, ou encore qui sont racistes, qui veulent créer une
homogénéité (assimilation) au sein de leurs frontières, qui sont religieux.
En somme, ce sont les nationalismes qui sont exclusifs qui nuisent.


Jocelyn Parent, étudiant au baccalauréat en Science politique à l’UQÀM

-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Jocelyn Parent7 articles

  • 4 992

Je suis un intellectuel qui place ses énergies dans l’émancipation du Québec et des Québécois-es, en vue de participer à leur procurer un État moderne et digne de ce nom. Ma réflexion est mise à la contribution des gens pour susciter la réflexion et l’élargissement de ce qu’est un citoyen, un électeur et une personne vivant en société. Cela se résume en un seul mot : la responsabilité. Faire ses devoirs pour mieux voter et mieux interpeler les élu-e-s, de sorte à ce que ceux-ci remplissent le seul mandat qui leur est dévolu : prendre soin de la population, non pas de façon paternaliste mais en participant avec le peuple à réaliser une société viable, intéressante et qui valorise le respect des gens, non pas qui vise à les berner.





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    4 août 2009

    Bravo! Votre texte constitue une très belle démonstration de ce qu'est le nationalisme bien compris, positif et qui est ce qu'il y a de plus normal pour tous les peuples de la terre. Je crois que le dénommé Gordon et André Pratte peuvent aller se rhabiller maintenant que vous les avez dévoilés si justement. Ces gens ne sont pas convaincus et c'est pourquoi leurs arguments sont faux:c'est souvent ce qui arrive lorsqu'on n'est pas soi-même et qu'on parle pour faire plaisir à ceux qui nous nourrissent.

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    3 août 2009

    Je dois vous avouer que je ne savais pas vraiment qui était ce Jimmy Lee Gordon, mais je me doute de sa nationalité, disons. Car ce genre de discours multiculturaliste, réduisant tout nationalisme (sauf le canadien!) à une sorte de croyance tribale... eh bien, c'est ce que j'appellerais des histoires de Canadien...
    Ça rappelle à la fois Trudeau (qui ne détestait pas le nationalisme en soi, comme phénomène, mais que le nationalisme québécois); et Chrétien, avec son discours sur le «plusse méyeur pays du monde» (sic), n'est jamais bien loin.

  • Michel Guay Répondre

    3 août 2009

    Votre exposé concernant les nationalismes est complet entier et éclairant .
    Vous avez raison de distinguer le nationalisme normal de libération et de vie respectueux des autres nations et de dénoncer le nationalisme impérialiste colonialiste à la canadian .
    Je crois que chaque être humain est à la fois individualiste nationaliste et internationaliste mais ne doit jamais prévilégier ou exclure une de ces trois tendances sociale de l'être .
    En Europe le nationalisme est perçu depuis 1939-45 comme une idéologie dangereuse car le nationalisme réfère toujours au nazisme fédéraliste et colonialiste de l'Allemagne hitlérienne
    Mais le nationalisme à la Québecoise empèche justement ces abus fédéralistes , impérialistes , royalistes et multinationalistes
    Cette lutte anti nationalistes des fédéralistes canadians à la Pratte Gesca relève justement de la supercherie nationaliste impérialiste royaliste des canadians

  • Archives de Vigile Répondre

    3 août 2009

    Félicitations ! Cette propagande canadianisatrice et leurs fallacieuses prétentions doivent pouvoir trouver ses contradicteurs. C'est fait grâce à votre apport. Bravo !
    ET OUI. Il s'agit bien de lutter contre ces supposés anti-nationalistes qui se gardent bien de promouvoir des États sans nations, et se gardent bien de prôner la fin de l'État du Canada dès lors fusionné à ceux des Amériques...
    N'importe quoi et son contraire.
    Luc A.