La ministre des affaires étrangères suédoise, Margot Wallström, prône une “politique étrangère féministe” appuyée par la Coalition sociale-démocrate au pouvoir. Loin d’être une coquille vide ou un effet d’annonce, sa démarche a des conséquences diplomatiques notables. Cependant les commerçants, les aristocrates et le roi de Norvège font des courbettes et s'excusent dans son dos.
Est-ce que les islamistes oseront émettre une fatwa contre la ministre, ou les bandits de la droite traditionnelle reprendront-ils leur façon de faire lorsqu'ils ne gagnent pas au jeu démocratique, eux qui ont assassiné les Suédois Olof Palme, président en 1986 et Anna Lindh, ministre sociale-démocrate des affaires étrangères en 2003?
La ministre d'un gouvernement conséquent
Depuis octobre 2014, la Suède a une ministre des Affaires étrangères féministe. La soixantaine, sociale-démocrate, politicienne de carrière, Margot Wallström a annoncé ses couleurs politiques dès sa nomination par le premier ministre Stefan Löfven.
La ministre est une ex-commissaires à l'Union européenne et a servi en tant que première représentante spéciale du Secrétaire général de l'ONU à propos de la violence sexuelle et les conflits.
Dans ce rôle, elle a pu observer à quel point trop souvent les crimes contre les femmes dans les conflits sont occultés ou ignorés, comment l'aide internationale de façon routinière ignore les besoins des femmes et des filles, et comment on ne permet pas aux femmes de participer aux négociations de paix.
Ces expériences l'ont marquée, autant que la composition presque exclusive d'homme dans les délégations pour résoudre les conflits. Une décade après que l'ONU eu adopté par son Conseil de sécurité la résolution 1325, qui prône la récessivité d'inclure les femmes dans les ententes de paix, 97% de tous les gardiens de la paix (casques bleus) sont des hommes et moins de 1% des participants dans les négociations de paix sont des femmes.
Relations diplomatiques quasi-rompues avec le monde arabe
En relations internationales, être féministe peut sembler a priori inconséquent.
C’est pourtant loin d’être le cas. En mars 2015, l’Arabie saoudite a ainsi rapatrié temporairement son ambassadeur en Suède, et a annoncé qu’elle n’accorderait plus de visas aux commerçants suédois en voyage, suite aux propos de cette ministre décidée à lutter pour les droits des femmes, y compris au niveau international.
En février 2015, Margot Wallström avait devant le parlement suédois, décrit en des termes crus quelques éléments de la vie quotidienne en Arabie saoudite, rappelant que les femmes n’étaient pas autorisées à conduire et qualifiant de “méthodes moyenâgeuses” la flagellation – supplice infligé au blogueur Raif Badawi en 2014.
Cette sinistre énumération a fait scandale : les Emirats arabes unis ont eux aussi rappelé leur ambassadeur à Stockholm, et les six pays du Conseil de coopération du Golfe ont condamné une intervention jugée “inacceptable” dans leurs affaires internes.
Pour couronner le tout, et en dépit de la volonté du Premier ministre Löfven de recoller les morceaux, le gouvernement suédois a dans la foulée annulé un contrat de coopération militaire avec l’Arabie saoudite. Maintenir ces exportations tout en prônant une “politique étrangère féministe” aurait semblé paradoxal. Le gouvernement dont est membre Margot Wallström s’en est tenu à sa ligne, en dépit du tollé provoqué par cette décision dans l’opposition, et parmi les patrons d’industries.
Les pays arabes anti-Palestine déjà incommodés
La reconnaissance de l'État de la Palestine par le gouvernement suédois en 1994 ne fut pas sans effet puisque l'Arabie saoudite a demandé à la ligue Arabe d'annuler la communication que devait faire Wallström au Caire en mars 2015. Elle fut "désinvitée".
Le 9 mars 2015 l'Arabie Saoudite a rappelé son ambassadeur en Suède, expliquant que Wallström s'était de façon inacceptable interférée dans les affaires internes du pays.
Les Émirats Arabes Unies ont suivi la démarche une semaine plus tard. À cause du magouillage de l'Arabie Saoudite, Wallström a aussi été condamnée par Le Conseil de coopération du golfe (qui comprend le Bahreïn, l'Arabie saoudite, le Koweït et U.A.E, l'Organisation de la coopération islamique (qui comprend 57 pays) et La Ligue Arabe elle-même. Finalement, l'Arabie saoudite à proféré des accusations beaucoup plus graves contre Wallström, prétendant que ses commentaires sur la flagellation étaient une critique de la Charia et de l'Islam.
