Reconnaissance du Kosovo

La Serbie en furie contre Ottawa

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DUI - Référendum - Kosovo (17 février 2008), Soudan (janvier 2011)

Ottawa -- Furieuse qu'Ottawa ait décidé de reconnaître hier l'indépendance unilatérale du Kosovo, la Serbie a rappelé son ambassadeur au Canada, Dusan Batakovic. Ce dernier doit quitter le pays d'ici vendredi soir pour «protester» contre la décision du gouvernement fédéral.
Lors d'une entrevue avec Le Devoir hier, l'ambassadeur a affirmé que le geste d'Ottawa pourrait lui retomber sur le nez advenant l'indépendance du Québec. «Il s'agit d'un précédent dangereux pour le Canada», a-t-il dit.
Le gouvernement Harper a hésité pendant plusieurs semaines avant de finalement reconnaître l'indépendance du Kosovo hier après-midi, quelques heures après le Japon. Depuis le 17 février, 31 pays ont reconnu l'État naissant du Kosovo, dont tous les alliés du Canada membres du G7. Une vingtaine de pays menés par la Serbie et la Russie ont refusé net de reconnaître l'ancienne province composée à 90 % d'Albanais musulmans. La Chine et l'Espagne, qui renferment des mouvements séparatistes, n'appuient pas l'indépendance du Kosovo.
Voyant venir les coups, le ministre des Affaires étrangères, Maxime Bernier, a soutenu qu'il ne fallait pas tenter de faire un parallèle entre ce nouvel État et le Québec. «Le Kosovo est un cas unique, comme en témoignent sa récente histoire, marquée par la guerre et l'épuration ethnique, le rôle joué subséquemment par l'ONU et l'OTAN dans l'administration et la sécurité du territoire, ainsi que le rôle constant que des organisations internationales, par exemple l'Union européenne, exerceront pour l'aider dans sa transition vers la pleine indépendance», a-t-il dit par voie de communiqué.
Selon le gouvernement Harper, il ne s'agit pas d'un précédent. «Comme l'indique clairement la déclaration émise par le Parlement du Kosovo, les circonstances particulières qui ont mené à l'indépendance du territoire font en sorte qu'il ne s'agit pas du tout ici d'un précédent, a déclaré Maxime Bernier. Les déclarations faites par les autres pays qui ont reconnu l'indépendance du Kosovo vont dans le même sens.»
Mais l'ambassadeur serbe au Canada, Dusan Batakovic, s'inscrit en faux contre cet argument et entend le faire savoir. «Je vais quitter le Canada pour montrer notre insatisfaction profonde envers ce geste lamentable du Canada», a déclaré au Devoir M. Batakovic. Visiblement, la Serbie est encore furieuse de voir son ancienne province faire ses premiers pas sur la scène internationale. Belgrade va envoyer aujourd'hui une note de protestation officielle au gouvernement canadien et l'ambassadeur quittera le pays vendredi soir pour une durée indéterminée. La Serbie a d'ailleurs rappelé tous ses ambassadeurs dans les pays qui ont reconnu l'indépendance du Kosovo.
Selon M. Batakovic, la décision d'Ottawa «viole les lois internationales», et notamment la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l'ONU adoptée le 10 juin 1999. Cette résolution, qui définit le mandat des Nations unies au Kosovo, précise que les États membres affirment leur attachement «à la souveraineté et à l'intégralité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie». L'ambassadeur serbe soutient que c'est «le seul document valide au sens de la loi internationale», puisque le Conseil de sécurité n'a pas officiellement pris position sur le Kosovo depuis cette date.
De plus, le Canada a tort de penser que le Kosovo ne crée aucun précédent, dit-il. «Ce qui est certain, c'est que l'indépendance du Kosovo, fait de cette manière, est un dangereux précédent à travers le monde. Si les lois internationales peuvent être brutalement violées par autant de pays, il s'agit d'un précédent dangereux pour le Canada aussi», soutient Dusan Batakovic. Il rappelle que le Parti québécois, par la voix de son député Daniel Turp, avait soutenu le mois dernier qu'un parallèle entre le Kosovo et le Québec pouvait être tracé.
