Club de hockey Canadien

Pas assez francophones, les Glorieux!

Quand le sport devient politique



Fédéraliste, le Canadien? Voyons donc! Le club fait tout bonnement ces temps-ci une belle campagne d'autopromotion sur le thème «Nous sommes Canadiens»... Il aurait en effet bien du mal à faire campagne sur le thème «Nous sommes Québécois». Mais comme le dit si bien le président du club, Pierre Boivin, «nous ne faisons pas de politique, nous faisons du hockey». Du «nation building» aussi, en faveur du Canada.
J'ai pensé tout de suite à cette campagne canadian de nos Glorieux quand j'ai lu dans Le Devoir du vendredi 17 septembre, la «libre opinion» de M. Rémi Bourget. Une charge à fond de train contre de prétendus «délires identitaires» et contre le «nationalisme ethnique», rien de moins, de tous ceux qui osent critiquer la direction du Canadien pour la quasi-absence de joueurs québécois et francophones au sein du club. En lisant ce pamphlet antinationaliste, pour ne pas dire antiquébécois, qui m'a rappelé Pierre Elliott Trudeau — que l'auteur aime d'ailleurs assez pour le citer —, je me suis dit: «Quand on est né pour un petit pain, on se contente du petit peu qu'on a. On patine sur la bottine et on compte dans ses propres buts.»
L'auteur du texte tente en effet de justifier le fait que le Canadien ne comptera que trois joueurs francophones dans son alignement lorsque débutera la nouvelle saison. Le même nombre infime que l'an dernier, malgré toutes les protestations des amateurs et des médias. Et le pire «score» en plus de 100 d'existence du Tricolore.
«C'est bien dommage»...
«C'est bien dommage», admet d'abord l'auteur, pour ensuite justifier totalement cet état de fait inacceptable et défendre, sans aucun esprit critique, la direction du Canadien. Il nous ressert notamment une vieille légende urbaine qui a la vie dure: les joueurs québécois ne veulent pas venir jouer à Montréal! L'auteur cite le cas, très médiatisé, de deux joueurs seulement, alors que des centaines et des centaines d'autres hockeyeurs ont porté avec fierté le chandail du Bleu-Blanc-Rouge. Sans parler de tous ceux qui auraient bien aimé ou qui aimeraient le porter eux aussi.
Notre défenseur du statu quo patine en sens contraire des nombreux anciens joueurs du Canadien, qui déplorent tous la quasi-absence de joueurs francophones à Montréal et demandent à la direction du club d'améliorer la situation. Depuis quelques semaines, on a eu droit aux interventions de Guy Lafleur, Patrick Roy, Henri Richard, Vincent Damphousse, Patrice Brisebois et d'autres encore. Même le très prudent Jean Béliveau a mis son petit grain de sel. D'anciens entraîneurs ont aussi tiré la sonnette d'alarme, comme Bob Hartley, Michel Bergeron, Jacques Demers, Michel Therrien, Guy Carbonneau.
En outre, presque tout ce que le Québec compte de journalistes et d'analystes sportifs sérieux et chevronnés déplorent que dans un «marché francophone» comme celui de Montréal et du Québec — le seul marché du genre en Amérique du Nord —, il y ait si peu de joueurs de chez nous au sein de la seule équipe établie ici. Et de surcroît, aucun joueur vedette. Certains le dénoncent depuis longtemps, comme Bertrand Raymond — le seul journaliste membre du Temple de la renommée du hockey —, Yvon Pedneault, Réjean Tremblay, François Gagnon, Martin Leclerc, Marc Defoy, et la liste pourrait s'allonger.
«Normalement», le Canadien devrait être l'équipe de la LNH qui compte dans ses rangs le plus grand nombre de hockeyeurs québécois et francophones hors Québec. Peut-être pas
14 joueurs, comme lorsque nos Glorieux ont gagné leur dernière coupe Stanley, en 1993, mais au minimum le double des trois joueurs que nous avons présentement.
Le message de la direction du CH, repris en choeur par des partisans aveuglés, est le suivant: l'important, c'est que le club gagne. Comme s'il ne pouvait pas gagner avec un peu plus de bons joueurs francophones! Pas des deux de pique, de bons joueurs. Et il y en a.
Les joueurs de notre nation
Autre légende urbaine: il n'y aurait pas assez de joueurs francophones dans la LNH, et pas assez de bons joueurs francophones. Foutaise. Selon les statistiques que j'ai compilées à partir des données de la LNH fournies sur le site NHL.com, on compte pas moins de 105 joueurs québécois et francophones hors Québec qui ont joué au moins un match dans la Ligue nationale la saison passée. Cela représente presque 11 % (10,9 %) des hockeyeurs de la ligue. De ce nombre, on comptait
76 hockeyeurs québécois, soit presque 8 % (7,9 %) des joueurs de la grande ligue. Ces informations ont été publiées sur le site québécois d'amateurs de sports Fanatique.ca.