Durant le brouillard entourant l'escalade de la crise diplomatique, le gouvernement suédois a dû décider d'un autre objet épineux concernant l'Arabie Saoudite. La Suède est non seulement le pays d'Europe qui per capita donne le plus d'aide humanitaire dans le monde (le ministère des affaires extérieures aime se décrire comme une grande puissance de l'humanitaire), mais aussi le plus grand vendeur d'armes per capita.
Même avec des lois très strictes prévoyant de ne pas vendre d'armes aux pays impliqués dans des conflits violents ou soupçonnés de commettre des crimes contre les droits humains, des failles dans la loi ont permis aux armuriers de la Suède de continuer à vendre à un vieux et payant client, l'Arabie Saoudite!
Bien sûr, depuis quelques années, les relations sont devenues de plus en plus inconfortables avec les élus suédois; en 2012, le ministre de la défense fut obligé de démissionner après que la radio publique eut révélé un projet secret d'élaboration et de construction d'une usine d'armement en Arabie Saoudite. ( 03 )
Les socio-démocrates de la Suède ont développé historiquement une analyse pragmatique de la vente d'armement par une industrie subventionnée et de ses ententes commerciales souvent opaques à l'extérieur de la Suède. Mais lorsqu'un nouveau gouvernement, une Coalition de gauche fut élue à l'automne 2014, le Parti Vert membre de la Coalition souleva que les relations avec l'Arabie saoudite et les valeurs et l'image que la Suède souhaite projeter à l'extérieur de ses frontières ne coïncidaient pas.
Les commentateurs politiques autant à gauche qu'à droite ont posé une question évidente: comment le fait de vendre des armes à ce pays qui oppressait les femmes s'arrimait à une politique de relations extérieures féministes?
Le lendemain du discours annulé de Wallström au Caire, le 10 mars 2015, le gouvernement a annoncé sa décision de ne pas renouveler son entente bilatérale de vente d'armes avec l'Arabie saoudite. Aucune explication officielle n'a suivi le communiqué de presse. Il était sous-entendu que pour la Suède (Riyad avait certainement reçu un préavis), l'Arabie Saoudite n'était plus considérée comme un acheteur acceptable d'armes suédoises.
Les opposants a la politique féministe
On a vu la politique extérieure féministe de Wallström en action. Cependant, elle n'est pas du tout appréciée par les puissants de l'industrie suédoise qui étaient pour perdre d'importants revenus suite à la rupture des relations avec l'Arabie Saoudite. Il semble aussi que le gouvernement se soit inquiété du risque d'allumer une étincelle qui élargirait le conflit à l'ensemble du monde Arabe. Une semaine plus tard, une délégation de représentants de la Suède se sont rendus à Riyad.
La délégation a remis des lettres du Premier ministre Stefan Löfven et du roi Carl Gustaf XVI, qui tentaient de rétablir les relations en expliquant que Wallström n'avait pas l'intention de critiquer l'Islam et offrait ses regrets pour toute incompréhension.
Dans sa missive Löfven écrit qu'il reconnait le rôle du roi Salman comme protecteur de lieux saints et de l'Islam. De plus il ajoute que son gouvernement s'inquiète de la détérioration des relations entre les des deux pays suite aux commentaires de sa ministre des affaires extérieures.
Le roi de la Suède Carl Gustaf XVI
L'ambassadeur saoudien est maintenant réinstallé en Suède. Les opposants politiques de Wallström l'ont malmenée en invoquant une performance malhabile. Malgré tout, la ministre des affaires extérieures de Suède a refusé de reculer, se référant seulement à une incompréhension mutuelle et renforçant le message qu'aucune excuse pour ses remarques spécifiques n'a été ni ne sera publiée.
La Suède ne représente aucune menace pour qui que ce soit, mais les diplomates de l'Arabie saoudite sont ravis d'avoir mis en échec un petit pays scandinave et surtout ils préfèrent que les idées de Wallström ne se répandent pas plus loin que Stockholm.
Quant aux autres pays, ils ne voudront probablement pas suivre l'exemple de la Suède et fâcher le plus grand exportateur de pétrole et un des joueurs importants du Moyen Orient. Mais, il y a maintenant la preuve d'un double standard sur l'attitude des chefs de l'Occident quant à l'importance qu'ils accordent aux droits humains et aux droits de la femme: ils deviennent silencieux sur ces sujets dès que leur intérêts économique ou d'alliance politique sont en jeu.
