Aération, traitement choc et temps politique
Le vrai test du Parti québécois, en cette élection estivale résultant du Printemps québécois, était de réussir à convaincre la population que le seul et unique changement réside dans la souveraineté du Québec. Face à un parti libéral malade de neuf années de pouvoir, infecté par la corruption, la collusion et les scandales, le PQ de Pauline Marois n’avait qu’à incarner le vent du changement ou la santé politique. Il n’avait qu’une tâche : démontrer à la majorité qu’il est le seul parti rassembleur et sain, non pas seulement à disposer d’un remède pour guérir l’infection dont souffrent les libéraux, mais à être en mesure de l’appliquer sur l’immense blessure des Québécois. Or il n’est pas sûr, à ce jour, qu’il ait réussi.
Qui veut vraiment rénover ou guérir la politique ?
Actuellement, les sondages concèdent bien au PQ quelques points d’avance, mais dans une « démocratie » économico-médiatique dominée par l’idéologie néolibérale ou mieux, dans une « province » assujettie à des médias acteurs opérant en convergence à l’intérieur d’une structure asymétrique, tout peut arriver à quelques jours seulement du scrutin. Les médias, c’était prédit il y a plus de deux semaines maintenant, allaient travailler sans relâche pour influencer les électeurs jusqu’aux urnes. Cessons le jeu de l’autruche et regardons, pour une fois, la chose en face.
Confrontée aux partis de l’alternance, la Coalition avenir Québec (CAQ) cherchait à s’imposer comme le parti du changement. Qu’un parti politique de droite, sorti de l’Action démocratique du Québec (ADQ) et dirigé par un ancien souverainiste en François Legault se dise « jeune » et prétende vouloir changer les choses peut bien faire sourire, mais l’impression générale est qu’il y est parvenu en bonne partie. Quand certains électeurs épuisés, réalistes ou déçus, voient dans la CAQ, non pas les vieilles politiques conservatrices de Maurice Duplessis, mais une formation neuve capable de remplacer un gouvernement libéral en phase terminale, il y a de quoi s’inquiéter. Cela d’autant que son chef, qui a déjà été ministre de l’éducation et qui n’a pas réussi à devenir chef du PQ, tente de convaincre les grands médias que seul son parti ne fera pas de « chicane » et parviendra enfin à faire le grand ménage qu’attend désespérément la population. Pour la CAQ, le Québec demeure une « belle province » à diriger dont la priorité est d’offrir aux citoyens un État amaigri qui ne dérangera pas l’important monde des affaires. La chose paraîtra drôle à certains, on n’y peut rien, mais l’Équipe Legault, qui n’a jamais gouverné, n’a pas l’ambition de changer la politique ; elle espère tout simplement recueillir les votes des libéraux et des péquistes déçus, insatisfaits ou fatigués, afin d’obtenir le pouvoir dans la province. Elle veut récupérer le restant des « pouvoirs » d’une province malade, c’est-à-dire d’une province affaiblie par deux épisodes référendaires en quinze ans. Bref, son programme n’offre aucun remède au vice politique actuel. Pire : il aspire à se développer sur tout le corps malade.
Mais quand on parle de changement, de santé ou de rénovation politique, on ne doit pas négliger les tiers partis comme Québec solidaire (QS) et Option nationale (ON), qui sont en vérité les partis politiques de l’avenir. Confrontés à l’alternance que constituait le PQ, ces partis veulent sortir d’une politique seulement stratégique. Faute de parvenir à une alliance avec le PQ, ils restent cantonnés dans une « neutralité armée » à son égard. Commençons par le premier.
Occulté par les médias sous prétexte qu’il ne pouvait prendre le pouvoir, QS s’est rendu incontournable à la suite de la performance de sa co-cheffe, Françoise David, au premier débat. Ce parti prometteur, qui ne serait pas marginal dans une proportionnelle, prétend incarner un changement plus profond que celui proposé par les autres partis. Situé à gauche du spectre politique (le parti est féministe et écologiste) et souverainiste, il n’a rien à envier aux grands partis, sinon leur couverture médiatique. Car la performance d’une seule soirée de débat de sa co-cheffe l’a propulsé sur la carte de météo politique. Imaginons alors une année ! Aujourd’hui, QS appartient au temps politique : on est obligé de couvrir ses rassemblements populaires et ses idées, curieusement, ne viennent plus de la planète Mars ! Ce parti plus communautaire que libéral veut offrir au Québec un réel changement, pas seulement une alternative, voilà pourquoi sa direction bicéphale pratique déjà la politique autrement. David et Khadir, disons-le encore, sont les seuls chefs qui font ce qu’ils disent et inversement. QS est un parti résolument en avance sur notre époque capitaliste parce qu’il sait que la terre est ronde et qu’il a déjà fait de la rénovation politique sa véritable raison d’être.
