Le ballon de François Legault

L’avenir du Québec qu’il annonce n’est peut-être pas aussi rose que celui qu’il veut bien nous faire croire, foi de sceptique à l’égard des « lucides ».

CAQ - Coalition pour l’avenir du Québec

François Legault, le personnage.
André Jacob, professeur associé
_ École de travail social
_ Université du Québec à Montréal
Le 4 novembre dernier, par un heureux hasard, des citoyens et des citoyennes auraient entendu le mystérieux sifflement d’une sirène les invitant à aller signer le registre pour la reconnaissance de la coalition pour l’avenir du Québec comme parti politique. Autre coup de baguette magique, des journalistes se présentèrent sur les lieux en même temps. De son côté, monsieur Legault rayonnait en savourant l’impact de cette mise en scène magistrale. Dans la même veine, la chaîne TVA a posé la question: qui est derrière François Legault ? Réponse officielle : quelques individus inconnus du public, et le mystère reste opaque. La force du théâtre repose sur l’intrigue et le suspense.
Au lendemain d’un tel événement, je me suis surpris à rêver d’une caricature. Imaginons monsieur Legault dans la nacelle d’une montgolfière ! Il est seul à bord, car une vedette garde les metteurs en scène de son spectacle dans les coulisses. Comme un dieu-sauveur, il apparaît dans sa grandeur pour sauver ce bon peuple insouciant, indifférent, cynique, voire naïf et peu critique face aux dangers qui menacent son avenir. Alors, notre héros vient combler le besoin instinctif qu’ont les gens de se sentir protégés afin de pouvoir accéder au paradis radieux qu’il est seul à promettre. Il sait parler comme en beau prince ou comme un bon père de famille. Il critique rarement et ne lève jamais le ton, car il jouit du pouvoir de proposer des solutions simples et magiques à tous les problèmes. Il a la touche pour présenter de vieilles formules sous un nouvel emballage. Ainsi, comme les débats critiques n’ont pas la cote, alors n’en faisons point, surtout pas au sujet de questions qui pourraient embarrasser les mystérieux courtisans qui l’ont créé comme sauveur. Abordons des questions chaudes, mais avec la distance nécessaire à l’égard des figurants bien ciblés, par exemple, les enseignants et les enseignantes qui, avec leur sécurité d’emploi et leurs longues vacances peuvent fournir un exutoire aux frustrations populaires ; le sauveur fait mine de les valoriser par un meilleur salaire pour les rendre plus performants. Mais de quoi parle-t-on au juste ? De la performance à la manière Toyota ? Quoiqu’il en soit, si les solutions du prince ne donnent pas les résultats escomptés, il sera toujours temps d’en imputer la responsabilité aux syndicats du personnel des écoles qui nuiront à la réalisation de la prophétie. Et le halo de sainteté de notre sauveur restera intact.

Monsieur Legault joue son propre rôle à merveille. Pour bien des gens, sa vie et sa carrière ressemblent à un conte de fées qui l’aurait préparé au jeu de la politique. D’instinct, il sait doser la distance le séparant des simples mortels tout en mettant en valeur sa capacité à les sauver de tous les maux qui les accablent ; par définition, un héros de théâtre n’a-t-il pas tous les pouvoirs, y compris celui de promettre une chose et son contraire et créer des illusions ? Ainsi, annoncer des réformes salvatrices pour l’avenir, mais professer aussi le statu quo (je vais protéger nos services publics, mais je ne suis pas contre le privé, loin de là…) paraît tellement simple, logique et d’un gros bon sens… L’une des raisons de son succès semble reposer sur la sincérité de son jeu. Dans chacune de ses apparitions publiques, il donne l’impression de présenter un curieux mélange de performance théâtrale et de spontanéité absolues.

