Imaginez que des familles pauvres, disons dans Hochelaga-Maisonneuve, se retrouvent à la rue à cause d’un incendie. Sans assurances, ces familles doivent compter sur la solidarité pour s’en sortir. Arrive maintenant un shylock qui propose à ces familles des « prêts d’urgence » assortis de conditions sévères et de taux d’intérêts élevés. Que diriez-vous ? Nul doute que vous en seriez scandalisés. C’est pourtant ce que le FMI vient de faire en Haïti.
Dans le programme d’aide d’urgence qu’il vient d’annoncer, le FMI ne fait que poursuivre le même genre de politiques qui ont fait d’Haïti une zone d’extrême précarité, même avant le tremblement de terre. En grande pompe, le FMI a annoncé un nouveau prêt de 100 millions à Haïti. Haïti a désespérément besoin de ce prêt, mais celui-ci a été fait selon un programme doté de conditionnalité.
La conditionnalité de l’aide est le principe de « bonne gouvernance » selon lequel les prêts fournis par le FMI et la Banque Mondiale le sont en fonction de conditions définies par les bailleurs de fonds, conditions qui doivent évidemment être respectées par l’emprunteur. Les prêts fournis par le FMI sont généralement assortis de conditions plus sévères que les prêts de la Banque Mondiale, car le FMI agit en tant que prêteur d’urgence, alors que la BM fourni du financement pour des projets à long terme. L’aide du FMI, c’est un peu comme quand vous allez à la banque pour faire une consolidation de dettes: les taux d’intérêts seront élevés et les conditions de remboursement sont sévères.
Le journal en ligne The Nation rapporte en effet que des activistes pour l’annulation de la dette lui ont expliqué que les conditions de la nouvelle aide annoncée par le FMI incluent des hausses de tarifs d’électricité, un gel des salaires du secteur public et des mesures « anti-inflationnistes », un euphémisme cher aux économistes pour désigner le contrôle des salaires, et ce dans un pays où les salaires comptent parmi les plus bas du monde. En un mot, le FMI saute sur un pays exsangue pour lui imposer des mesures d’ajustement structurels largement connues pour être désastreuses.
Petite histoire d’un pays enchaîné
La vulnérabilité d’Haïti aux désastres naturels et à la famine, la pauvreté endémique, la déforestation et le manque flagrant d’infrastructures ne sont pas des phénomènes accidentels. Le fait de dire qu’Haïti est le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental passe sous silence les causes de cette pauvreté: Haïti a été mis dans cette situation par la France, les États-Unis, le Canada, – bref les nations occidentales riches – et par le FMI et la Banque Mondiale.
Pour Haïti, c’est donc ici l’histoire qui se répète. Depuis sa lutte héroïque pour l’indépendance (obtenue en 1804) et l’abolition de l’esclavage, principalement menée contre la France, mais aussi contre les autres puissances coloniales de l’époque qui s’étaient liguées contre la toute nouvelle république, Haïti a été la proie des puissances impériales. Dès 1825, le nouvel état Haïtien a dû s’endetter de manière importante auprès de la France, celle-ci exigeant sous la menace militaire une compensation pour les pertes subies par les planteurs blancs suite à l’abolition de l’esclavage. Cette dette extrêmement importante, qui représentait jusqu’à 80% du PIB estimé d’Haïti au XIXe siècle, n’a été remboursée entièrement qu’en 1972 !
Après la dictature des Duvaliers, l’élection d’Aristide et le coup d’État militaire de Raoul Cédras, la junte militaire commença a appliquer les nouvelles politiques du « consensus de Washington », nom donné à l’ensemble des politiques d’appauvrissement prônées par les institutions internationales actives dans l’aide au développement. Le retour d’Aristide au pouvoir à l’aide d’une intervention militaire américaine, en 1994, a été accompagné de l’obligation, pour celui-ci, de suivre les politiques d’austérité budgétaires prônées par le FMI et la BM.