Et c’est aussi dans le contexte du changement qu’il faut présenter la jeune formation Option nationale. Si le parti dirigé par l’ancien député du PQ Jean-Martin Aussant a quelques mois d’existence seulement, son message est peut-être le plus clair de tous : sans la souveraineté, le Québec ne peut pas guérir. Lui aussi est un parti politique en avance sur son temps car il a pris acte des crises qui ont affaibli les grands ensembles politiques et rappelle l’importance des pays dans l’avenir du monde. Face à un PQ stratège et un QS d’abord à gauche, ON présente l’avantage indéniable de vouloir changer ce qui ne fonctionne pas au Québec : une petite politique sans leviers exercée par des politiciens professionnels de province. Ici, ON est le seul parti du changement national assuré. Le discours de son chef est clair, rigoureux et persuasif – les médias semblent le craindre, y compris le PQ, et cela, pour d’excellentes raisons – puisqu’il a vu que la maladie ne consiste pas à vouloir faire de la politique, mais de continuer à la faire dans une fédération qui rend impossible la liberté pour tous les Québécois. Mais ce que ne semble pas comprendre le PQ, quand on parle de changement de temps politique, c’est que la règle de l’alternance peut aussi jouer contre lui.
Dépasser la règle de l’alternance politique
La règle de l’alternance appartient au temps politique. Elle dit qu’après un long exercice du pouvoir, au moins deux mandats consécutifs, normalement majoritaires, la population opte pour le parti de l’opposition. Elle suppose que l’aération naturelle, le vent du changement, voire la désillusion, propulse le parti d’en face au pouvoir, tout se passant un peu comme si, faute de mieux, on élisait le parti qui n’avait plus le pouvoir ni les contacts afin de revivre, le temps d’une année environ, dans une virginité politique. Une erreur grave consisterait sans doute à croire que l’alternance nous favorisera quoi qu’il arrive.
Pourquoi ? Parce que dans un marché politique où l’on est obligé d’acheter le moins pire des partis pour le changement – le maître mot dans nos démocraties économiques – , il importe de jouer à fond sur les lieux politiques communs que sont encore la nouveauté, la jeunesse, les candidats vedettes, le grand ménage et le vent politique. À ce jeu rhétorique indépassable, force est de constater, si l’on part du travail incessant des médias acteurs, que seule la CAQ est parvenue à s’imposer comme l’alternative crédible aux politiques des libéraux. Il est triste de le redire, mais le PQ – si on se fie cette fois aux propos de son candidat blogueur J.-F. Lisée – s’ennuie profondément de son 40 % de souverainistes naturels répartis dans trois partis qui s’arrachent des votes utiles. On le voit : le PQ est nostalgique et il a peur que le pouvoir lui échappe encore une fois. Ce parti d’opposition n’a pas semé au printemps, contrairement à QS par exemple, et risque de ne pas récolter suffisamment en automne.
La peur du changement ?
Cela étant, nous sommes désormais confrontés à un problème de taille dans notre appel à la santé politique. Si nous savons que la santé vient avec les nouvelles habitudes, que le vrai changement ne peut découler du vieux, il se peut que le Québec ne connaisse pas la convalescence politique. Évidemment, tout cela n’est pas et ne sera pas la faute exclusive du PQ et de sa cheffe, notre situation n’est pas seulement triste en raison de la carte électorale, mais il faut bien reconnaître que le Québec a peur du vrai changement. Quand on additionne les intentions de vote du PLQ et de la CAQ, on voit bien que, Printemps québécois ou non, la majorité de la population ne veut pas que la politique québécoise change réellement. Paradoxalement, elle veut qu’il y ait du changement, mais que la nouveauté se vive de la même manière que par le passé. Les Québécois veulent du nouveau, on veut sortir la vadrouille, certains veulent aller jusqu’aux fongicides, mais sans que la majorité refuse encore la radicalité qu’implique tout véritable changement. Ici, le travail des médias acteurs consiste à favoriser un changement qui n’en sera pas un. Ces médias, en tête La Presse de Gesca suivie de prêt par Radio-Canada et TVA, entretiennent l’illusion de changement, car un vrai changement démocratique affaiblirait probablement leur pouvoir. Ceux qui voteront PLQ et CAQ ne veulent pas de changement ; ils veulent un petit changement d’air. Peut-être même ont-ils peur du changement ?
Triste perspective pour le patient québécois
De nombreux Québécois ont marché avec les étudiants ce printemps, ils se sont indignés, mais le vrai changement politique n’est pas arrivé aux portes de l’Assemblée nationale. La politique peut être porteuse de maladies, on ne l’a jamais autant vu que sous les libéraux, et il faudra encore beaucoup de courage pour changer réellement les choses. Il faut espérer, pour l’instant, que le traitement politique dont on a tant besoin passera par de petits pas significatifs, alors qu’il en faudrait, malheureusement, de très grands.
Sur le caractère sain du vrai changement politique
Sur le caractère sain du vrai changement politique
Élection Québec 2012 - analyses et sondages
Dominic Desroches115 articles
Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Eti...
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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.
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