Au déclenchement des élections fédérales, le Bloc québécois se trouve, encore une fois, dans une situation ambiguë. D'abord, il doit faire face à un éternel questionnement sur sa pertinence, questionnement amplifié par son refus d'exercer une fonction gouvernementale et par la stagnation de l'opinion publique sur la souveraineté. Ensuite, il n'est plus seul à courtiser le vote nationaliste puisque les conservateurs pensent, eux aussi, être en mesure de défendre les intérêts du Québec. Devant cette position délicate, tout porte à croire que l'élection fédérale s'annonce difficile et que l'on pourrait assister à un déclin du Bloc au cours des prochaines semaines.
Le succès du Bloc: chance, faiblesse et division
Certes, le Bloc Québécois a réussi, au cours des deux dernières élections fédérales, à maintenir une forte assise électorale et parlementaire. Ainsi, en 2004, le Bloc réussissait à faire élire 54 députés et recueillait près de 49 % des intentions de vote, retrouvant ainsi le niveau d'appui qu'il avait en 1993. En 2006 cependant, si le Bloc a fait élire 51 députés, son soutien populaire a considérablement chuté, se retrouvant tout juste au-dessus de la barrière psychologique de 40 %. Mais en y regardant de près, on constate que le déclin du Bloc trouve sa source en amont des deux dernières élections. Ainsi, en 1997 et 2000, le Bloc avait recueilli entre 38 et 39 % du suffrage populaire. Comment expliquer cette régression en deux temps, et quel enseignement pouvons-nous tirer de cette situation pour l'avenir?
La première réponse, inquiétante pour le Bloc, est que la remontée surprenante à l'élection de 2004 tient davantage de la chance que de la capacité du Bloc à mobiliser les électeurs derrière son programme. En 2004, le Québec, secoué par le scandale des commandites, avait trouvé dans le Bloc un refuge et une façon simple et efficace de démontrer son insatisfaction envers un gouvernement fédéral à l'image corrompue. Cette situation, habilement exploitée par le Bloc, a permis à la formation politique de freiner la stagnation de son soutien observé aux élections de 1997 et 2000.
En 2006, la situation est différente et, si le Bloc réussit à se maintenir, c'est peut-être davantage en raison de la faiblesse de ses adversaires. Paul Martin connaît une très mauvaise campagne électorale, et le Parti conservateur a une organisation sur le terrain trop peu structurée pour pouvoir être à armes égales devant la machine expérimentée du Bloc. Néanmoins, on a pu assister à une progression du vote conservateur, notamment dans la région de Québec d'où le Bloc a d'ailleurs disparu.
Cette situation ne devrait cependant pas se reproduire à l'occasion du prochain scrutin. En effet, si en 2006 les partis fédéralistes étaient divisés en deux camps relativement homogènes, facilitant ainsi la division du vote et favorisant, au bout du compte, l'élection d'un plus grand nombre de députés pour le Bloc, il en va tout autrement en 2008. Le Parti conservateur, mieux organisé, devrait être en mesure de consolider ses appuis, voire de les augmenter. À cela, il faut bien sûr ajouter la grande désorganisation des libéraux du Québec. Par le fait même, les conservateurs pourraient être en mesure de cristalliser le vote fédéraliste. Se présentant comme la seule formation en mesure de livrer la bataille aux souverainistes, le parti de Stephen Harper pourrait nuire à la capacité du Bloc de se faufiler entre les partis fédéralistes.
Par ailleurs, le Bloc devra aussi composer avec un adversaire qui envahit le champ fertile de l'autonomisme. Rassurés par un gouvernement qui a tenté de résoudre le déséquilibre fiscal, qui a reconnu symboliquement la nation québécoise et qui tente de respecter l'autonomie des provinces, les Québécois pourraient être tentés de croire que le Bloc a fait son temps.
Un déclin prévisible
Le déclin du Bloc québécois a été annoncé à plusieurs reprises et, chaque fois, il a trouvé les moyens de rebondir. Toutefois, cette capacité à mobiliser l'électorat repose sur une assise de plus en plus fragile. En effet, le Bloc sert soit à prévenir une crise, comme dans le cas des élections de 1993 -- où il devait défendre les intérêts du Québec en cas d'un référendum gagnant -- soit à contester une situation jugée inacceptable comme 2004, les électeurs se servant alors du Bloc pour exprimer leur mécontentement. Reste donc à savoir si ces deux éléments, générateurs du soutien populaire envers le Bloc, sont actuellement présents au départ de la campagne électorale. De toute évidence, il n'y a ni référendum en vue ni crise de confiance susceptibles de faire du Bloc québécois un parti refuge capable de cimenter l'électorat. Ne pouvant offrir un programme de gouvernement et incapable d'exploiter un mouvement d'insatisfaction envers le parti au pouvoir, le Bloc est peut-être condamné à assister, impuissant, à sa marginalisation lente mais certaine.
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Antonin-Xavier Fournier, Professeur de science politique au Cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu
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