Un exemple catastrophique de ces politiques a été la libéralisation du marché du riz dans les années 1990. Suite à la libéralisation de ce marché, les importations de riz en provenance des États-Unis ont progressivement remplacé la production locale de riz, laissant les paysans Haïtiens sans revenus et renforçant la dépendance des haïtiens vis-à-vis des marchés internationaux.
Dans la même période, l’aide internationale a envahi Haïti, au point où près de 80% des services normalement fournis par l’État proviennent des ONG, et que ceux-ci ont des budgets souvent plus importants que les ministères qui leur correspondent. Cette omniprésence des ONG internationales sert à mieux contrôler le gouvernement Haïtien. Par exemple, à la fin des années 1990, Aristide décide d’augmenter légèrement le salaire minimum sous la pression populaire. Résultat: l’aide internationale, principalement américaine, se tarit.
Voilà ce que c’est, la conditionnalité de l’aide: obliger les « bénéficiaires » de l’aide à ouvrir leur marchés au dumping des pays prêteurs, avec comme conséquence la déstabilisation des économies locales. Obliger les « bénéficiaires » à devenir – ou rester – des pays de cheap labour et de main-d’oeuvre surexploitée, sans possibilité d’augmenter les maigres salaires. Enfin, une instrumentalisation des ONG permet la constitution d’un espèce de gouvernement parallèle.
Mais la situation Haïtienne va encore s’empirer dans les années 2000. Quand Aristide gagne les élections législatives et présidentielles de 2001, on lâche contre lui les organisations d’une pseudo société civile – en fait les représentants de la bourgeoisie industrielle – qui se constituent en « opposition démocratique » et minent la crédibilité du gouvernement en place par des accusations répétées de fraudes électorales relayées par les organisations américaines d’aide et de soutien à la « démocratisation ». Ces accusations répétées, ainsi qu’une guérilla d’anciens tortionnaires de Duvalier, probablement financée par la CIA, finissent par causer le départ d’Aristide et l’invasion d’Haïti par le Canada, les USA et la France en 2004. (voir ici pour plus de détails)
Aristide, miné par la corruption, affaibli par sa docilité envers les politiques du FMI et de la BM, ne pourra alors profiter du soutien populaire qui lui aurait été nécessaire pour affronter à la fois la guérilla et sa propre bourgeoisie. Les USA installent alors Gérard Latortue, un ancien fonctionnaire international, qui appliquera docilement les politiques dictées par le consensus de Washington jusqu’à la victoire électorale de René Préval, le dauphin d’Aristide, qui poursuivra les mêmes politiques d’obéissance envers les puissances occidentales.
Le problème de la dette
En 2008, un rapport du Center for International Policy a montré qu’en 2003, Haïti a dépensé $54,7 millions pour son service de la dette, alors que l’aide internationale totale pour les soins de santé, l’éducation et les autres services n’a été que de $39,21 millions. En d’autres mots, Haïti, un pays dévasté par la pauvreté, a continué à voir sa richesse être extraite du pays et dirigée vers l’étranger.
La dette Haïtienne se chiffre à $891 millions, presque toute contractée après 2004, donc après le coup d’État qui évinça Aristide et mis Latortue au pouvoir. Elle représente une somme faramineuse pour un pays ruiné, en proie à des désastres à répétition, et qui est étranglé par les grandes puissances qui le maintiennent dans un état de dépendance et de pauvreté révoltant.
L’attitude de Shylock du FMI vis-à-vis Haïti fait partie d’un processus international qui permet au capital de maintenir certaines zones « périphériques » sous la dépendance des pays riches et puissants, qui s’en servent comme réservoir jetable de main-d’oeuvre à bon marché, et comme terrain de déversement de leurs surplus agricoles, au mépris des conditions de vie des populations locales. Pour Haïti, le seul véritable espoir de changement réside dans l’abolition de ce système inique.
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