Le destin des électrons libres

Réfutation du multiculturalisme par les lois de la chimie politique

Penser le Québec - Dominic Desroches

« La liaison fortuite des atomes

est l'origine de tout ce qui est »

Démocrite
« toute reconnaissance juridique des particularismes

comporte le risque d’entraîner une logique de

revendications sans fin. […] La logique du

particularisme a pour fin ultime l’individu »

Dominique Schnapper, Qu’est-ce que l’intégration ?
***
Pour comprendre les problèmes épineux d’intégration des immigrants, sinon
de toute intégration sociale, il faut désormais oublier les règles de la
morale naturelle, les règles de la déontologie et les promesses politiques
intéressées pour appliquer les lois de la chimie à la sphère politique. Car
le vocabulaire éthicosociologique actuel obscurcit davantage qu’il
n’éclaire : intégrer, est-ce assimiler, insérer, incorporer, affilier ? Si
l’on veut éviter de porter un jugement de valeur ou de culpabiliser les
nouveaux arrivants (des personnes humaines qui ont déjà un pays dans le
cœur avant de chercher à s’avantager ailleurs), il convient de concevoir la
question de l’immigration de manière matérielle, chimiquement. Par artifice
de méthode, nous avancerons l’idée que les flux migratoires ne seront plus
jamais affaires de morale, mais de formation, de composition et de
désintégration du corps social.
Ce texte vise à présenter les linéaments d’une pensée de l’immigration
qui ne repose pas sur la bonne foi, les droits de l’Homme, ni sur le
contrat social, encore moins sur les théories de l’immigration des années
1970, mais sur les lois de la chimie moderne. Il montre que seule la chimie
est capable de nous faire sentir la complexité des compositions sociales.
Quiconque veut réellement comprendre l’avenir de l’immigration doit relire
Lavoisier…
L’immigrant est un individu, un atome en mouvement
Première question facile : qu’est-ce qu’un immigrant ? Réponse : un
individu. En effet, un immigrant est un individu, un être qui par
définition ressemble beaucoup à un atome, c’est-à-dire une particule
insécable propre au mouvement. Composé d’un noyau (neutron et proton) et
d’un électron qui gravite autour, l’atome immigrant est appelé à former une
molécule, c’est-à-dire une petite famille dans une plus grande.
Apparemment, le noyau est son caractère, tandis que l’électron, un négatif,
ressemble à sa possibilité de s’agencer et de socialiser. Ainsi compris,
l’atome peut appartenir à un regroupement, une famille qui est toujours, on
le sait, « nucléaire ».
Comme tout atome, l’immigrant est déjà prédéterminé dans son orbite avant
de commencer à voyager. En effet, par son électron, l’immigrant peut ou non
s’unir à d’autres atomes afin former une molécule et appartenir à un groupe
visible. L’immigrant, par sa famille, appartient à une molécule qui peut
s’associer à d’autres, mais parce qu’il est déjà en famille moléculaire
forte, il n’a plus beaucoup de lien libre et trouve difficile le contact
avec les autres éléments disponibles. C’est en vertu de ce principe
élémentaire de la disponibilité des liens que l’on peut mieux comprendre
l’idée classique des Lumières voulant qu’une société soit « toujours plus
que la somme des individus ». Une société est formée par des atomes en
mouvement contenant une charge et, par là, une capacité de s’attirer ou de
se repousser, c’est-à-dire à former des familles ou des regroupements. Kant
voyait dans l’homme une « insociable sociabilité », ce que nous
reconnaissons ici dans sa charge qui lui permet de s’unir ou de repousser
les autres. Ce qui est le plus difficile avec l’arrivée des nombreuses
familles immigrantes, c’est de défaire les liens prédéterminés par la
tradition pour en configurer de nouveaux.
Or ce que Kant ignorait au XVIIIe siècle, de même que les poètes du
politique responsables de l’idéologie du multiculturalisme au XXe siècle,
c’est que ce sont les angles et la complémentarité des atomes qui
expliquent le succès ou non de leur rencontre à l’intérieur d’une société.
Par exemple, l’ionisation sociale est le nom que l’on donne à la production
d’ions, c’est-à-dire lorsqu’un individu perd ou reçoit un électron, ce qui
modifie sa charge électronique. L’ion est un individu qui n’est plus «