Mais qui est derrière lui ? Qui sont ses redoutables metteurs en scène ?
Curieusement, la poudre de perlimpinpin que notre sauveur répand sur notre tête avec ses solutions toutes faites ressemble étrangement à des propositions « lucides ». Cela me rappelle un certain manifeste de douze apôtres de la lucidité néolibérale qui ont échoué dans le marketing de leurs solutions… Aujourd’hui, monsieur Legault fait écho à plusieurs dimensions du manifeste des « lucides », mais, comme vedette, il sait mieux faire avaler la pilule. Dans l’imaginaire populaire, le contenant importe plus que le contenu. Alors, il faut poser des questions sur le contenu : que signifie, par exemple, diminuer le nombre d’immigrants ? Quelles seront les conséquences de la rémunération des enseignants et des enseignantes au mérite ? Pourquoi mettre la question nationale sous le boisseau alors que les contradictions vont resurgir malgré les déclarations du nouveau héros ? Quel sera le rôle de l’État dans le développement économique durable ? Qu’est ce que notre sauveur fera pour le développement durable et l’exploitation des ressources naturelles ? Qu’en est-il de l’avenir des Premières Nations ? Quelles seront les politiques de lutte à la pauvreté ? Comment renforcera-t-il le soutien à la langue française ? Comment envisage-t-il de valoriser la fonction publique? Et combien d’autres questions restent sans réponse précise.
Je me méfie des sauveurs. Le ciel de l’histoire du monde et celle du Québec en particulier est garni de sauveurs qui ont dégringolé de leur ballon après avoir déçu. Que sont réellement devenus les sauveurs annoncés comme Berlusconi en Italie, Obama aux Etats-Unis et, plus près de nous, les Lucien Bouchard, les Jean Charest, les Mario Dumont ? Et j’en passe. Alors, je reste sceptique. Je doute de François Legault déjà canonisé comme sauveur de l’avenir du Québec. La somme des scènes qui servent à lui fabriquer une crédibilité et ses positions simplistes voire contradictoires sous son masque fait sur mesure par de mystérieux dieux « lucides » n’ont rien pour rassurer. Qui contrôlent le jeu en coulisse ? La question reste posée.
Une analogie fort d’actualité révèle bien le vrai visage de sauveurs installés trop vite sur un piédestal. Au Chili, depuis mai dernier, les protestations sont continues contre le sauveur annoncé, le président Sebastian Pinera, un milliardaire dont la famille s’est enrichie sous le régime du général Pinochet en faisant fortune notamment dans l’aviation commerciale ; dernièrement, une journaliste demandait à un protestataire qui avait voté pour le sauveur Pinera pourquoi il avait voté pour lui : « parce qu’il me paraissait crédible et qu’il avait réussi dans la compagnie aérienne Lan Chile… Je croyais qu’il ferait un bon président pour diriger le pays… » François Legault a réussi avec Air Transat… Ah bon ! Cela suffit-il à en faire un sauveur pour autant ? L’avenir du Québec qu’il annonce n’est peut-être pas aussi rose que celui qu’il veut bien nous faire croire, foi de sceptique à l’égard des « lucides ».
6 novembre 2011


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4 commentaires

  • Pablo Lugo Herrera Répondre

    13 novembre 2011

    Actuellemnt, c'est Péladeau qui contrôle le jeu. Demain, s'il devenait premier ministre, serait Desmarais! Bref, nous sommes une société ignorante en politique qui est contrôlée facilement par nos Médias qui — au lieu d'informer — désinforment.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 novembre 2011

    C'est simple.
    Derrière Legault se trouve la puissante et riche aristocratie capitaliste de la finance et des affaires, non seulement celle du Québec mais l'aristocratie internationale.
    Cette aristocratie qui a shippé les emplois manufacturiers en Chine et aux Indes et qui a fait venir ici des contingents d'immigrants de partout dans le monde qui ne peuvent pas plus trouver d'emplois ici que les Québécois maintenant.
    Ces immigrants rêvaient d'épouser des Blanches et d'être riches et beaucoup d'entre eux sont déçus.
    Et Legault est là pour tout maintenir les choses comme elles le sont présentement...

  • Archives de Vigile Répondre

    12 novembre 2011

    Je suis très heureux de l'arrivée sur Vigile d'André Jacob. Il est de ceux qui voient au delà des images et des prototypes et dont les analyses nous obligent toujours à une réflexion. Cette intervention illustre bien cette approche.

  • Pierre Grandchamp Répondre

    12 novembre 2011

    Pour ma part, j'estime que son projet de faire disparaitre les commissions scolaires va conduire à un système semblable à l'administration de la Ville de Montréal et qu'il sera néfaste pour les régions. Je ne pense pas qu'il
    y ait un problème de structures en éducation.
    Quant à son système d'évaluation au mérite des ensieignants,
    très difficile d'application!