À l’étranger, de nombreuses voix ont loué l’attitude déterminée de la Suède vis-à-vis de l’Arabie saoudite.Désormais, disent ces critiques, la Suède a perdu toute chance d’être élue au Conseil de sécurité pour 2017 et 2018.
“Contre la subordination globale et systématique des femmes”
Suite à sa nomination au poste de ministre, elle avait immédiatement donné le ton de la politique qu’elle comptait mener lors d’un discours aux États-Unis, comme le rappelle The New Yorker : “Lutter pour l’égalité des genres n’est pas seulement un objectif en soi, mais aussi une condition sine qua none pour réaliser nos plus grands objectifs en matière de politique internationale, de développement et de sécurité”.
Dans un entretien au Monde, la ministre précise encore sa pensée : “Une politique étrangère féministe n’est pas une baguette magique, c’est une méthode et une perspective que l’on doit porter en soi. Quelle est la situation juridique des femmes dans les pays où nous sommes actifs ? Ont-elles les mêmes droits que les hommes ; les femmes sont-elles représentées, sont-elles impliquées dans les décisions; enfin, le partage des ressources est-il équitable et prend-il en compte les besoins spécifiques des femmes ? C’est à travers ces filtres que Stockholm oriente ses actions.”
Des effets sur les conflits mondiaux ?
Assumer une position “féministe” aussi marquée et intransigeante est une nouveauté dans l’univers feutré de la diplomatie. Interrogée par The New Yorker, Margot Wallström persiste pourtant : “Je pense que féminisme est un terme qui convient. Il s’agit de lutter contre la subordination globale et systématique des femmes”.
Cette politique étrangère féministe peut-elle avoir des effets sur les relations mondiales, et la gestion des conflits ? Établir un lien entre la progression des droits des femmes dans le monde et leur impact sur la guerre et la paix est inhabituel.
Pourtant une école de pensée dans les relations internationales planche sur ce sujet, et estime que c’est le cas.
En 2012, quatre chercheurs ont publié un ouvrage intitulé “Sex and World Peace”, dans lequel ils apportent la preuve que plus un État et ses citoyens sont violents envers les femmes, plus cet État tend à être violent sur le plan international. ( 01 )
La théorie de la politique extérieure
Depuis le retour des sociaux-démocrates au pouvoir à l’automne 2014, la politique étrangère suédoise étonne : reconnaissance de la Palestine dès octobre 2014, conflit ouvert avec l’Arabie saoudite en mars 2015, commentaires cassants sur l'attitude de Poutine en Russie et élaboration d’une politique étrangère « féministe ».
Le royaume scandinave a retrouvé une voix originale qui le voit retourner à ses fondamentaux, mettant en avant les droits humains.
Bien sûr que le décompte des pours et des contres démontre que la classe d'affaires et la classe politique sont divisées sur le prix à payer pour embrasser des principes de droits humains. Le ministre du commerce Mikael Damberg déclarait en février 2015 qu'à part de retirer un contrat ou boycotter un pays ayant une ardoise effrayante sur le plan des droits humains, il continuerait à maintenir des relations avec eux, puisque le commerce est un excellent outil pour faire la promotion des droits humains.
D'ailleurs Mme Wallström n'a jamais demandé ou suggéré qu'il y ait coupure de lien diplomatique avec le régime saoudien.
En 2014, Ryad en avait ainsi acheté pour 338 millions de couronnes (37 millions d'euros ou 49 millions$ en dollars canadien). L'ensemble de l'élite d'affaire et industrielle s'était alignée contre Mme Wallström. L'opinion publique, elle, la soutenait.
Les saoudiens semblent avoir compris que le gouvernement social démocrate ne pouvait pas renouveler le controversé mémorandum sur l'exportation des armes. Mais ce qui les avait choqués, c'est la façon dont la décision avait été transmise. Ils étaient plus offensés parce que c'était une femme qui condamnait leur politique pré-moderne sur le droit des femmes et cet outrage s'est étendu à l'ensemble du monde Arabe. Les gestes de représailles posés sont un cas classique d'intimidation.
L'Arabie Saoudite a deux exportations malsaines: la corruption et une brutale et puritaine forme de l'Islam. Ceci doit être pris en compte par tout gouvernement qui fait affaire avec ce pays.
La Suède retour aux sources
Certains y voient le retour à une politique étrangère marquée du sceau d’Olof Palme, le légendaire premier ministre assassiné en 1986, qui avait placé la Suède sur la carte du monde en se faisant le chantre de l’internationalisme, des droits de l’homme et du tiers-monde.
