COVID-19

La « science » et ses incertitudes comme excuse !

Des prises de décisions hautement politiques

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Tribune libre

Lorsque le premier ministre du Québec a annoncé que des projections sur la progression de la pandémie de la Covid-19 seraient présentées le 7 avril vers 15h, il a aussi précisé qu'il ne serait pas là lors de cette présentation, car la parole serait alors à "la science". Le 27 avril, F. Legault a aussi déclaré:"Ce n'est pas une décision qui est “sur la gueule”; c'est la science. On écoute la science et elle nous dit : c'est possible de retourner ces enfants [en classe]," si la situation reste sous contrôle d'ici le 11 et 19 mai." Par ailleurs, dans le Devoir du 27 avril, Y. Gingras, dans un article intitulé: "Incertitude et gérants d'estrade."soulignait, avec justessela "temporalité de la science", indiquant par là que les données de la science peuvent évoluer avec le temps, engendrant ainsi des incertitudes. Cependant, sans réserve et sans précaution, il généralisait  et élargissait les conséquences d'une telle "temporalité", et affirmait que "toute prise de décision se fait sur la base de connaissances limitées et en temps réel, et non pas après la fin de la partie." En effet, en  proposant  une analogie entre un joueur de hockey, qui doit rapidement choisir entre faire une passe et tirer au but, et un décideur politique ou autre, qui doit faire des choix malgré les incertitudes de la science, Y. Gingras sous estimait complètement le fait que le contexte général qui entoure nécessairement toute prise de décisions, règles du jeu du hockey ou "règles" politiques et économiques en l'occurence, oriente déjà, en tout ou en grande partie, les décisions qui peuvent et vont être prises . Or les  décideurs politiques actuels savaient très bien que toute prise de décision concernant le systéme de santé se ferait dans le cadre d'un systéme sous financé depuis longtemps, et mal préparé à faire face à une pandémie. D'ailleurs, ils le savaient d'autant mieux que la plupart d'entre eux ont collaboré, de près ou de loin, à ce sous financement chronique. Si gouverner, c'est prévoir, et si, comme le dit Y. Gingras, "envisager le pire, (est la )seule façon éthique de planifier la santé publique.", faut-il attendre que le pire soit à nos portes pour l'envisager ?



  • La table semble donc être mise pour, qu'en temps de pandémie, "on écoute la science", en sachant que la science en question n'est pas certaine, et que "malgré les incertitudes et les ignorances, il faut bien agir « au temps T » avec les connaissances du temps T".  Outre le fait que ce sont des scientifiques qui parlent et qu'on écoute, et non la science, on peut aussi se demander si c'est la science qui ne nous parle pas clairement ou si c'est nous qui avons une écoute défectueuse, sélective ou distraite. Car, si ce que disent F. Legault et  Y. Gingras est vrai pour certaines décisions, cela est fortement à mettre en doute  dans d'autres cas. En effet, par exemple, de toute évidence, des politiques de confinement et de déconfinement très différentes ( France et Suède ou Grande Bretagne au début) ont été prises par des gouvernements sur la base de données scientifiques, certes incertaines, mais identiques. À cet égard, le discours de B. Johnson, au début de la pandemie en Grande Bretagne, était éclairant. En optant pour le "laissez faire", Il disait ce que beaucoup d'autres gouvernements n'osaient pas dire: même en temps de pandémie, il y a des impératifs économiques et politiques à "écouter" et surtout à respecter et, le respect de' la loi de la rentabilité maximum"  ne vient pas de la science et de ses incertitudes. Il est aussi facile de comprendre que, sur la question du port du masque, même sur la base de données scientifiques incertaines identiques, un gouvernement n'aura pas la même liberté de décision si, par ailleurs, il ne dispose pas de masques à distribuer. Ce n'est pas la science qui leur dit que stoker des masques n'est pas rentable, même si c'est indispensable pour la santé publique. Plus près de nous, faut-il rappeler que l'indécision de J. Trudeau, au sujet de l'instauration du contrôle des étrangers à l'arrivée au Canada, n'a rien à voir  avec la science ou avec l'incertitude dont parle Y. Gingras. On connaissait très bien les dangers potentiels que comportait une telle indécision quant à la propagation de la Covid-19. Une situation d'incertitude ne peut donc pas  être une excuse pour des prises de décisions contestables qui relèvent en fait de choix politiques et économiques délibérés, passés ou présents. De plus et non des moindres, quand Y. Gingras nous demande de " compatir avec ceux et celles qui ont la lourde responsabilité actuelle de prendre de telles décisions en situation d’incertitude" cela revient à nous demander de délivrer un véritable blanc-seing aux décideurs politiques et économiques. C'est sûrement  au dessus des forces de la plupart d'entre nous, et, nous demander de les comprendre serait déjà beaucoup. Non, madame la vice première ministre, malgré vos demandes répétées faites le 29 avril, nous ne sommes et ne serons ni dociles, ni obéissants. 

  •        La déclaration de F. Legault sur le rôle de la science en période de pandémie, et l'affirmation d'Y. Gingras sur la prise de décision en situation d'incertitude, pourraient donc facilement être comprises comme des raisons de déresponsabiliser les décideurs politiques, puisque ces derniers  agiraient alors en 'obéissant" à l'autorité de la science, avec les incertitudes que cela comporte. Si cela était, on peut se demander de quelle responsabilité il était question quand, au sujet de la tragédie dans les CHSLD, F. Legault déclarait "qu'il en prenait toute la responsabilité". Plus généralement, réduite à une affaire de gestion et non plus de décisions, la politique s'effacerait donc devant la science, qui nous dirait quoi faire. Les discussions d'experts, experts à la neutralité reconnue à défaut d'être justifiée et prouvée, tiendraient alors lieu de délibérations politiques.

  • Dans les stratégies des confinements actuels et des déconfinements envisagés, il y a des incertitudes, liées à nos connaissances limitées de la maladie, et il y a des risques, liés en grande partie aux choix des mesures prises ou à prendre par les gouvernements . Nous ne sommes pas tous égaux devant ces risques ou il est parfois question de vie ou de mort, et nous ne sommes donc pas dans une partie de hockey. Dans ces conditions, il ne faudrait pas que la science et ses incertitudes soient, là aussi, invoquées, par les gouvernements, pour tenir lieu de substitut à une position éthique transparente, qui mettrait clairement la sauvegarde de la vie de chacune et chacun comme priorité absolue. 

  •  

  • Un vieux réfractaire, ni docile, ni obéissant. 


          PIerre Leyraud



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