La peur des élites

(Mise au point de Josée Legault)

Chronique de Patrice Boileau


J’ai eu la chance d’écouter vendredi dernier l’émission animée par Christiane Charrette, sur les ondes de la Première Chaîne de la radio de Radio-Canada. Elle était retransmise directement du salon du livre de Montréal.
Une veine donc non pas parce que je suis un admirateur de l’animatrice, mais bien parce que parmi ses invités se trouvait Jacques Parizeau. L’ancien premier ministre était à la Place Bonaventure afin d’y présenter évidemment son dernier livre traitant de la souveraineté.
[->23538]À ses côtés était installée Josée Legault. La chroniqueure politique ne tarissait pas d’éloges envers l’ancien chef péquiste. Le trémolo que laissait entendre sa voix montrait à quel point son émotion était vive parce qu’elle se trouvait près d’un homme qui manifestement, fait partie de sa courte liste de personnes qui a toute son admiration.
Il a été beaucoup question de peur durant le bref entretien qu’a accordé Monsieur. L’homme a avoué avoir essayé d’éviter de donner « une poignée » aux adversaires fédéralistes, durant le référendum de 1995. Il fallait absolument que les forces souverainistes démontrent qu’ils n’attendaient rien du gouvernement canadian. Que la bonne marche vers l’indépendance du Québec ne dépendait pas d’une éventuelle approbation de l’État fédéral sur certaines questions, après négociations.
Jacques Parizeau a tout à fait raison. Les souverainistes ne peuvent laisser croire que la réussite de leur projet sera couronnée de succès après des pourparlers avec Ottawa. L’espace économique nord-américain que nous partageons, par exemple, découle d’accords signés entre nations qui ne peuvent faire l’objet d’une révision revancharde. L’action serait très mal perçue par la communauté internationale. Reste que l’idée de conserver le dollar et la nationalité canadian frappe l’imaginaire collectif. Nombre de Québécois, autant fédéralistes que souverainistes, imaginent mal le pays du Québec affublé de symboles qui ne le caractérisent pas le nouvel État. On aura beau leur répondre que la décision de les utiliser ne relève que de l’Assemblée nationale du Québec, reste que le geste unilatéral laisse perplexe.
Ce sont donc des craintes économiques que le bouquin du vénérable souverainiste cherche à évacuer. Semblerait qu’elles se soient d’ailleurs volatilisées avec la mondialisation des marchés, depuis le référendum de 1995. C’est du moins ce que Jacques Parizeau et Josée Legault ont affirmé, vendredi dernier. Les Québécois seraient ainsi passés à autre chose, bercés par une confiance tranquille. La peur, selon la chroniqueure de l’hebdomadaire Voir et du journal The Gazette, logerait dorénavant du côté des élites souverainistes. Ils sont les seuls à hésiter de bouger, de manière à remettre le projet souverainiste à l’avant-scène de l’actualité. Ainsi, l’absence de mesures concrètes afin de rapprocher le Québec de son destin naturel serait le fruit de tiraillements qui hantent uniquement les leaders indépendantistes.
J’avoue ne pas partager cette dernière interprétation de Josée Legault. En tout respect, si la peur tenaillait seulement l’intelligentsia péquiste et bloquiste, les sondages le démontreraient. Le pourcentage d’appui au projet de pays exprimerait alors assurément cette confiance populaire en affichant un chiffre bien différent de celui dévoilé par les dernières enquêtes. On peut toujours rétorquer en soutenant que le silence des élites souverainistes est responsable du faible engouement que suscite présentement l’objectif indépendantiste. Possible. Jacques Parizeau l’a prouvé en imposant un calendrier référendaire après son élection en 1994, échéancier qui a avivé la ferveur souverainiste. Il s’agissait cependant d’une deuxième tentative qui survenait après de retentissants échecs de réformes constitutionnelles. Ainsi, au contraire de ce qu’affirme la chroniqueure souverainiste, le risque de perdre un troisième référendum ne laisse personne indifférent. Les conséquences de ce nouveau revers seraient catastrophiques pour la suite des choses. On ne peut donc prendre à la légère l’organisation de cette ultime consultation populaire, si on s’entête évidemment à persévérer dans ce mode d’accession à la souveraineté.
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L’angoisse qui enveloppe le projet indépendantiste n’est donc pas exclusivement l’affaire des élites souverainistes. Elle hante également une bonne portion des Québécois francophones, pendant que les non-francophones s’opposent massivement à l’idée de pays. Certains consensus comme celui touchant la langue peuvent contribuer à la diminuer. C’est d’ailleurs ce à quoi travaille présentement Pauline Marois, chef du Parti québécois. Sa réflexion sur la possibilité d’imposer aux étudiants Québécois la fréquentation des collèges francophones après leur passage dans les écoles secondaires, va effectivement dans ce sens. Secouer la fibre identitaire s’avère un bon moyen de rallier les nationalistes mous.
Restera néanmoins à franchir l’étape ultime, celle qui entérinera le projet de pays. La traverser avec succès ne peut se faire sans une forte dose de confiance. Elle seule terrassera la peur. Il faut pour cela éviter le psychodrame collectif, celui qui naît d’un événement futile mais habilement monté en épingle par des médias mal attentionnés. Rappelez-vous l’épisode des « Yvettes » ou encore celui de la « cage à homard ». Ces incidents insignifiants ont été amplifiés par les agents de propagande fédéraliste de manière à faire dérailler deux campagnes référendaires. Parvenir à éviter cet écueil lors d’une troisième relève du miracle. A-t-on le droit de prendre ce risque? Est-il surtout intelligent de faire le choix de le prendre?
La peur ne réside pas dans le projet indépendantiste comme tel. Le Québec possède trop de richesses pour renoncer à prendre sa place dans le concert des nations. Il peut relever avec brio les mêmes défis qu’affrontent des nations moins puissantes. Son ouverture sur l’Atlantique et le contrôle qu’il exerce sur la voie maritime du Saint-Laurent commande le respect de la part de ses voisins géographiques. Sa production impressionnante d’énergie électrique fait de lui un partenaire économique indispensable. Bref, le pays du Québec ne peut craindre l’avenir quant à son développement. La turbulence annoncée maladroitement par Pauline Marois concernera peut-être la négociation de la part québécoise de la créance publique fédérale. Le reste relève d’épouvantails auxquels il ne faut accorder aucune importance : ce sont les fameuses « poignées » que Jacques Parizeau nous exhorte d’ignorer.
[La peur loge néanmoins dans le processus référendaire. Elle paralyse les élites politiques parce qu’elle affecte les Québécois.->23768] Ce n’est pas une crainte puérile, celle d’avoir peur de la peur. L’adversaire fédéral se livrera aux pires bassesses pour torpiller un troisième référendum et soumettra par la suite le Québec à ses diktats. Voilà la réalité. Loin de moi l’idée de jouer ici au Bonhomme sept-heures. On a vu Ottawa imposer des sanctions fiscales après l’échec de 1995. Assurément, il s’en autorisera d’autres si les souverainistes font l’erreur de tomber dans le piège référendaire. Pour anéantir cette peur, il faut éliminer le piège référendaire.
Patrice Boileau