Mais la députée bloquiste Vivian Barbot y a mis un bémol hier. «Il n'y a pas de lien avec le Québec, sauf celui de dire que tous les peuples ont droit à l'autodétermination. Notre démarche est différente de celle du Kosovo. Chaque situation est particulière.» Selon la députée souverainiste, «rien ne va changer avec la situation du Québec», malgré la reconnaissance du Kosovo par le Canada. «On va trouver notre manière de faire l'indépendance, mais il serait très malvenu de comparer le Québec et le Kosovo», a ajouté Mme Barbot.
Hier, le Parti québécois a sobrement accueilli la décision d'Ottawa, sans refaire un parallèle avec le Québec. «Nous sommes heureux, car en reconnaissant l'indépendance politique du Kosovo, le Canada prend ainsi acte de l'entrée, de plein droit et par voie démocratique, de ce nouvel État indépendant au sein de la communauté internationale», a soutenu Daniel Turp par voie de communiqué.
Le député libéral fédéral Bob Rae, fraîchement élu, soutient lui aussi que le Kosovo et le Québec ne peuvent être comparés. «Il y a eu une guerre civile et une occupation du territoire par l'ONU et l'OTAN au Kosovo. C'est bien différent du Québec qui est dans un pays démocratique.» Selon lui, les déclarations de l'ambassadeur serbe sont «absurdes».
La Russie avait pourtant fait la même mise en garde au Canada le 22 février dernier. «Nous avons conseillé au Canada d'y réfléchir à deux fois avant d'accepter la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo, avait dit l'ambassadeur russe à Ottawa, Georgiy Mamedov. Nous sommes deux États fédéraux, et on ne doit pas lancer de pierres lorsqu'on a une façade de verre.»
Les Serbes ont manifesté à plusieurs reprises à Ottawa, à Toronto et à Montréal pour inciter le Canada à ne pas reconnaître le Kosovo. Quelques centaines de Kosovars avaient au contraire demandé au Canada d'imiter les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne.
Violence dans le nord du Kosovo
Dans sa déclaration, le ministre des Affaires étrangères signale que le Canada surveille de près la situation afin de s'assurer que les droits des minorités serbes du nord du Kosovo sont respectés. «L'évolution du Kosovo vers un État démocratique et multiethnique qui respecte totalement les droits de la personne est essentielle à la paix, à la stabilité politique et au progrès économique dans les Balkans», a dit Maxime Bernier.
Le Kosovo compte 120 000 Serbes et plus de deux millions d'Albanais. Un tiers de la minorité serbe est concentré dans le nord du Kosovo, près de la Serbie, où les violences éclatent régulièrement depuis la déclaration d'indépendance du 17 février dernier. Les forces de l'OTAN, présentes au Kosovo depuis 1999 à la suite de l'intervention de la communauté internationale pour arrêter l'épuration ethnique de Belgrade contre les Albanais de la province, ont dû s'interposer à plusieurs reprises.
L'ambassadeur Batakovic soutient d'ailleurs que la Serbie devrait aider ou prendre en charge les 40 000 Serbes du nord du Kosovo. «Sans lien direct avec Belgrade, ils ne peuvent pas survivre à long terme», dit-il. Dans son premier discours suivant l'indépendance, le premier ministre du Kosovo, Hashim Thaci, avait toutefois soutenu que les Serbes ne devaient pas avoir peur, malgré le passé houleux entre les deux communautés.
La mission de l'Union européenne, baptisée Eulex, doit se déployer au Kosovo pour superviser les débuts de l'indépendance. Forte de 1800 personnes, elle devrait prendre le relais de la Mission d'administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK) afin d'assister les institutions kosovares, principalement la police et la justice.


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