neutre » socialement. On peut également obtenir l’ionisation sociale
lorsque l’on fissure le caractère d’individu, ce qui modifie sa perception
du politique. Souvent, on arrive à changer ou infléchir le comportement des
individus, des atomes, par le réchauffement ou le refroisissement des
conditions initiales.
Qu’est-ce qu’une intégration manquée ou réussie ?
Comme nous l’enseigne la théorie chimique, on peut assister à des
mariages heureux ou malheureux entre les éléments. Par exemple, un alliage,
qui s’avère une alliance sociale, est le résultat métallique obtenu lorsque
l’on incorpore à un métal un ou plusieurs éléments. Le bronze notamment est
obtenu par la rencontre du cuivre et de l’étain. Or, de même manière, quand
le fer et le carbone s’associent, nous obtenons l’acier, un alliage très
résistant et utile pour construire solidement. On le voit bien : ce sont
les ouvertures des liens électroniques qui assurent l’immigration réussie.
Mais pour les sceptiques naturels ou pour les ignorants des prolégomènes à
la chimie politique, soyons encore plus précis.
Il est possible d’assister à des rencontres moins heureuses entre des
éléments voyageurs. On appelle en effet « oxydation » le procédé par lequel
l’oxygène, symbole même de la vie, vient s’unir à une substance. Le fer,
par un échange d’électron par exemple, reçoit l’oxygène, ce qui vient
altérer la surface de l’objet. La vie n’est pas toujours où l’on croit. La
rouille donc, c’est un peu l’immigration manquée, car l’air, dans certaines
conditions, peut causer la faillite même du fer, une substance de
résistance sociale.
Or, logiquement, le processus contraire peut assurer une immigration
réussie. Produite par l’électricité ou un courant galvanique, la
galvanisation, qui correspond à la fixation d’un dépôt électrolytique (un
sel) sur un métal pour préserver l’oxydation, ressemble à un processus
migratoire gagnant. Lorsque le zinc s’attache au fer, celui-ci prend une
couleur blanchâtre qui témoigne d’un mariage heureux d’éléments entre
lesquels passe un courant électrique, un lien.
Peut-être le lecteur voudra-t-il un exemple plus proche des existences
humaines ? De même manière, la cristallisation, si elle n’est pas inversée
pour conduire à la formation de ghettos, peut illustrer l’immigration
réussie : si l’on dissout par procédé chimique des sels dans l’eau, qui est
un élément de transparence et de démocratie, il se produit alors des
cristaux. Un cristal, ce n’est pas rien : c’est une réunion réussie et
précieuse, un gage de richesse. Les cristaux, en général, témoignent d’un
échange réussi d’éléments. Ce n’est donc pas sans raison que certains
écrivains, peut-être Stendhal, a vu dans la cristalisation le processus
même de la réalisation de l’amour…
La réfutation du modèle multiculturaliste par la chimie politique
On le voit mieux : l’étude du tableau des éléments, des lois chimiques,
des œuvres de Lavoisier, du principe d’Avogadro, de la théorie de
l’entropie, permet d’entrer en chimie politique et d’expliquer sans
moralisation aucune la réussite ou l’échec des politiques d’immigration.
La plupart des politiciens actuels, qui sont sous l’emprise idéologique
du multiculturalisme, s’avèrent incapables de penser les véritables enjeux
de l’immigration. Ce modèle multiculturel, proposé et développé dans l’air
du temps des années 1970, roule sur des idées communautariennes de
tolérance des minorités et de respect absolu des identités culturelles. Ces
idées sont non seulement dépassées, révolues, mais elles masquent
aujourd’hui la réalité de toute immigration. Ce modèle théorique veut
expliquer, en s’inspirant pour ainsi dire des constructions possibles à
partir de blocs Lego (blanc, rouge, bleu et noir), l’arrivée de musulmans,
de tamouls et de sikhs dans les pays démocratiques. Voulant en finir avec
les devoirs et les obligations à l’égard de la communauté d’accueil, et la
possibilité d’une domination historique, la théorie propose que l’on
accepte, au nom d’une supposée intégration, toutes les revendications des
immigrants. La logique multiculturaliste, qui fait des nouveaux arrivants
des princes de la diversité, consiste à reconnaître dans l’espace public
toutes les formes de relativisme culturel, lesquelles doivent être
protégées par l’État démocratique responsable de tous les blocs de Lego
