Les organisateurs du Moulin à paroles ne sont pas des défenseurs du consensus québécois autour d'une commémoration de la Conquête de 1759. Ce sont des militants de l'indépendance qui cherchent au quotidien des conditions favorables au triomphe de leur cause. Ils se réjouissent donc du débat qui a eu cours depuis plusieurs jours et qui leur permet de défendre la liberté d'expression.
À noter que le Québec possède un don pour créer des débats à contre-courant de ceux qui animent actuellement la société occidentale. Mais passons sur cette spécificité québécoise qui a aussi donné lieu à un affrontement Montréal-Québec récemment alors que le G-20, réuni à Londres, tentait, lui, de trouver des solutions communes à la crise mondiale. Oublions la subtilité de la riposte d'un Sam Hamad, la censure effective qu'aurait représentée le retrait du Manifeste du FLQ une fois la décision prise de le lire. Oublions l'habilité manipulatrice qui a présidé au lancement des invitations à certaines personnalités publiques sans les prévenir de cette lecture et qui a obligé le maire Labeaume, pour un, à se retirer. Oublions donc tous ces incidents qui sous couvert d'improvisations donnent comme résultat la prise en main par les souverainistes de l'événement marquant la défaite de 1759.
Le plus troublant dans cette affaire est de constater les réactions ambiguës, voire ambivalentes, de plusieurs souverainistes, et les prises de position de responsables comme Gilles Duceppe, Pauline Marois et Bernard Landry. De façon diffuse, on ne peut pas ne pas percevoir dans leur défense de la lecture du Manifeste du FLQ une forme de banalisation de la symbolique de ce brûlot présente dans l'imaginaire québécois. Gilles Duceppe va même jusqu'à s'engager sur le terrain savonneux de la comparaison avec la bataille de 1759 en affirmant que le FLQ a fait moins de morts que cette dernière. Monsieur Duceppe devrait éviter l'utilisation de l'arithmétique. Doit-on d'abord rappeler à celui-ci que la bataille de 1759 se déroulait entre soldats de deux États en guerre et que le FLQ dans les années 60-70 était un mouvement terroriste? «[...] Tant que nous n'aurons pas chassé par tous les moyens, y compris la dynamite et les armes, ces big boss prêts à toutes les bassesses pour mieux nous fourrer...» Est-ce bien raisonnable que Pauline Marois assiste sans broncher à la lecture de ce Manifeste dont on peut prédire qu'elle ne se fera pas dans le lourd silence de la désapprobation, mais bien devant une foule en partie enfiévrée et grisée par des formules démagogiquement populistes et intellectuellement primaires?
Le Manifeste du FLQ avait soulevé après sa lecture à la télévision un courant de sympathie dans une partie importante de la population, ce qui avait alerté encore davantage René Lévesque, révulsé de façon épidermique par la violence du FLQ et son argumentaire aussi pervers qu'irresponsable. Plusieurs Québécois avaient alors cédé à ce romantisme révolutionnaire dont ils entouraient les felquistes. Le débat actuel a mis en lumière, quarante ans plus tard, que la tentation romantique persiste. Il fallait lire les blogues, les lettres aux journaux, les points de vue d'intellectuels et de journalistes ces derniers jours pour constater les dégâts. De la justification du FLQ aux commentaires plus prudents, voire pusillanimes, un point commun ressortait, et c'est la fascination qui entoure le FLQ. Alors que sur la planète entière, on combat le terrorisme actuel, on pouvait lire dans notre singulière province du Québec cette semaine des textes au contenu nostalgique et même quelques-uns ouvertement à la défense de l'action felquiste.
En relisant le texte du Manifeste, on est aussi frappé de constater que ce vocabulaire au lance-flammes ébréché qui fait flèche de tout bois est encore aujourd'hui très présent: «Qu'aux quatre coins du Québec, ceux qu'on a osé traiter avec dédain [...] mettent hors de nuire tous ces professionnels du hold-up et de l'escroquerie: banquiers, businessmen, juges et politicailleurs vendus!» Nul doute qu'il est séduisant de vivre conforté par une pareille théorie du complot des «écoeurants contre les pauvres exploités». D'autant que les événements récents apportent de l'eau au moulin de tous les honnêtes gens et des victimes de l'exploitation des Madoff, Lacroix et autres Jones de ce monde.
Les dirigeants du mouvement souverainiste, qu'ils le veuillent ou non, sont instrumentalisés par cette commémoration à saveur d'agitation. Parions que Luck Merville volera le show, et avec lui ce sera le Manifeste du FLQ qui apparaîtra comme un texte-réponse à la conquête anglaise. On a évité aux plaines d'Abraham d'être le théâtre d'une reconstitution d'opérette indigne de la mémoire historique, et voilà qu'on assistera à une commémoration tronquée qui laisse croire que seuls les souverainistes s'attristent de la défaite de la France alors que tous les Canadiens français devraient mettre 1759 en berne.
La tentation romantique
Les dirigeants du mouvement souverainiste, qu'ils le veuillent ou non, sont instrumentalisés par cette commémoration à saveur d'agitation.
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