Geneviève Lajoie et Daphnée Dion-Viens
Non seulement il n’y aura plus de salles de prières, mais il sera dorénavant interdit de prier ouvertement dans les écoles publiques du Québec, un élargissement qui ouvre toute grande la porte à une contestation devant les tribunaux, estiment des experts.
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Comme promis, le ministre Bernard Drainville a dévoilé mercredi soir la directive visant à bannir les locaux de prières du réseau scolaire. À compter d’aujourd’hui, il n’est plus permis de transformer une classe en salle servant à la «pratique religieuse».
La décision du ministre de l’Éducation a été prise après que des écoles secondaires de Laval aient autorisé l'ouverture temporaire d'un local de «ressourcement» pour permettre aux élèves de prier. Le centre de services scolaire avait plaidé la sécurité, puisque plusieurs jeunes priaient dans les aires communes, des stationnements ou des espaces réservés à des sorties de secours.
Bernard Drainville avait alors soutenu qu’il ne pouvait pas interdire formellement la prière, mais souhaitait que les écoliers croyants se recueillent en silence.
Afin de «préserver le caractère laïque de l’école publique», la directive précise d’ailleurs «qu'aucun lieu n'est utilisé, en fait et en apparence, à des fins de pratiques religieuses telles que des prières manifestes ou d'autres pratiques similaires». C’est donc dire que les jeunes qui fréquentent l’école publique québécoise ne pourront plus prier ouvertement ou de manière ostentatoire dans les murs de leur établissement scolaire. C’est ce que réclamait notamment la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE), qui s’est réjouie de la directive ministérielle jeudi.
Possible recours devant les tribunaux
De leur côté, des organismes musulmans réfléchissent à la possibilité de contester cette directive devant les tribunaux.
«On va consulter nos avocats pour voir quels sont nos droits dans tout ça et on va prendre la décision qui s’impose. Ça sera fait de façon concertée, avec toutes les organisations musulmanes de la province de Québec», a indiqué le président du Centre culturel islamique de Québec, Mohamed Labidi.
L’interdiction de prière va «trop loin» puisque des citoyens seront ainsi privés d’un «droit fondamental», ajoute M. Labidi.
Des experts consultés par Le Journal estiment aussi que cette interdiction de prier ouvertement, qui va au-delà des salles de prière, pourrait être contestable sur le plan juridique.
«L’atteinte à la liberté de conscience et de religion semble assez simple à démontrer. L’enjeu, par la suite, c’est de savoir si l’État peut justifier cette atteinte» par le principe de laïcité, indique Louis-Philippe Lampron, professeur de droit à l’Université Laval, qui qualifie cette interdiction élargie «d’étonnante».
«Le problème avec cette directive-là, c’est qu’on fait peser une interdiction sur le dos des enfants. On sort du cadre de la laïcité au sens de la séparation entre le religieux et l’État. On fait vraiment un pas de plus», ajoute-t-il.
L’avocat spécialisé dans les droits de la personne, Julius Gray, estime aussi que la directive repose sur une certaine «ambivalence».
«Si M. Drainville dit qu’il n’est pas nécessaire d’affecter une salle pour des fins de prière, il a probablement raison, (...) ce n’est pas le but d’un établissement scolaire de devenir une église, dit-il. Mais si M. Drainville dit qu’on ne peut pas prier à l’école, c’est illégal. On ne peut pas empêcher les gens de prier.»
De son côté, l’Assemblée des évêques catholiques du Québec avait déjà admis que leurs fidèles ne seraient pas indisposés par ces nouvelles mesures, de par la nature même de leur spiritualité et de leurs rites, mais que ce n’était pas le cas de toutes les religions.
Le secrétaire général de l’organisation, Mgr Pierre Murray, avait notamment soulevé le cas des musulmans qui, pendant le Ramadan, doivent généralement prier en groupe «avec la gestuelle sur le tapis et avec une dimension vocale».