« Olof Palme ? C’était il y a longtemps », récuse Margot Wallström, la ministre des affaires étrangères dans un entretien avec des journalistes du Monde. Elle préfère se référer à Anna Lindh, autre ministre social-démocrate des affaires étrangères, assassinée en 2003.
Question de style. Question d’époque aussi, puisque depuis son entrée dans l’Union européenne en 1995, la Suède n’a plus les coudées aussi franches. Mais l’envie est là. « Le monde a surtout besoin de plus de courage », note Mme Wallström.
Lorsque celle-ci a présenté sa politique à l'automne 2014, elle a été reçue avec plusieurs sourires en coin et quelques remarques désobligeantes venant de son propre ministère.
Comment ceci améliorerait-il, au lieu de simplement compliquer, les relations de la Suède avec l'ensemble du monde?
Robert Egnell, un professeur invité au Georgetown Security Studies Program et conseiller au Georgetown Institute for Women, Peace, and Security, a expliqué aux traditionnalistes des relations extérieures:
«qu'une perspective féministe serait réalistement naïve et potentiellement dangereuse, dans la politique réelle et les luttes de pouvoir entre les nations»
Dans la communauté diplomatique, où les mots sont choisis avec prudence pour ne pas offenser, le féminisme est habituellement évité, puisqu'il risque d'être perçu comme une provocation et une confirmation d'une résistance contre les hommes.
«Si le terme de féministe vous dérange vous pouvez le nommer l'égalité des genres», a dit Wallström lorsqu'on lui suggère de choisir un autre mot pour décrire sa politique. «Je crois que féminisme est bon terme, il s'agit de se tenir debout devant la subordination globale et systématique des femmes»
Son expérience d'une dizaine d'années à la Commission Européenne et comme représentante spéciale du Secrétaire général de l'ONU à propos de la violence sexuelle dans les conflits, l'ont préparée à assumer le rôle de ministre présentant une politique extérieure féministe.
Comme Hillary Clinton, qui a souvent argumenté que les «droits des femmes sont des droits humains», Wallström embrasse le concept du "pouvoir intelligent" tel qu'articulé par Joseph Nye, politologue scientifique états-unien: lorsqu'un pays investit dans des solutions globales pour régler des problèmes, tels que la santé et le développement économique, finalement c'est tout le pays qui en bénéficie.
Par exemple, en tant qu'un des pays européens recevant le plus de réfugiés syriens, la Suède ferait bien de parler de la situation des réfugiés à d'autres pays.
Le droit des femmes est un autre sujet global et Wallström a trouvé une base commune pour discuter du sujet avec ses collèges d'autres pays et cela peu importe les spectre politique de ses interlocuteurs, tel que le premier secrétaire d'état de la Grande Bretagne William Hague, du parti Conservateur qui durant la période où il était secrétaire aux affaires extérieures avait affirmé «que la prise en main par des femmes de leur environnement social, économique et politique serait le grand prix stratégique du 21e siècle.»
Wallström cite plusieurs études sur le sujet qui démontrent que la sécurité des femmes est directement reliée à la sécurité nationale et internationale.
En 2012, le livre "Sex and World Peace" a présenté des données indiquant que plus un État est violent envers ses femmes plus il risque d'être violent dans l'ensemble de ses gestes nationaux et internationaux. «En fait les meilleurs indices de paix dans un État, ne sont pas sa richesse, son niveau de démocratie ou son identité religieuse, le meilleur indice d'un pays pacifique réside dans le traitement des femmes» a écrit Valérie-M. Hudson dans un texte sur la Politique extérieure des pays.
Les politiciens et politiciennes voient rarement que les droits des femmes puissent avoir un impact direct sur les problèmes de guerre et paix. Mais selon cette école de pensée, une politique extérieure qui tente de s'attaquer aux iniquités de genre devrait être à l'agenda de tout politicien conscient de sécurité globale.
Particulièrement à une époque où la caste des diplomates en relations extérieures est majoritairement mâle, incluant des organisations comme les Nations Unies, qui semblent ne plus avoir d'idée quant à la gestion ou même l'approche utile à résoudre les conflits violents, une approche prenant perspective sur les genres en relations extérieures et intérieures serait sûrement une approche ou une stratégie pragmatique.
Les auteurs du livre "Sex and World Peace" vont jusqu'à suggérer que, dans le futur, "le choc des civilisations" ne sera pas basé sur l'ethnicité ou les différences politiques, mais plutôt sur les croyances à propos du genre.
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