arrivant sur le territoire. Pour le dire en termes de chimie philosophique,
on dira que le multiculturalisme ressemble à un amalgame utopique qui
essaie, contre la thermodynamique, d’intégrer les critiques
communautariennes au cadre du libéralisme politique.
Certes, pour tout penseur de la chimie politique, il est assez aisé de
prévoir les erreurs d’interprétation d’une telle lecture candide du
politique. À l’instar de tous les êtres humains, les immigrants voyageurs
sont d’abord et avant tout des individus, des charges positives et
négatives, c’est-à-dire des atomes en mouvement… Ils ne sont donc pas, et
ne seront jamais, de petites briques rouges en plastique que l’on peut
monter les unes sur les autres ! Ces individus, dès qu’on leur donne la
chance d’élever en norme sociale des différences, demandent à ce que l’on
reconnaisse immédiatement la valeur de leur « particularisme »,
c’est-à-dire la nature même des éléments chimiques qui forment le groupe
culturel. On le devine dès lors sans problème : au lieu de favoriser la
formations de cristaux sociaux, comme le veut le modèle interculturel
québécois, le modèle multiculturel tend malheureusement à favoriser la
célébration des particularismes qui ne peuvent qu’attaquer, en bout de
ligne, le mode de vie de la majorité démocratique. Ce que manque par
principe cette théorie inventée durant la mode des constructions en blocs
Lego, c’est le potentiel explosif de toute migration d’individus pouvant se
regrouper en familles dans d’autres pays, et ce, sous diverses conditions.
Il peut devenir dangereux lorsque les individus, qui sont par définition
des atomes, réclament ouvertement un particularisme, c’est-à-dire une
identité atomique à l’intérieur même de la sphère publique.
Les conditions chimico-politiques de l’immigration explosive
Pour prendre un exemple connu parmi d’autres : les alcalins, enlignés dans
la classification de Mendeleïev selon leur nombre atomique, réagissent
électroniquement au contact de l’eau, une molécule transparente au service
de la vie. Comme l’expérimentaient les élèves de niveau secondaire avant la
réforme scolaire, et semblent l’ignorer nos politiciens, si on place un
morceau de potassium dans l’eau, le morceau de potassium réagit et prend
presque immédiatement en feu. Comment est-ce possible ? C’est que les
alcalins, qui ont un électron libre négatif sur leur dernière couche
électronique, le perde rapidement, dans certaines conditions, au contact de
la molécule d’eau, ce qui ne manque jamais de provoquer une réaction
explosive. Si on reconnaît dans le morceau de potassium certains individus
très religieux et peu ouverts à la culture démocratique, il est à souhaiter
que le morceau de potassium, qui grossit au nombre d’atomes qui le
composent, ne soit pas trop gros lorsqu’il rencontrera notre culture
démocratique.
L’idée de catalytique politique
Pour rester dans le même ordre d’idées, nous ajouterons que le triste
épisode des caricatures de Mahomet au Danemark illustre bien les effets de
la catalyse politique qui peut se produire à l’intérieur du monde
occidental. Cette histoire banale de dessins du prophète Mahomet qu’avait
colportée un imam dans les pays arabes et qui a enflammé l’Europe au complet
montre bien que les rapports politico-religieux, reposant sur des
particularismes atomiques (c’est-à-dire entre les immigrants et les
communautés d’accueil démocratiques), peut prendre des proportions énormes.
Qu’est-ce à dire ?
L’introduction de seulement quelques éléments alcalins dans un petit pays
démocratique d’Europe du Nord a connu des répercussions rapides sur toute la
planète parce que la trajectoire des éléments alcalins retournant à leur
lieu d’origine a provoqué une réaction en chaîne. La catalyse politique, et
l’image n’est pas assez forte, se produit lorsqu’un élément, par sa seule
présence, ou par son retour sur son orbite, produit une réaction
ultrarapide. Par sa seule présence, le catalyseur déclenche une réaction
rapide dont la fin n’est pas toujours prévisible. Il convient en outre de
rappeler que dans toute catalyse chimico-politique, l’élément ou la
substance favorisant la réaction ne connaît pas de modification elle-même,
c’est-à-dire qu’elle demeure prête à entraîner une autre réaction si elle