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Mise au point de Josée Legault
Suite au texte «La peur des élites» de Patrice Boileau, vous me permettrez de simplement rectifier certains propos que l'on m'y prête.
- Donc, au cours de l'émission, après avoir qualifié M. Parizeau d'«antithèse de la peur», je n'ai par contre jamais affirmé que ces peurs étaient «volatilisées». Mon propos était plutôt ceci: «(ce fut) un travail absolument herculéen. Il n'est pas terminé
- Vous me prêtez aussi ceci: «La peur, selon la chroniqueure de l’hebdomadaire Voir et du journal The Gazette, logerait dorénavant du côté des élites souverainistes. Ils sont les seuls à hésiter de bouger (...). Ainsi, l’absence de mesures concrètes afin de rapprocher le Québec de son destin naturel serait le fruit de tiraillements qui hantent uniquement les leaders indépendantistes.»
Alors que j'ai plutôt parlé des élites souverainistes et fédéralistes en ces termes: «Mais sur la question nationale, tout est bloqué parce que la peur, on dirait qu'elle a muté chez les élites politiques du Québec. Elle n'est plus dans le peuple. Elle est chez ses élites. Du côté souverainiste, on a peur de perdre un référendum, donc, on n'en tient pas parce qu'on a peur d'en perdre un. Du côté fédéraliste, on ne présente plus de revendications à Ottawa parce qu'on a peur qu'il va y avoir un échec constitutionnel et qu'on va avoir encore un psychodrame. On a des élites politiques en ce moment qui sont menotées par la peur pendant que le peuple, lui, depuis des années, s'en libère tranquillement, que les gens soient souverainistes ou fédéralistes.»
Je ne faisais que constater un état de fait, que d'aucuns nommeraient «impasse» - un simple constat factuel.
Auquel constat, M. Parizeau, s'est simplement dit en accord.
- Enfin, lorsque vous avancez que contrairement à ce que j'aurais affirmé, «le risque de perdre un troisième référendum ne laisse personne indifférent.»
Le fait est que si j'ai parlé de la «peur de perdre un référendum», je l'ai fait en la constatant, mais sans aborder cet aspect, à avoir si cela laisserait ou non les gens «indifférents».
Josée Legault

