La vraie histoire de la Crise d'octobre

Les récits fantaisistes sur la Crise d’octobre sont légion depuis 40 ans, tellement les théories de conspiration ou les histoires de sombres complots ont du succès.

Crise d'Octobre '70 - 40e anniversaire


Louis Fournier - Journaliste à la station de radio CKAC lors de la Crise d'octobre et auteur de FLQ Histoire d'un mouvement clandestin (éditions Québec Amérique, 1982 et réédité en 1998 chez Lanctôt éditeur)

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Quarante ans plus tard, la Crise d'octobre fait toujours partie de nos grands traumatismes collectifs et de ces sombres événements qui, pour beaucoup de nos compatriotes, demandent encore à être éclaircis.
Voilà pourquoi je tiens à féliciter un des bons artisans de ce métier que j'ai longtemps exercé, le vétéran journaliste Guy Gendron de Radio-Canada, pour son patient travail de journalisme d'enquête sur la Crise d'octobre, dont nous avons pu voir le résultat percutant à la télévision d'État les 23 et 24 septembre derniers.
À l'aide notamment des précieuses archives de la société publique et d'entrevues en profondeur avec des acteurs de cette crise sans précédent, le journaliste a su retisser la trame des événements avec une force et une vérité exceptionnelles. Son travail professionnel bien fait nous a permis de revivre la véritable histoire de la Crise d'octobre. Après avoir vu ce reportage, on ne devrait plus s'interroger sans fin sur les circonstances exactes de la mort du ministre Pierre Laporte, ou sur les vrais motifs de la proclamation par Ottawa de la Loi sur les mesures de guerre.
Retour à la réalité
Ce document-choc a sûrement ramené beaucoup de monde à la réalité, la vraie. On était en effet bien loin des dérives de certains propagandistes des deux camps qui ont tenté, depuis 40 ans, de fabriquer une histoire biaisée, voire carrément inventée de la Crise d'octobre. Certains récits ne visaient qu'à occulter ou travestir les faits, que ce soit dans l'action du Front de libération du Québec (FLQ) ou dans celle des gouvernements et des corps policiers. Sans parler de tous ces esprits paranoïaques qui voyaient — et qui voient toujours — des agents secrets partout!
Ces fabulations et ces élucubrations, on a d'abord pu les lire dans l'essai, ou plutôt l'ouvrage de politique-fiction, publié en 1977 par l'ancien leader idéologique du FLQ Pierre Vallières, sous le titre L'Exécution de Pierre Laporte, un livre qui a servi de détonateur, si je puis dire, aux histoires les plus rocambolesques sur la Crise d'octobre. Encore tout récemment, on a pu lire des histoires aussi fantasques dans l'ouvrage parfois délirant de l'ancien ministre québécois William Tetley, qui justifie la Loi sur les mesures de guerre sur la foi d'une grandiose conspiration felquiste irréelle.
On trouve aussi de la fabulation dans les récentes «révélations» faites aux médias par le talentueux écrivain Louis Hamelin, notamment dans son texte publié en page Idées du Devoir du 29 septembre. Ses belles histoires de policiers bien cachés qui manipulaient les militants du FLQ sont malheureusement tirées par les cheveux et sans aucune crédibilité. De surcroît, M. Hamelin cite des médias qui brodaient beaucoup à l'époque pour titiller la curiosité de leur lectorat, surtout Le Petit Journal, mais aussi Montréal-Matin et The Montreal Star, ce qui est de commune renommée dans la profession.
Il est heureux que M. Hamelin ait décidé d'écrire un roman plutôt qu'un essai sur la Crise d'octobre, comme je le lui avais d'ailleurs gentiment suggéré dans une correspondance avec lui en 2003. J'ai hâte de lire ce roman qui vient de paraître, La Constellation du lynx. Je suis convaincu que c'est le grand roman d'un écrivain québécois créatif et bon conteur.
De sombres complots
Depuis 40 ans, l'attention des Québécois a donc été sollicitée par toutes sortes de récits fantaisistes sur la Crise d'octobre, tellement les théories de conspiration ou les histoires de sombres complots ont du succès dans nos sociétés sceptiques, mais pourtant friandes de récits imaginaires.