se retrouve en présence d’éléments. Cela, on le voit, ne peut s’expliquer
dans une théorie ouverte et utopique comme celle du multiculturalisme à la
mode dans les pays anglo-saxons.
Sur l’urgence d’une chimie politique des solutions
Ceux qui défendent aveuglément au Québec la politique canadienne de
l’immigration massive et de la diversité culturelle ont oublié le problème
de la saturation. En effet, la saturation se produit lorsque l’on dissout,
dans un liquide, la masse maximale d’une substance à une pression et une
température données. En général, par cette opération, on vise l’atteinte
d’un point d’équilibre, c’est-à-dire qu’il convient de trouver le point
limite où il n’est plus avantageux d’ajouter des substances, du moins
temporairement, puisque le liquide de base ne parvient plus à les dissoudre
ou à les intégrer.
Dans le champ politique, nombreux politiciens du « politiquement correct »
et de la politique de « racolage des minorités » dans les quartiers à
forte densité ethnique qui ont oublié l’importance du principe de
saturation. Quand on veut au Québec augmenter, au nom des déficits
démographique et économique, le nombre d’immigrants à 55 000 par année
(dont la moitié ne parlent pas la langue de la majorité francophone) dans
un bassin de 8 millions de Québécois, l’on court le risque de perdre le
point d’équilibre si précieux en chimie politique. Si l’on ajoute au nombre
initial d’immigrants prévus le multiplicateur 10 pour exprimer 10 années de
cette politique, et à ce résultat un nombre d’enfants approximatif, l’on
réalise rapidement que les enjeux derrière l’immigration ne peuvent se
penser au moyens de blocs de Lego, mais d’une véritable « chimie des
solutions ».
La réflexion actuelle permet de montrer que les échecs du modèle
multiculturaliste reposent sur les conséquences de son application naïve :
conformément aux enseignements de la chimie politique des solutions, ce
modèle assure la domination et le triomphe des revendications individuelles
contre les droits collectifs, la fabrication de ghettos, et, quand les
conditions se détériorent, l’oxydation de certaines couches de la
population. La logique individualiste et particulariste, lorsqu’elle n’est
pas comprise par la chimie politique, conduit à des revendications sans
fin, lesquelles témoignent d’une incapacité de la communautés d’accueil à
intégrer les nouvelles molécules, les nouvelles substances et leurs dérivés
chimiques.
La chimie politique à l’heure des changements climatiques
Ce qu’ont négligé les professeurs du multiculturalisme anglo-saxon, y
compris le commissaire C. Taylor, c’est que les immigrants – qui demeurent
des personnes humaines respectables et dignes - ne s’assimilent pas à des
briques de plastique aux couleurs variées devant se rencontrer les unes avec
les autres pour former un modèle réduit de société idéale et utopique.
Pourquoi ? Parce que ces personnes ont des valeurs, défendent des croyances
religieuses exclusives et irréductibles, participent activement à des
cultures en concurrence, redupliquent des comportements traduisant des
habitudes prédéterminées par des orbites culturelles et historiques, et
qu’aujourd’hui, à l’heure des changements climatiques, la planète se
réchauffe de plus en plus vite. Or, si la planète se réchauffe, cela
signifie que les conditions initiales de l’expérience de l’immigration ne
seront plus jamais les mêmes, ce qui implique une imprévisibilité des
résultats. Ici et partout, les populations du globe, qui se mobilisent
encore davantage selon les lois fondamentales de la thermodynamique, ne
sont pas structurées comme des briquettes Lego, elles obéissent bien plutôt
à des charges, des échanges d’électrons libres. L’avenir des flux
migratoires reposent sur la trajectoire des électrons libres.
Dans une perspective rigoureuse de la chimie politique des solutions, il
faut espérer que les morceaux de sodium, de potassium et aux autres
alcalins en mouvement, lorsqu’ils rencontreront les marées occidentales se
trouvant sur le même territoire, ne seront pas trop imposants…
Dominic DESROCHES
Département de philosophie / Collège Ahuntsic


-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.





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