Le bleu, le rouge ... les mauves ?

CAQ - Coalition pour l’avenir du Québec


Mathieu Bock-Côté, Échos Montréal, vol.18, no3, mars 2011, p.11
On dit des lois ce qu’on dit de la saucisse : mieux vaut ne pas assister au processus de fabrication pour ne pas se détourner du produit final. On pourrait dire la même chose des manifestes politiques et notamment de celui de François Legault, qui annonçait le 21 février dernier la création de la Coalition pour l’avenir du Québec.
Plusieurs se sont surpris de son étrange fadeur. J’avais mon explication : François Legault a habituellement porté les habits d’un gestionnaire des affaires publiques. On ne lui reconnaissait pas une prédisposition à la polarisation. Même au moment de constituer un mouvement appelé à remplacer un, voire deux des partis représentés à l’Assemblée nationale, Legault conserve une attitude consensuelle.
Il a suffi de quelques jours pour qu’une explication plus troublante s’ajoute.
Dans un article du 23 février, Le Devoir nous apprenait que le manifeste de Legault, dans une version précédente, était plus musclé sur le plan de la question nationale. Mais de grandes sections du texte ont été retranchées un peu avant sa présentation publique. Hélas ! Car entre la dernière et l’avant dernière version, l’avantage ne va pas au texte final, celui à partir duquel François Legault part en croisade.
Ainsi, si Legault en appelait encore à un repli stratégique sur le plan de la souveraineté, il n’hésitait pas à rappeler la prédominance légitime du gouvernement québécois en tant qu’expression politique du peuple québécois. Le Manifeste Legault en appelait aussi à la défense de l’identité québécoise. En maintenant ces positions, François Legault aurait ancré son mouvement dans ce qu’on appelle communément le vieux courant bleu.
On le sait, la raison de cette évacuation du nationalisme porte un nom : Charles Sirois. Sirois vient du PLQ et joue le rôle de caution fédéraliste du mouvement Legault, sa présence consacrant la volonté de transcender la question nationale, voire de l’évacuer. Charles Sirois représente dans le mouvement Legault « l’ouverture » aux fédéralistes apparemment nécessaire à la mise en place d’une nouvelle coalition modernisatrice. En un mot, Charles Sirois est un rouge.
Or, pour les « rouges » version Sirois, le nationalisme québécois n’a pas bonne presse. On le présente souvent comme un repli sur soi, d’autant plus qu’on survalorise au même moment un Canada fantasmé, apparemment l’exemple de l’ouverture sur le monde et le garant de notre prospérité. On devine la conséquence politique : l’alliance avec les rouges coute cher. Trop cher.
L’analyse peut être poussée plus loin.
Le mouvement Legault a pour l’instant l’allure d’une rébellion tranquille de représentants du Québec inc. et de technocrates réformistes contre le modèle québécois. On peut y voir une combinaison de « centre-droit gestionnaire » et de « gauche efficace » autour d’une même vision centrée sur « l’éloge de la richesse ». Mais par une erreur d’analyse récurrente, on semble croire que les fondements de la « droite » au Québec se trouveraient justement dans la grande alliance des privilégiés et des parvenus.
Il n’en est rien. Car si un créneau s’ouvre pour un nouveau mouvement politique, il est moins associé au réformisme techno-libéral qu’il ne relève de ce qu’on appelle communément le vieux fond bleu. La base sociale du conservatisme québécois ne se trouve pas dans les beaux quartiers mais dans les banlieues, les régions, qui ressentent intimement le délitement du lien social, sa technocratisation, son effritement culturel. Ce conservatisme est moins familier avec le langage de l’efficacité gestionnaire qu’avec celui du bon sens et de l’enracinement.
François Legault s’est trompé de coalition. Si le mouvement Legault veut un avenir, il ne devra pas chercher à mixer le bleu et le rouge dans un mauve incertain mais revivifier le vieux fond bleu qui demeure le seul terreau possible d’un ressaisissement québécois, parce qu’il se place sous la bannière du Québec d’abord. Le peut-il ? Peut-être. Le veut-il ? C’est moins certain.


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