Le débat est lancé sur la place des minorités

Cinéma québécois et anglobalisation


Le duo vedette dans De père en flic aurait-il pu être interprété par des comédiens haïtiens? Et si la famille dans C.R.A.Z.Y. avait été anglophone? En affirmant que le cinéma d'ici avait, selon lui, une teinte beaucoup trop québécoise de souche, le réalisateur Jacob Tierney a relancé un débat sur la place occupée par les minorités culturelles au grand écran, qui ne fait pas l'unanimité dans le milieu cinématographique.
Si plusieurs cinéastes sont d'avis que le 7e art devrait intégrer davantage les immigrants, ils affirment néanmoins qu'il n'y a rien de scandaleux ou de honteux à ce que la filmographie d'ici raconte des histoires directement liées au Québec, à son passé, à sa culture et à son état de minorité francophone à l'intérieur d'une majorité anglophone
De passage à Los Angeles pour faire la promotion de son film The Trotsky, le réalisateur Jacob Tierney a déclaré, dans un article publié dans La Presse hier, que le cinéma québécois était «blanc, blanc, blanc et homogène». Selon lui, les anglophones et les immigrants sont complètement éclipsés. Ses propos ont trouvé écho hier dans les médias sociaux comme Twitter et Facebook.
«Dans les faits, il n'a pas tort, répond pour sa part le président de l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ), François Côté. Ce n'est pas un débat de cinéma, mais un débat de société. Quel cinéma n'est pas centré sur sa propre culture? demande-t-il. Ce n'est pas qu'on exclue (les immigrants du cinéma), c'est qu'on ne les a pas encore inclus.»
M. Côté souligne du même souffle que l'immigration demeure un phénomène relativement récent dans l'histoire du Québec. Selon lui, il ne s'agit que d'une question de temps avant de voir porter au grand écran des histoires touchant des gens issus des communautés culturelles. «Laissons aux créateurs de cinéma le temps d'absorber le changement», mentionne-t-il.
Pour le sociologue Mathieu Bock-Côté, «il n'est pas du tout illégitime que la culture québécoise, lorsqu'elle s'exprime sur le plan cinématographique, le fasse à travers ses préférences culturelles, ses habitudes, ses traditions, son langage». Il refuse de voir cette façon de faire comme étant du «repli identitaire».
Star-système
Par ailleurs, s'il trouve le débat pertinent, le cinéaste Hugo Latulippe - qui a coréalisé le documentaire Ce qu'il reste de nous, portant sur la situation du peuple tibétain, toujours en attente du retour de son chef spirituel le dalaï-lama - est en désaccord avec plusieurs propos émis par Jacob Tierney. Celui-ci a déclaré notamment que les nouveaux arrivants ne s'identifiaient pas aux vedettes québécoises. «Penses-tu que les jeunes Haïtiens de Montréal se reconnaissent dans Luc Picard? a demandé Tierney. Pas du tout. Ça ne fait pas partie de leur monde, de leur univers.»
«Luc Picard est un Québécois, il incarne le Québécois, d'accord, rétorque Hugo Latulippe. Mais il est d'abord un acteur de talent, un artiste inspiré. Si l'anglophone ou l'immigrant n'est pas suffisamment marié au monde québécois pour voir cela, c'est qu'il est peut-être coincé dans une manière de voir la société qui tient du racisme ou du manque d'ouverture. Il y a aussi une responsabilité de l'immigrant, qui consiste à épouser le monde dans lequel il arrive... Cela étant dit, l'industrie cinématographique et télévisuelle a, elle aussi, la responsabilité de moderniser nos représentations du Québécois.»
Mais le fait d'arrêter son choix sur des acteurs québécois de souche, haïtiens ou marocains n'a rien d'arbitraire, tient à rappeler Émile Gaudreault, qui a notamment réalisé Mambo italiano, un film racontant l'histoire d'un jeune gai issu de la communauté italienne montréalaise.
«Ça dépend toujours du sujet, dit-il. C'est l'histoire qui décide. Il faut que ce soit naturel.» En plus de Mambo italiano, il rappelle que le personnage du père de famille dans 1981 de Ricardo Trogi était d'origine italienne. Un élément fort exploité dans l'histoire.
Autre point dont il faut tenir compte: la difficulté à dénicher des comédiens issus des communautés culturelles qui sont en mesure de bien s'exprimer en français, souligne Émile Gaudreault. «Il y en a moins, affirme-t-il. Ce n'est pas comme si ça pullulait.»


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