Le reportage de Radio-Canada est d'ailleurs éclairant sur les opérations de manipulation des médias alors effectuées par le FLQ et les gouvernements.
Le document factuel et fouillé qui nous a été présenté, avec ces images si fortes au petit écran, est la preuve que le bon journalisme d'enquête réussit toujours à nous rapprocher de la vérité. Je sais tout le travail que Guy Gendron a dû abattre, ayant moi-même écrit un gros ouvrage sur l'histoire du FLQ et des événements d'octobre 1970. Je souhaite que toutes ces recherches puissent aider nos compatriotes à se faire enfin une idée plus juste et plus réaliste de ce qui s'est réellement passé.
Bien sûr, personne ne peut prétendre raconter de A à Z cette tragique histoire. D'une part, nous avons affaire à un mouvement clandestin et de l'autre, à des gouvernements et des corps policiers qui n'agissent évidemment pas toujours dans la plus grande transparence. Mais sur la foi des solides rapports de trois commissions d'enquête (Duchaîne, Keable et McDonald) qui ont pénétré dans les arcanes de cette crise, et aussi à la suite du travail d'investigation réalisé par plusieurs journalistes chevronnés, je ne crains pas de dire qu'on sait aujourd'hui l'essentiel de ce qui s'est passé.
Mais je suis également sûr qu'on n'arrivera jamais à convaincre des gens qui préfèrent croire mordicus aux théories du complot.
«Je me souviens»
Le FLQ fait désormais partie de notre histoire, mais on ne peut pas oublier qu'il a déjà fait partie de nos vies, de la mienne en tout cas.
Je ne pourrai jamais oublier l'arrestation et la perquisition sans mandat et arbitraire dont j'ai été victime le 8 octobre 1970, à mon domicile, où la police de Montréal a même saisi ma machine à écrire comme si j'avais pu rédiger des communiqués du FLQ! Et ce, uniquement parce que la veille, à CKAC, j'avais fait mon travail de journaliste en lisant en ondes le manifeste du FLQ, au nom du droit du public à l'information alors défendu par la direction de la station de radio. Le même manifeste sera lu le lendemain à la télévision de Radio-Canada par l'annonceur Gaétan Montreuil.
J'espère que le nouveau travail de mémoire réalisé à l'occasion des 40 ans de la Crise d'octobre nous permettra enfin de dire, avec lucidité et gravité: «Je me souviens». Je me souviens du terrorisme désespéré et sans issue du FLQ et de l'assassinat odieux — même s'il ne fut pas prémédité — du ministre Pierre Laporte. Je me souviens aussi de l'infâme Loi sur les mesures de guerre promulguée par le gouvernement du Canada dirigé par Pierre Elliott Trudeau, de l'intervention au Québec de l'armée canadienne, de la suspension des libertés civiles et de l'arrestation sans mandat de plus de 500 personnes. Tout cela sous le vil prétexte d'une «insurrection appréhendée» fictive et d'une menace de «coup d'État» et de «gouvernement provisoire» fabriquée de toutes pièces, comme des épouvantails.
On peut être en désaccord profond avec le terrorisme du FLQ, tout en sachant que ce fut un phénomène social et politique qui s'analyse et s'explique dans une nation comme la nôtre, le Québec, et dans le contexte canadien et international de l'époque.
Combat pas terminé
Comme le disait franchement l'ancien premier ministre du Québec et chef du Parti québécois René Lévesque, qui a toujours condamné fermement la violence, «le terrorisme est le symptôme vivant d'une maladie, il n'en est pas la cause». Il disait en outre: «Si nous conservons le même genre de société, nous aurons le même genre de choses. Nous devons faire des réformes profondes pour qu'il n'y ait plus de FLQ.»
Grâce à la montée rapide du Parti québécois et à son élection en 1976, grâce aussi aux réformes et aux changements de fond survenus dans la société depuis les années 1960, des progrès énormes ont été accomplis et des étapes majeures ont été franchies au Québec. Mais le combat n'est pas encore terminé. Le sera-t-il jamais un jour pour ce petit peuple francophone en quête d'un pays en Amérique du Nord?


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