Les temps ont changé dans la LNH, avec la mondialisation et les nouvelles règles du jeu. Malgré tout, les joueurs de notre nation, le Québec, sont encore parmi les meilleurs, dans une ligue qui se présente comme la meilleure au monde. Comme disait le légendaire joueur du Canadien Maurice Richard, «les francophones sont nettement désavantagés et se doivent d'être meilleurs que les autres pour réussir dans la LNH» (La Presse, le 28 septembre 1986).
Le problème a été bien expliqué par l'un des meilleurs experts québécois en hockey, Georges Larivière, professeur honoraire en éducation physique à l'Université de Montréal. Selon ce spécialiste, les clubs de la LNH recrutent les meilleurs joueurs québécois et francophones, bien sûr, mais ils recrutent peu ou pas de joueurs de soutien venant d'ici. Ils leur préfèrent des joueurs anglophones, tout simplement parce qu'ils les connaissent mieux. Ce n'est pas un complot, c'est ce qu'on pourrait appeler de la «discrimination involontaire».
Précisons en effet qu'au moins une douzaine d'équipes de la LNH n'ont aucun dépisteur au Québec alors que toutes les équipes, ou presque, ont des dépisteurs en Ontario et dans l'Ouest canadien. Bien sûr, on doit aussi examiner et corriger les lacunes, parfois graves, dans le développement de nos jeunes joueurs ici, mais il faut scruter le contexte global.
Et les autres?
Si le Canadien ne peut pas aligner plus de trois joueurs francophones, comment se fait-il que d'autres équipes de la LNH le peuvent? En ce début de saison, au moins quatre équipes auront chacune quatre joueurs francophones dans leur formation partante: les Penguins de Pittsburgh, les Predators de Nashville, les Blue Jackets de Columbus et les Sharks de San Jose. La crème de la crème, le Lightning de Tampa Bay, en aura au moins cinq. Par ailleurs, huit équipes auront autant de joueurs francophones (3) que le Canadien. La «normalité», répétons-le, ce serait plutôt que le Tricolore soit l'équipe qui en compte le plus.
Pour ceux comme M. Bourget qui parlent vicieusement de «nationalisme ethnique», faut-il préciser que l'élite de nos hockeyeurs compte des joueurs québécois qui se nomment Luongo, Ribeiro, Crawford, Vlasic, Lombardi, Burrows, et des francophones nés hors Québec comme Boyle, Sullivan, Streit. Et même des anglophones bilingues comme Dominic Moore, dont le Canadien s'est hélas débarrassé, on ne sait trop pourquoi. Il y a si peu de hockeyeurs canadiens-anglais bilingues, on devrait les préserver précieusement!
De bons joueurs francophones, des joueurs étoiles aussi, il y en a donc partout dans la Ligue nationale. Pourquoi le Canadien en a-t-il si peu? Parce qu'il n'y a aucune volonté tenace d'aller les chercher, comme c'était généralement le cas quand l'ancien joueur du Canadien Serge Savard était directeur général de l'équipe. Il y a au sein de la direction actuelle du club une absence stupéfiante de responsabilité à cet égard. D'autant plus que les affaires continuent de très bien aller et que le Centre Bell fait toujours le plein de ses 21 273 spectateurs à chaque match.
Et le Fonds de solidarité FTQ?
En terminant, on doit se poser une question: sur cet enjeu, pendant combien de temps encore les nouveaux propriétaires de l'équipe laisseront-ils toute la latitude à leurs «hommes de hockey», les Pierre Gauthier, Robert Gainey, Jacques Martin et compagnie?
On dit que les frères Molson, des Anglo-Québécois ouverts, souhaitent un plus grand nombre de Québécois et de francophones parmi les joueurs et aussi les dirigeants du club.
On dit également que le Fonds de solidarité de la FTQ est très préoccupé par cet enjeu. Le Fonds, dont l'actif est de 7,3 milliards, a effectué un énorme investissement de 50 millions dans l'entreprise Le Club de hockey Canadien. Ses quelque 578 000 actionnaires sont ainsi un peu devenus des petits propriétaires de nos Glorieux. Cette entreprise est fort rentable et le Fonds fera fructifier son investissement au bénéfice de ses épargnants. Mais le Fonds de solidarité a une autre mission: investir dans des entreprises québécoises pour y créer et maintenir des emplois. On ne peut pas dire que le Canadien, en ce moment, offre beaucoup d'emplois à des joueurs de hockey québécois et francophones.
Faudra-t-il attendre la venue d'une nouvelle équipe à Québec, fleurdelisée celle-là, pour qu'enfin les Québécois obtiennent un peu plus de respect de la part d'une équipe centenaire, le Canadien, qui s'est bâtie grâce à eux et qui, en fin de compte, leur appartient un petit peu?
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Louis Fournier - Journaliste, syndicaliste à la retraite, grand amateur de hockey, l'auteur a été vice-président aux communications du Fonds de solidarité FTQ, un des nouveaux propriétaires du Club de hockey Canadien


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