Chroniqueure politique

25 novembre 2009


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    25 novembre 2009

    25 novembre 2009, par Bruno Deshaies
    Je trouve sur Vigile cette citation : « Il s’accomplit une action humaine qui mûrit peu à peu sous la multitude des actes individuels. » (Pierre Teilhard de Chardin)
    L’idée est intéressante pour les indépendantistes. En somme, le travail fondamental consiste à susciter « la multitude des actes individuelles » au sein de la société québécoise pour qu’enfin « une action humaine » s’accomplisse COLLECTIVEMENT.
    Monsieur Michel Dionne, dans son commentaire à ma chronique cité ci-dessous, a mis le doigt sur le bobo en ces termes : L’impératif présent : la pédagogie de l’indépendance. Pourquoi ? Non pas pour recommencer un troisième référendum, mais surtout pour « construire une majorité solide d’appui à l’indépendance ». C’est probablement la seule façon de faire pour mettre fin à «La peur des élites » et des tergiversations interminables en vue de mettre le cap sur l’objectif qui est l’indépendance du Québec. Il se pose trois questions : Qui sommes-nous ? Où en sommes-nous ? Quels choix s’offrent à nous ?
    À la dernière question, il répond : « Au regard de l’histoire, il n’y a que deux voies réalistes qui se présentent aux québécois : l’assimilation ou l’indépendance. »
    « Nationaliser notre souveraineté et l’exercer » (Jean-Luc Deveaux) »
    http://www.vigile.net/Nationaliser-notre-souverainete-et

  • Archives de Vigile Répondre

    25 novembre 2009

    Pour ma par je crois que l'élection décisionnelle pourrait facilement remplacer et même surpasser un référendum si et seulement si il y a un pacte au préalable entre les divers partis souverainistes avant l'élection; un pacte entre le parti québécois et Québec solidaire par exemple.
    Si le suffrage obtenu est supérieur à 50%+1 ansi que le nombre de députés, l'état serait par conséquent légitimé d'enclencher sur-le-champs le processus menant à l'indépendance du Québec.
    C'est la solution simple et élégante que proposait le Rassemblement pour l'indépendance du Québec (RIQ) et avec laquelle je suis en accord bien que je n'exclus pas encore de façon définitive la voie référendaire.
    Jacques Lamothe (Trois-Rivières)

  • Gilles Bousquet Répondre

    25 novembre 2009

    Si vous éliminez le piège référendaire, il va être remplacé par le piège électoral. Le Québécois peureux qui ne voudrait pas voter OUI à un référendum va aussi avoir peur de voter OUI à un parti qui didéclare qu'il va réaliser la souveraineté s'il est élu.
    Il n'y a pas d'autres solutions que de changer plus de fédéralistes en souverainistes solides qui ne se laissent pas effrayer trop facilement.